Comment mettre les pieds dans le plat

1er septembre 2018

Après plusieurs mois à ruminer sa jalousie, Chiara avait réussi pendant les vacances d’été à enfin sortir l’Insupportable Leith de son esprit. Bien qu’elle ne se le formule pas en ces termes, sa froideur retrouvée lui faisait plaisir et elle comptait se remettre encore plus activement qu’avant à ses projets scolaires, soit être la meilleure élève de sa promotion. Elle s’était bien promis que même les bourdes d’Amy ne sauraient la tirer de ses résolutions de rentrée.

Venant d’une famille de sorciers, elle n’avait pas été trop impactée par le sortilège de Magicis Sacra. Ceux de sa famille, comme sa tante Vickie, qui travaillaient au Ministère étaient totalement débordés. Certains autres paraissaient inquiets pour leurs amis qui avaient des proches moldus. Bref, rien de trop grave aux yeux de Chiara qui avait du mal à éprouver de l’empathie pour les étrangers à son petit monde. Il y avait bien sa meilleure amie Lavinia qui était sang mêlée par un de ses deux parents mais les courriers échangés pendant l’été avaient été rassurant, sa famille avait trouvé une organisation. C’était toujours moins compliqué que pour les parents d’enfants nés-moldus supposait la Serdaigle pragmatiquement.

Les sorciers ne pouvaient plus voir/parler directement aux moldus depuis le printemps dernier mais il était toujours possible de leur écrire, ce qui était toujours mieux que rien, même si c’était facile à dire pour Chiara qui avait deux parents sorciers. Son grand-père paternel était moldu mais il était décédé bien avant sa naissance. Au moins, à Poudlard, tout le monde aurait un semblant de vie normale puisqu’il y était de tradition d’être coupé du monde moldu et de ne communiquer que par courrier avec leurs familles. Même les tablettes magiques, à cause du bouclier qui entourait l’école, ne pouvaient entrer en lien avec l’extérieur. Cela donnerait un semblant de normalité à toutes les familles impactées par les méfaits de MS.

Dans le Poudlard Express, uniforme préalablement mis avec un respect du règlement quasi-inégalé pour une fille de 4e année, elle avait rejoint le wagon des préfets pour recevoir les informations sur l’année en cours. Avec le départ des septièmes années, il y avait pas mal de nouvelles têtes. Ceci dit, comme Chiara restait profondément misanthrope, elle s’en fichait un peu de qui bossait avec elle. Il fallait être deux pour les rondes mais le silence n’était pas quelque chose qui l’indisposait.

Dès la réunion terminé, elle traîna sa malle à la recherche d’un compartiment libre. Elle n’avait pas eu le temps de le faire en arrivant, ou plutôt elle n’avait pas eu envie de se frayer un chemin au milieu des corps suants de ses camarades qui s’embrassaient après deux mois sans se voir. Maintenant, le couloir était un peu plus calme. Finalement, après plusieurs essais infructueux et parfois gênants, elle ouvrit la porte d’un compartiment quasiment vide. Il n’y avait qu’une seule fille dedans. Chiara la connaissait un peu car elle était de sa maison. « Salut Charlie, je peux venir avec toi ? J’étais à la réunion des préfets et je n’ai pas encore de compartiment » expliqua-t-elle d’une voix sans émotion, comme d’habitude autrement dit. Chiara ne pourrait jamais gagner le prix de la fille la plus chaleureuse de Poudlard. C’était même tout l’inverse puisqu’on la surnommait Princesse à cause de ses airs snobs.

Pénétrant dans le compartiment pour ne pas être dans le passage, elle ne s’assit pas pour ne pas être impolie tant qu’elle n’avait pas la réponse de sa camarade mais jugea utile de poursuivre la conversation qu’elle venait d’entamer avec le sujet sensible du moment : « ça a été chez toi cet été ? Tu as de la famille moldue, non ? » Certes, c’était mettre les pieds dans le plat directement, mais au moins cela montrait qu’à défaut de s’intéresser à eux, elle connaissait des choses sur ses camarades, et beaucoup diraient que ce n’était déjà pas si mal !

1er septembre 2018

Depuis trois années pleines qu’elle était à Poudlard, Chiara considérait qu’elle n’avait plus à expliquer ou justifier sa manière d’être. Bien qu’aussi capable que la plupart des gens de ressentir des émotions, elle les réprimait. En résultait un manque d’empathie dénué de mauvaises intentions : misanthrope, elle n’aimait guère autrui, mais tant qu’on la laissait tranquille, elle ne voulait de mal à personne. Son père lui demandait parfois si elle aurait été moins sauvage en étant née dans une famille moins nombreuse. Vaste question selon la préfète : elle ne savait pas pourquoi elle était ainsi, elle l’était, point. Sa multitude de cousins, cousines, oncles et tantes avait un côté étouffant mais être une Montgomery n’avait jamais empêché Opaline, sa tante la plus jeune, d’être sociable, donc empiriquement, l’exemple pouvait être contré.

De ce fait, Chiara n’avait pas pensé à mal avec sa question. En réalité, elle l’avait même posé pour montrer un peu d’intérêt à son interlocutrice, mais cette fois-ci l’expérience tendait à prouver qu’elle manquait de pratique et avait fait une bourde. « Et merde... » jura-t-elle une fois la porte de la cabine refermée derrière Charlie. Il était très rare que la blondinette de bonne famille prononce un gros mot : là, ce n’était pas comme si quelqu’un pouvait l’entendre, alors elle se lâchait un peu !

Tout en poussant un profond soupir, elle rangea ses bagages dans les coins destinés à les recevoir et sortit à son tour du compartiment. Où pouvait aller une aiglonne en larme ? Facile : aux toilettes. Ce lieu recueillait les larmes de toutes les adolescentes. Dans celles de Poudlard, Mimi Geignarde était la preuve ectoplasmique de cette hypothèse… et puis, dans un train, il n’y avait pas beaucoup d’endroit où s’isoler. Encore qu’à Poudlard non plus tout bien réfléchi. Elle-même avait eu bien du mal à trouver un lieu quand elle avait eu besoin de pleurer une bonne fois pour oublier ses problèmes. Heureusement, ça lui arrivait très très rarement : l’avantage de la froideur et du self control.

Une fois dans l’étroit compartiment abritant les cabines pour femmes, que dire. « Sortez de là » pour commencer, mots tranchants adressées à celles qui attendaient plus ou moins patiemment que les lieux se libèrent. Si certaines hésitèrent à protester, la mine patibulaire de la préfète aux yeux émeraude remplis d’éclairs suffirent à les faire fuir sans demander leur reste. L’insigne sur sa poitrine aidait aussi, il ne fallait pas s’y tromper. Une tranquillité relative retrouvée, Chiara observa le dessous de la cabine pour y repérer des pieds dont les chaussures ressemblaient à celles de Charlie : théorie des toilettes testées et approuvées.

Lui avoir presque mis la main dessus était un bon début mais ne ferait pas tout. Chiara se racla la gorge et tapota sur la porte avec douceur. « Charlie ? Écoute, je suis désolée. Je n’aurais pas dû te poser de questions sur ta famille. Parfois, j’oublie que tout le monde n’est pas… moi » Et quand elle s’en rappelait, c’était le plus souvent pour regretter que ce ne soit pas le cas. De plus, avant ce jour-là, Chiara pensait que Charlie était plus comme elle que bien des gens de l’école, la misanthropie en moins évidemment – il semblait que cette tendance ne fasse pas fureur chez les habitants de Poudlard, ni chez les êtres humains en général. « Je ne peux pas comprendre ce que tu traverses... » Et, pour une fois, pas vraiment par manque d’empathie mais juste parce qu’elle n’était pas dans la même situation. La moitié des membres de sa famille n’étaient pas juste sorciers mais carrément sang pur, autant dire que MS n’était pas prêt de s’attaquer à eux ! « … mais je me doute que ce doit être difficile. Même si on ne se connaît pas beaucoup, et que je suis plus jeune, je suis ta préfète. On peut en discuter si tu veux… et si tu ne veux pas, on pourrait juste retourner dans le compartiment et manger les pâtisseries que j’ai emmené » La mère de Chiara dirigeait une pâtisserie, la plus célèbre pour les sorciers de Londres, alors c’était, toujours selon la Serdaigle, une offre de paix de qualité. Mais encore une fois, vu son caractère, qu’en savait-elle ?

1er septembre 2018

Retourner dans leur compartiment mit Chiara plus à l’aise. Elle n’avait jamais goûté les foules, sans parler du bruit qui l’indisposait. On aurait pu croire que sa nombreuse famille, et en particulier sa flopée de cousins bruyants, l’aurait vacciné mais pas du tout, ils n’avaient fait que la rendre encore plus sensible à ce sujet.

Au moins, au calme, elle pouvait se souvenir de tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler – une crise suffirait pour cette journée de rentrée. Ceci étant dit, prétendre qu’elle avait trouvé la réaction de Charlie normale aurait été un mensonge… sauf que Chiara avait bien conscience de rarement trouvé ses semblables normaux et que dans Poudlard c’était plutôt elle qu’on taxait de bizarre. Il fallait croire que la normalité était dans l’œil de celui qui regarde.

« Je ne suis sans doute pas la mieux placée pour dire ce qui est bizarre ou non. En plus, je manque de tact, donc je suis en tort » Chiara n’avait que peu d’intérêt pour l’image qu’elle renvoyait puisque la compagnie comme l’avis d’autrui l’indifférait, toutefois elle restait lucide : elle ne gagnerait jamais le premier prix de la délicatesse en société. Ce qui allait avec son manque de capacité sociale. Elle était douée pour les problèmes intellectuels et nulle avec les personnes. Et si elle préférait penser qu’elle avait été nommée préfète eut égard à son excellent dossier scolaire, elle ne pouvait pas totalement exclure qu’elle ait été désignée aussi pour la forcer à parler un peu à ses camarades en d’autres occasions que leur demander de lui ficher la paix.

Pour ce premier jour de sa quatrième année, c’était une réussite puisqu’elle faisait de son mieux pour ne pas paraître trop mal aimable et un minimum compatissante pour une situation dont elle n’avait pas saisie encore toute la portée sur les élèves impactés. Autant éviter de faire d’autres bourdes… Désireuse de passer à autre chose, elle sortit les pâtisseries de leur emballage isotherme et les montra à Charlie. Il y en avait un peu pour tous les goûts avec des gâteaux aux fruits et d’autres au chocolat. Ses parents espéraient toujours – les pauvres – qu’un peu de sucre adoucirait irascibilité de leur benjamine.

« Vas-y, sers toi, moi j’aime tout » dit-elle en posant les gâteaux près de Charlie avant de s’asseoir momentanément en face d’elle. « Tu entres en cinquième année je crois, c’est bien, j’ai hâte d’y être » dit-elle ensuite pour, assez maladroitement, tenté de faire la conversation sur des sujets peu risqués. Elle ne se hasarda pas à demander à sa camarade si elle était stressée par les BUSES, ne voulant pas faire un nouvel impair malheureux.