Nous étions un mardi, après les cours. Cours qui, précisons-le, avaient duré jusqu’assez tard, ce jour-là. C’est une règle immuable des établissements scolaires : le mardi est toujours une longue journée. A croire qu’il existe une règle internationale pour les emplois du temps. Mais bon, qu’importe. Les heures avaient passé, lentement, passionnantes mais épuisantes, et Penina en était venu à bout. Elle avait même (presque) terminé ses devoirs pour le lendemain. Oui mais voilà, personne n’est infatigable, et, envahie par la lassitude, Penina avait décidé d’aller faire un tour au château, et particulièrement de vérifier un peu ce qu’elle avait pu lire. Il était en effet dit dans l’un des ouvrages sur Poudlard qu’elle avait dévorés avant de venir, qu’il fallait pour accéder aux Cuisines chatouiller une poire sur un tableau. Elle avait aussi vu que ces Cuisines étaient tenues par des « Elfes de Maison », créatures qui, si ses sources d’information se révélaient exacte, étaient littéralement traitées en esclave par la gent des sorciers tout entière. Penina ne pouvait pas y croire. Il y aurait donc, ici, dans ce monde d’apparence si parfaite, dans cet univers où tout, ou presque, était possible, quelque chose d’aussi horrible que l’esclavage ? Non, ça n’était pas possible ! Pas à Poudlard, pas à quelques pas d’elle, et sans qu’elle ne se fût aperçu de quoi que ce soit.
C’est donc dans l’espoir de voir cette étrange information infirmée que la petite malgache, fièrement vêtue de son uniforme jaune, se rendait ce soir-là, alors que le soleil déjà s’abaissait dans le ciel, vers les cuisines. Et puis, qui sait, peut-être aurait-elle arrivée là-bas un petit creux, et se laisserait tenter par le lieu. Elle avait toujours ce réflexe de profiter de toute la nourriture qui lui était offerte, ayant toujours au fond d’elle-même la crainte si ancrée dans ses mœurs de la famine, et avait une forte tendance à se sustenter plus que de nécessaire, toujours plus ou moins oppressée par la peur de mourir de faim. Il y avait de quoi : deux de ses jeunes compagnons des rues étaient morts, quelques années auparavant, de n’avoir pas su trouver de quoi se nourrir, alors même qu’ils souffraient d’une de ces maladies qui circulent tant dans les rues de Tana, affaiblissant au passage tous ceux qui ont le malheur de se trouver à proximité.
Bref, elle verrait bien le moment venu, mais il était possible qu’elle ne résiste pas à ce fichu instinct de survie qui s’était si bien ancré en elle. Mais, bien-sûr, pas si les elfes étaient ici réduits en esclavage, si le Directeur, à l’aspect pourtant si sympathique et bienfaisant de Poudlard, supportait que des êtres soient dans son école réduits en esclavage. Là, elle ne savait en fait pas vraiment ce qu’elle ferait, en vérité. Elle ne pouvait accepter de se nourrir de mets cuisinés par des êtres maltraités et malmenés ainsi. Mais alors, que ferait-elle ? Comment se nourrirait-elle ? Serait-elle capable de quitter l’école, de quitter cette nouvelle vie qui s’offrait à elle, pour défendre ses convictions ? Oui ! Il le fallait, si elle voulait rester humaine.
Mais, en vérité, n’était-ce pas ainsi partout dans le monde ? Ne pouvait-on pas considérer ces ouvriers chinois ou autre qui produisaient des tonnes de vêtements et autres jouets pour les moldus, ces ouvriers sous-payés, n’étaient-ils pas eux aussi un peu réduits en esclavage ? Comme la frontière entre la morale et l’infamie pouvait se révéler étroite ! A quoi devrait-elle renoncer pour respecter ses convictions et sauvegarder son honneur ?
C’était une question bien épineuse, et qui aurait demandé sans doute davantage de réflexion.
Mais elle arrivait maintenant aux cuisines, suivant le protocole nécessaire, et lorsque le tableau s’écarta pour la laisser passer, elle pénétra, retenant son souffle, dans les Cuisines de Poudlard. Il n’y avait personne, en tous cas. En tous cas, pas d’Elfes de Maison, à moins qu’elle ait été fort mal renseignée, et que ces créatures ces créatures eussent une apparence humaine. Mais il était plus probable que la jeune fille qui se tenait attablée là fût une élève. Oui, à bien y réfléchir, Penina se rappelait l’avoir croisée une ou deux fois. Mais elle était plus vieille qu’elle. Troisième, quatrième année, peut-être. En respect de toutes les procédures, c’était donc à elle de parler la première. Ce qu’elle fit, avec des paroles que Penina, et seulement en vertu de son air plutôt aimable, eut du mal à ne pas prendre pour de la condescendance. La petite Poufsouffle fit la moue, et répondit d’une voix aimable :
- Bonjour… Ce que je fais… J’aurais tendance à vouloir de retourner la question… mais je viens… Comment dire… Visiter ! C’est vrai que les Cuisines sont occupées par des Elfes de Maison ?
Elle laissa son regard se promener un peu à travers la pièce. Non, vraiment, il n’y avait pas d’Elfe ici… Etrange, alors, se pouvait-il que son cher ouvrage l’ait outrageusement trahi ? Après tout, c’était un vieux bouquin, peut-être n’était-il plus d’actualité…
Elle se tourna à nouveau vers la fille qui, ainsi qu’elle le remarqua, portait l’uniforme de Gryffondor. Courageuse, hein ? Bien, si ça lui faisait plaisir, c’était beau, le courage.
- Et… Ces Elfes… C’est bien vrai qu’ils sont tenus en esclavage ?
Elle eut une moue un peu gênée. Peut-être n’aurait-elle pas dû insister, mais le sujet la préoccupait réellement, et elle voulait, plus que tout, savoir.