ø Le cahier de Maman ø

Maman dit que je dois écrire dans un cahier tout ce que je fais parce que sinon, quand je serais plus grande, mes souvenirs vont s'envoler. Je trouve ça, quand même, un petit peu idiot. Entendons-nous bien, je ne remets pas du tout en cause le fait que d'écrire dans un cahier puisse être salvateur pour certains, mais moi, ce que j'aime, ce n'est pas écrire, c'est courir, sauter, danser, chanter, tirer à l'arc, en bref : tout ce qui bouge ! Mais quand maman a parlé, Ehawee obéit. Je suis une enfant presque toujours sage. Je casse beaucoup de trucs, mais toujours uniquement des trucs qui ne servent à rien, je peux vous le jurer sur... sur... hum... disons sur la tête de ma peluche Pip. Bien entendu, maman n'est pas d'accord avec moi, elle dit toujours que je casse des trucs importants, mais j'ai bien remarqué, moi, que pour les mamans, tout était toujours importants. Enfin... Pour mon dernier anniversaire, comme maman pensait que je devais écrire, elle m'a offert un journal intime. C'est un peu me pousser ça je trouve, mais je viens de me décider de le faire parce que si je me met à parler (ou à faire tout ce que je fais d'habitude lorsque je suis en étude) je vais encore me retrouver coller, et entre nous, les heures de colle, c'est marrant cinq minutes mais ça fait vite perdre du temps sur toutes les autres activités que j'aurais aimé pouvoir faire. Du coup, on se retrouve là, toi le cahier, et moi la petite fille de douze ans, à se regarder dans le blanc de la page, et c'est pas très marrant je te l'accorde. Je ne sais même pas quoi te raconter. Ma vie est tellement normale il faut dire ! Il y a des filles de mon âge qui pensent à des trucs que je ne comprends pas (encore dirait maman) comme les garçons, le maquillage, les fringues... Est-il utile de préciser combien je m'en moque ? Ce n'est plus de l'incompréhension à ce stade c'est hum... comment dire ? En fait, je trouve qu'à nos âges, justement, c'est ridicule de penser aux garçons. Je les aime bien, ce n'est pas le soucis, mais pour le moment, quand je les regarde, tout ce que je me dis, c'est que je suis sûrement meilleure que la plupart d'entre eux à la course et que j'aimerais bien qu'ils arrêtent d'être sexistes et qu'ils me laissent jouer au foot avec eux. Tout un programme, quand bien même le ballon de foot et moi, on soit pas copain-copain. En tout cas, elles, elles sauraient sûrement quoi écrire, et elles ne feraient pas une page entière sur « pourquoi je ne sais pas quoi écrire » encore que tout bien pensé, c'est quand même fort, je trouve d'écrire autant pour dire que je ne sais pas quoi dire !

Allez, je me présente. Je suis Ehawee Connelly, j'ai douze ans, je suis d'origine amérindienne, américaine (du nord) et irlandaise. J'ai un frère d'un an plus vieux que moi et une super meilleure amie. Je suis élève à Poudlard, dans la maison des Gryffondors. Mon totem est le colibri. C'est un petit oiseau qu'on appelle aussi l'oiseau mouche parce qu'il bat très rapidement des ailes. Il paraît qu'il butine les fleurs aussi, mais là, je ne vois pas trop le rapport avec les mouches entre nous, on aurait peut-être mieux fait de l'appeler l'oiseau-abeille, non ?

J'ai un caractère plutôt enjoué, j'ai pour philosophie de vie qu'on peut tout faire et tout obtenir si on garde le sourire, mais j'ai été influencé en ce sens par mon grand-père. Il s'appelle Chapa, ce qui signifie castor en sioux. C'est lui qui a choisi mon prénom, ainsi que celui de mon frère. Le mien veut dire « celle qui rit » et celui de mon frère, Ezhno, « solitaire ». cela correspond bien à nos caractères. Pas que Ezhno soit vraiment très solitaire, mais il fait le tri dans les gens à qui ils parlent. Une attitude débile bien digne de lui ! Moi, je pense qu'il faut parler à tout le monde. Sinon, on ne saura jamais si on les aime ou pas, on restera toujours dans le doute, et puis, de toute façon, je déteste être toute seule. Je n'aime pas beaucoup rester immobile longtemps non plus, du coup, là, je souffre. Ces heures d'étude obligatoires sont simplement horribles, j'en viens à me demander comment je fais pour ne pas avoir les fesses plates à force de tout le temps rester assise en cours ! Et encore, de quoi je me plains, hein ? Parce que maintenant que la magie est revenue, on fait pas mal de travaux pratiques, histoire de rattraper le retard avec l'année dernière, quand il n'y avait pas de magie. Je n'ai jamais su pourquoi nous n'avions pas de magie à ce propos, je n'ai pas vraiment posé la question non plus. Je ne regrette pas qu'elle soit revenue mais papa et maman avaient dit que si cette année nous n'avions pas de magie à la fin du premier trimestre, on irait tous dans une école pas très loin de la maison. Ce n'est pas aussi bien que si je pouvais vivre à la réserve, mais je n'aime pas trop l'internat. Je veux dire, j'aime bien être avec d'autres gens, mais j'aimerais aussi être avec mes parents. Parfois ils me manquent, et puis ezhno est comme tous les grands-frères, des fois, il me joue des tours, et le plus pendable de tous c'est quand il me cache les lettres de maman. Alors voilà, j'écris dans ce cahier, comme ça maman, tu sauras tout ce qui se passe. Parce que je sais que tu veux que j'écrive pour pouvoir tout lire après ! Et tu te crois discrète, en plus, avec ça ! Mais ce n'est pas grave maman, je ne t'en veux pas, parce que je sais que tu t'inquiètes pour nous qui sommes loin, surtout que tu ne savais même pas ce qu'était la magie avant que Ezhno reçoive la lettre. Je te promets de continuer à écrire et de ne plus être punie plus d'une fois de temps en temps.

A la semaine prochaine donc!

Chapitre 2 : Maman, comment on fait les bébés ?

Je me souviens encore du jour où j'ai posé cette question. On aurait cru que je venais de dire un énorme gros mot. Alors que non, c'était une vraie question que je me posais parce que la mère d'une de mes camarades de classe était enceinte et que je me demandais comment on avait bien pu faire pour mettre un bébé à l'intérieur de son ventre. J'avais à ce sujet diverses théories très intéressantes, mais aucune ne s'est révélée juste, chose que je compris un peu plus tard, ce, sûrement pas grâce à mes parents. Papa s'est mis à bafouiller qu'il avait quelque chose à faire et Maman est restée avec moi, me regardant d'un air perplexe, ne sachant comment répondre. Je devais avoir cinq ans à l'époque, six tout au plus, et je levais vers elle un œil candide de celle qui, jusqu'à ce jour, avait toujours obtenu réponse à toutes ses interrogations.

On ne me servit pas l'histoire de la graine et de la fleur, Maman essaya de m'expliquer que c'était l'amour de deux grandes personnes qui faisait se produire un miracle, ce qui ne répondait pas à mon problème initial de ventre avec un bébé dedans. Comme visiblement on ne voulait pas répondre, j'ai abandonné, on a fini par me fournir une explication plausible plus tard en cours de récréation.

Si je commence par là c'est parce qu'en ce moment, je me pose pas mal de questions, pas au sujet des bébés, mais à mon sujet à moi. Et c'est lié. J'ai désormais treize ans et j'ai eu droit au chapitre sur le fait de devenir une femme qui pouvait avoir des bébés dès qu'elle aurait ses premières règles et patati et patata. Du coup, je m'interroge. Dans un avenir prochain, je pourrais faire un bébé si je le voulais, pourtant, je suis vraiment trop petite encore pour ça, alors à quoi ça sert d'être formé si tôt ? Notez bien que je me suis retrouvé l'an dernier obligé de porter autre chose que des brassières, et rien que ça, ça me gonfle prodigieusement. Suis-je condamnée à devenir comme Opalyne ? Je l'adore, hein, ce n'est pas ça, mais est-ce que je vais vraiment devoir obligatoirement penser uniquement à mes cheveux, ma tenue et – horreur – mon maquillage ? Est-ce qu'être une fille est une sorte de malédiction ou une mauvaise blague du destin ?

Parce que, autrefois, dans ma tribu, lors de leurs menstruations, les femmes étaient envoyées dans une cabane près d'un ruisseau où elles devaient rester jusqu'à ce qu'il n'y ai plus de sang. Elles n'avaient pas le droit de rester avec le reste de la tribu parce que le sang des femmes était soit-disant « impur ». Nous vivons dans un autre siècle, un siècle où même les tribus ont changé leur façon de voir certaines choses, et on ne pratique plus cette tradition sexiste. Déjà, la médecine a expliqué le phénomène et tout le monde sait que ce sang n'est pas sale comme les anciens le pensaient. Néanmoins, cela en dit long sur le fait qu'être une fille, c'est être condamné dès la naissance à souffrir. On ne m'a pas entonné le refrain du « tu grandis et tu changes » uniquement parce que j'ai pris un an, mais aussi parce que j'ai parfois d'horribles maux de ventre. C'est un signe qui ne trompe pas, parole de maman. Trop bien, hein ? Pour faire des bébés, il faut donc commencé par avoir mal avant d'avoir l'âge raisonnable d'en faire. La vie est trop injuste. Ezhno, lui, ne connaîtra jamais tout ça. Lui, il pourra toujours courir torse nu sans que ça dérange personne, moi, je ne peux plus. J'ai fait une petite tentative cet été, on m'a fait comprendre qu'il n'en était pas question. Ah... Si au moins j'y voyais les avantages...

Revenons à Opalyne, donc, c'est une « vraie » fille. Je devrais peut-être lui demander si c'est bien ? Elle n'a pas l'air de s'en plaindre après tout... et comme je n'ai pas vraiment le choix, il va falloir que j'apprenne à faire avec, pas vrai Maman?

Chapitre 3 : Je change.

Il y a un an de ça, j'avais peur de devenir comme Opalyne. C'est triste à dire mais depuis je le suis devenue. Enfin, triste, ce n'est pas vraiment le terme. Je l'ai décidé de moi-même. L'année précédente je suis sortie avec Roy. C’était une véritable erreur, je m'en suis rendue compte depuis. Je n'étais pas amoureuse de lui. Au début cela me semblait être une bonne idée. J'avais la sensation que personne ne me voyait comme une fille alors avec Roy c’était simple, c'était facile. Mais au moment où nous avons commencé à nous fréquenter, mon ami Evan a commencé à s'éloigner de moi. J'en ai vraiment souffert.... c'est comme cela que je me suis rendue compte que je n'aimais pas Roy mais Evan. Seul problème, il a trois ans de plus, sans même parler du fait que c'est un ami de mon grand frère. Ezhno. C'est pour lui, au début, que j'ai un peu changé. Pour effacer la distance qui nous sépare, la distance de l'âge en premier lieu. Avec un peu de maquillage et quelques ajustements, on ne voit plus que j'ai trois ans de moins.

Pour en revenir à mon constat de départ je suis donc devenue ce que je craignais. Finalement, c'est bien moins terrible que je ne pensais... mais ce que je crains ce sont que mes efforts ne portent pas leurs fruits. Evan m'aimera-t-il? Cette question me hante...

Je l'ai vu là, il n'a pas eu l'air complètement insensible au changement mais il faut admettre que j’espérais peut-être un peu plus (contre toute logique). Il m'a quand même encore comparé à ses sœurs. Je voudrais qu'il me voit enfin comme une grande ! Il va voir ce qu'il va voir à force, parce que quand je m'énerve ça peut aller loin. Grand-père dit toujours qu'il faut que j'apprenne à me maîtriser si je veux devenir Shaman, c'est facile à dire, mais la fonction même est un problème.

Je m'explique. Je veux devenir Shaman qui, dans notre tribu, est un rôle réservé aux hommes. Mon Grand-Père est l'actuel. Bien sûr, il ne ressemble pas à ce qu'on voit dans les films. Maintenant les tribus qui vivent dans les réserves ont un vrai village avec un raccordement à l'électricité et à l'eau courante, la seule différence avec le reste du monde c'est que nous respectons l'ancienne culture et qu'une partie de la forêt est dédié à ces rites. On coupe peu d'arbres aussi. Bref, on reste proche de la nature, mais nous ne sommes pas complètement arriérés. Beaucoup de peuples amérindiens tiennent d'ailleurs des casinos, c'est lucratif et ça ne nécessite pas de réels coupes de forêts (un seul bâtiment peut abriter de nombreux joueurs). Le jeu n'est-il pas l'un des maux de ce siècle ? Papa dit toujours que la spéculation est une forme de jeu, et je sais ce qu'est la bourse (on me prend toujours pour la blonde de service, mais j'écoute les informations comme tout le monde).

Tout ça pour dire que je ne serais pas aussi embêtée si on pouvait être une femme en étant shaman, j'ai longtemps refoulé mon sentiment de malaise par rapport aux commentaires des gens parce qu'il fallait que je sois « comme » un garçon. Or, le fait est que je n'en suis pas un. J'ai envie d'être jolie, comme toutes les autres filles. Je ne dis pas qu'il faut atteindre le niveau de certaines pour qui c'est une priorité (cela ne sera jamais la mienne) mais ce que je veux, c'est être guerrière, shaman, pas être un garçon. A un moment il faut bien que tout le monde le comprenne.

Même si le soucis de Evan est différent (pour résumer, je dirais que le fond du problème ce n'est pas mon âge mais le fait que Ezhno soit mon grand-frère), c'est un tout. Si le changement ne plaît pas, je m'en fiche, moi ça me plaît. Et je continuerais toutes mes autres activités : l'arc, le combat, la danse, le quidditch... Je n'ai aucune raison de ne pas combiner le tout. On peut faire plus femme, faire genre qu'on est un peu plus vieille qu'on ne l'est, sans pour autant passer son temps à parler chaussures. Mon objectif du moment (si ce n'est séduire Evan bien entendu mais c'est moins facile ça) c'est de le prouver. Ils verront qu'on peut être dans plusieurs cases ! Et lorsque je serais Shaman, je n'en serais pas moins l'une des plus belles filles de la tribu, na !