Chouettes, chocolat et correspondance (PV)

Il n'était pas bien tard, quand Susan franchit le pas de la porte de la volière, ce matin là. Le timide soleil de la fin avril commençait tout juste à éclairer les montagnes environnantes et la plupart des hiboux n'étaient pas encore revenus de leurs escapades nocturnes coutumières. Un détail qui ne semblait pas inquiéter la rouquine outre mesure. Elle connaissait suffisamment bien son Piknikdouille pour savoir qu'il était bien trop froussard pour aller chasser à la nuit tombée (et même en plein jour, d'ailleurs). De toute façon, pourquoi se fatiguer à voleter après des bestioles même pas dépecées alors qu'un gros sac de Miamhibou vous était réservé, dans la malle de votre (adorable) maîtresse ? Il fallait être idiot. Piknikdouille était un hibou sensé, l'instint sauvage avait, chez lui, depuis longtemps cédé le pas au goût du luxe, aussi n'y avait-il rien de très étonnant à ce qu'en cette heure matinale, il se trouve perché dans un recoin sombre de la pièce, profondément endormi.

En reconnaissant le plumage noir de son petit hibou, Susan eut un sourire entendu : elle avait bien fait, de prévoir une barre de graines pour volatile ! Piknikdouille était toujours d'une humeur détestable, quand on le réveillait. En prenant soin de ne pas glisser sur les petits paquets de fientes de hibou, Susan s'approcha doucement de l'animal. Quand elle se trouva assez près de lui pour l'éveiller doucement, elle agita la friandise sous son bec en mumurant :

- Ouh, ouh, Piknikdouille, j'ai besoin de toi...

Le hibou daigna ouvrir un oeil couleur ambre, prudent. Il loucha sur la barre de graines avant de s'ébourrifer les plumes en un froufrou mélodieux. Puis, après avoir laissé échapper un petit hululement - pour bien montrer que quand même, il était outré, non mais ! - il consentit à se rapprocher de la main de Susan et commença à grignoter les graines d'un bac avide.
Satisfaite, Susan tira alors de sa poche une large enveloppe un peu cabossée qui, de toute évidence, ne contenait pas que des feuilles de parchemins et qui portait l'adresse de ses parents à Londres. Avec précaution, la jeune fille entreprit d'attacher la lettre à la patte gauche du hibou (patte qu'il avait, dans sa grande bonté, accepté de tendre).

Que faisait Alexander dans la volière ? Bonne question. En fait il essayait désesperement de décider le faucon de Myrielle à aller lui donner une missive de sa part. Pas qu'Alex ne possède pas son hiboux )dont il se moquait un peu d'ailleur, l'amour des animaux n'était pas vraiment sa première qualité, encore moins quand ils étaient aussi crasseux que les hiboux) mais voilà, Myrielle refusait de lui adresser la parole depuis qu'il lui avait mis une retenue parce qu'elle martyrisait une seconde année (consentante en plus, où va le monde !). Du coup si il s'agissait de son hiboux, elle ne l'ouvrirait pas, et par méfiance, n'ouvrirait pas tout courrier ne venant pas de Preciosa ou autre faucon...

Seulement ce n'était pas une mince affaire et finalement il était resté essouflé de sa course poursuite avec le faucon quand Susan était entrée. Il ne lui avait d'abord pas parlé parce qu'il n'avait pas suffisament de respiration pour ça, mais là qu'il commençait à aller mieux il s'avança dans la lumière jettant un dernier regard mauvais à Preciosa. *Tu pourrais me rendre service quand même !*

"Bonjour mademoiselle Bones" dit avec sa politesse habituelle le jeune métis. En parlant de métis plus il grandissait et moins il ressemblait à sa mère, ce qui en un sens était logique puisqu'il était un homme, il fallait bien qu'il prenne en vieillissant quelques traits de son père. Cela faisait déjà plus viril. Il gardait des yeux en amande mais il faisait moins asiatique que lorsqu'il était enfant ou à son arrivée à poudlard. Puisqu'il devrait vivre en Angleterre ce n'était pas plus mal, en plus ses yeux bleus faisaient trop étrange lorsqu'il était plus jeune. Cette anomaie génétique l'avait longtemps rendu moins beau que les autres mais maintenant ses yeux en amande était un atout.

Pour en revenir à Susan, il s'approcha et la regarda avec son hiboux. "Vous avez une missive à envoyer ?" Question oratoire puisqu'inutile, il pouvait le voir de lui même. "La mienne ne veut pas partir, mon coursier y met de la mauvaise grâce."

Susan frôla l'arrêt cardiaque. Piknikdouille aussi (un des points communs entre le volatile et sa légitime propriétaire était leur tendance à sursauter à tout va). La rouquine laissa échapper un petit cri perçant et se retourna d'un bloc tandis que Piknikdouille, hululant sa désapprobation, se mit à voleter en tous sens autour d'Alexander, sans doute dans le but non avouable de lui percer les tympans.
La Poufsouffle rougit de confusion et bredouilla un inaudible "pardon". Mais Alexander n'eut probablement pas le loisir de l'entendre, étant donné le niveau sonore des piaillements de Piknikdouille. Confuse, mortifiée et même carrément contrite, la petite Poufsouffle se dirigea d'un pas vif vers son hibou, manquant au passage de déraper sur une fiente de hibou, et s'écria, visiblement très en colère (note, ce n'était que énième fois qu'elle passer pour une cruche devant Alexander, elle devrait commencer à s'y faire) :

- Pik ! Ici ! Ici tout de suite, j'ai dit !

Le dénommé "Pik" cessa un instant de tournoyer autour d'Alexander pour se rapprocher de la jeune fille. Et même sa petite cervelle de hibou fut en mesure de comprendre que ce n'était pas vraiment le moment de jouer les réfractaires aux ordres bonesiens. Il lança un dernier regard torve de hibou mécontent à Alexander, accompagné un ultime hululement indigné avant de revenir se percher sur l'épaule de Susan. Laquelle lui refila un morceau de Miamhibou pour s'assurer que son mutisme serait de longue durer. Piknikdouille entreprit d'ingurgiter l'aliment sans quitter Alexander des yeux. Ce qui lui donnait des airs de prédateur passablement ridicules.
Le calme revenu, Susan en profita pour virer au cramoisi et s'autorisa même un petit piquage du nez en direction de ses souliers, avant de baragouiner d'une voix flûtée bien embêtée :

- Euh... Je suis désolée, euh... Il est un peu nerveux euh...

Comment se faire pardonner un tel affront ? Encore heureux que Piknikdouille n'ait pas jugé bon de lui fienter (du verbe "fienter", au subjonctif imparfait : que je fientasse) sur le sommet du crâne.
Toujours fort rouge, Susan avisa la missive qu'Alexander tenait toujours. Alors, sans même prendre le temps de réfléchir à ce qu'elle disait, elle renchérit, avec une déférence digne d'une gouvernante anglaise face à sa Grâcieuse Majesté :

- Hum... Si ce n'est pas trop loin, je peux prêter Piknikdouille... , proposa-t-elle en lançant un regard féroce au hibou, lequel claqua du bec, l'air de dire "Moi, j'y suis pour rien !"

Ceci étant, les chances pour qu'Alexander accepte les services d'un hibou aussi enquiquinant étaient minces. Il allait probablement croire que Susan cherchait à rendre sourd le destinataire de sa lettre par pure méchanceté. L'un dans l'autre, elle aurait peut-être mieux fait de se taire.

Alexander avait déjà connu meilleur acceuil... Mais ce n'était pas très grave en soit. Le temps de se remettre les tympans en place et tout allait bien. "Ce n'est pas grave... je n'ai pas beaucoup de succé auprès des volatiles aujourd'hui". Il connaissait par coeur Susan et il était près à parier tout son argent de poche que la petite rousse s'en voulait plus que de raison pour ce petit incident. Elle était comme ça Susan, Poufsouffle jusque dans leurs défauts. Regardant d'un air las sa lettre que Preciosa ne voulait pas prendre, il soupira et secoua la tête. "Non, elle n'ouvrira pas la lettre si c'est un hiboux qui la lui donne... Mais c'est gentil de proposer mademoiselle Bones."

S'adossant à une poutre basse, il posa ses yeux bleus sur Susan avec un petit sourire. "Votre hiboux n'a pas l'air de beaucoup m'aimer..." Il disait cette phrase avec un petit sourire. Il n'avait pas beaucoup eu l'occasion de parler avec sa collègue cette année, il faut dire qu'elle avait été riche en changement... Déjà il avait décidé de ne plus porter de lunette, c'est anodin pour tout le monde mais pas pour lui, et il y avait Lavande... Il ne savait pas si il devait le dire à son amie, après tout, elle était aussi l'amie de la rouge et or. Il vallait cependant mieux qu'il lui aprenne, ce serait mieux venu et lui éviterait de croire les éventuelles horreurs que Parvati ne manquerait pas de dire sur son compte.

"Au fait mademoiselle Bones... Il faut que je vous dise que ma relation avec mademoiselle Brown est momentanément mise entre parenthèse..." Peut être pour toujours mais ça il ne le saurait qu'à la rentrée qui était encore lointaine. Dans l'immédiat la jeune fille l'évitait et il faisait de même. Qu'est ce qu'il était las de tout ça... Un tango ce n'est qu'un tango (au risque de me répéter), ça ne valait pas tout ces ennuis et toute cette tristesse. Alexander en était persuadé et il ne démordait pas de son idée.

Il souhaitait que tout s'arrange avec les vacances d'été mais celles ci promettait d'être morne. Bien sûr il y aurait la petite fête que sa mère avait prévu, mais tout même... Il allait s'ennuyer... le reste du temps...

Susan rougit jusqu'à la racine des cheveux et se précipita sur la patte gauche de Piknikdouille pour attacher son paquet avec une délicatesse et une minutie qui étaient certainement là pour cacher son trouble. Elle était intimement convaincue qu'Alexander refusait d'emprunter Piknikdouille parce qu'il se sentait profondément blessé par l'attitude du hibou. Bien entendu, il n'osait pas le lui dire comme tel, mais c'était une évidence aux yeux de la rouquine. Quelle excuse idiote, tout de même : comme si quelqu'un pouvait sérieusement refuser d'ouvrir une lettre émanant d'un hibou. D'ailleurs, il entérinait bien sa position avec son innocent petit "votre hibou n'a pas l'air de beaucoup m'aimer." Peut-être devrait-elle abattre Piknikdouille pour... Oh Merlin, non ! Pauvre Pikie ! C'était entièrement de sa faute, s'il était d'une humeur massacrante. Otus dormiens nunquam titillandus.
D'une voix tremblante, elle s'empressa de rectifier, toujours le nez penché sur la patte de son hibou, lequel lançait de temps à autre des coups d'oeil torves à Alexander, lui signifiant clairement qu'il ne perdait rien pour attendre sauf s'il consentait à lui offrir toute une caisse de Miam-Hibou, bien entendu :

- Oh, c'est de ma faute, c'est entièrement de ma faute ! La pauvre petite bête déteste véritablement être réveillée... Excuse-moi, vraiment ! rajouta-t-elle en se tournant brusquement vers Alexander, un air de désespoir contrit presque douloureux sur le visage.

Dieu merci, le Poufsouffle n'avait pas l'air de vouloir revenir sur la question. En fait, il était même passé du coq à l'âne. Susan prit la confession d'Alexander de l'air résigné de qui s'y attendait un peu. Les rumeurs allaient bon train dans les couloirs depuis le bal. Susan s'était efforcée de ne pas y prêter attention, considérant comme une déloyauté sans nom envers Alexander le fait de leur accorder du crédit, mais elle était toutefois assez observatrice pour remarquer qu'Alexander et Lavande étaient plutôt distants l'un avec l'autre.
L'innocence de Susan en avait cependant conclu qu'il s'agissait là d'une technique amoureuse lui échappant totalement. Il fallait croire que non, finalement. Elle pencha la tête sur le côté et lança à son ami un regard perçant où se mêlaient candeur angélique et profonde tristesse. Pauvre Alexander, pauvre Lavande ! Ils étaient si choupinets, tous les deux !

- J'espère que ça s'arrangera, dit-elle d'un ton solennel dont la sincérité n'était pas feinte.

Après tout, dans les histoires, les amoureux finissaient toujours ensemble à la fin, même si tout allait mal pour eux jusqu'à la dernière ligne.
Une pensée parut subitemment traverser la tête de Susan qui se redressa soudain et demanda :

- Alexander, j'ai encore le droit de causer à Lavande ?

Le préfet des jaunes et noir fut tellement surpris de la question de Susan qu'il manqua de peu de perdre l'équilibre. Il faut dire qu'à la base elle avait eu la réaction attendu, elle le plaignait un peu, tentait de le comprendre. C'était ce qu'on pouvait attendre de Susan... Mais c'était à croire que sa loyauté n'avait aucune limite. Cependant cela réchauffa un peu le coeur d'Alexander qui se sentait un peu seul contre tous. Il ne voyait pas de crime dans le fait de danser, sa mère en avait fait son métier et son père ne lui reprochait pas... Oui, vraiment, il ne comprennait pas.

"Heu... mais... Vous savez je ne suis pas fâchée contre mademoiselle Brown, et je ne vois pas de problème à ce que vous lui parliez." Il était tout gêné, il faut dire que c'était assez inconfortable de "donner l'autorisation" (il n'y avait pas d'autres mots) à l'un de ses plus anciennes amies de parler à son ex. Il lui semblait naturel de ne pas se mettre entre Susan et Lavande même si il esperait que Susan ne croirait pas toutes les horreurs que Parvati débiterait sûrement sur son compte. "Par contre je pense qu'il vaudrait mieux éviter de parler de moi quand vous êtes avec elle, ça me génerait que mes histoires d'amour dégrade l'opinion que vous avez de moi... Non que je sois tout blanc dans cette histoire, mais j'ai reçu peu de soutien. Tout le monde est d'accord avec elle, encore que je n'y comprenne rien, j'ai peut être tout les tords... Mais je ne veux pas perdre mes amis pour autant." Sur quoi il fit un mince sourire à son amie. Vraiment... tout allait mal cette année, vivement les grandes vacances ! Elles seraient sûrement meilleurs que tout les précédents mois. Et il aurait 15 ans ! Ce n'était pas rien ! Il allait devenir un jeune homme. Il avait déjà pas mal changé physiquement depuis un an, mais ça ne ferait que s'accentuer avec un an de plus.

Si il devait formuler un souhait, là, tout de suite, maintenant, ce serait que l'an prochain soit différent, totalement différent. Moins triste et plus mouvementé (dans le bon sens), voilà ce qu'il voulait. Allez savoir si son voeux sera exaucé... Nul ne le sait encore.

Le Choixpeau n'avait pas eu besoin de beaucoup de réflexion pour répartir Susan. Le "Poufsouffle" avait jailli de sa bouche tordue dès que son rebord avait effleuré les cheveux de la rouquine. Donc oui, sa loyauté était sans limite parce que Susan était Poufsouffle jusqu'au bout des doigts de pieds. Mais sa loyauté aurait été bien mise à mal si Alexander lui avait interdit de fréquenter Lavande. Car la Gryffondor était, elle aussi, l'amie de Susan. Refuser de la voir aurait été la trahir. Mais la voir sans l'autorisation d'Alexander était également déloyal. Son soulagement fut donc immense quand elle apprit qu'elle n'aurait pas à entrer dans une clandestinité coupable pour parler à Lavande.

Elle espérait le sujet clos - c'était très gênant d'entendre Alexander parler de ce genre de chose ! - elle se trompait. Visiblement, le Poufsouffle avait envie (besoin ?) de vider son sac. Quoique, de l'avis de Susan, il se montrait bien calme, par rapport à ce qu'elle avait déjà eu l'occasion d'entendre en pareilles circonstances. L'ennui, quand on est aussi discret et compatissant que Susan, c'est qu'on s'attirait facilement les confidences. Et le temps passant, les petites querelles enfantines qu'on venait déverser au creux de son oreille attentive s'étaient transformées en flirt adolescent. Ce qui était autrement plus gênant, surtout quand on n'entendait rien à ce genre de problème. Ce qui était le cas de l'ingénue Susan qui, jusqu'à l'an passé, était persuadée qu'un "petit copain" était un ami de petite taille et que, par conséquent, on pouvait la qualifier de "petite copine".

Mais son naturel était bien trop bon pour qu'elle ose couper Alexander dans ses (maigres) épanchements et l'idée ne lui en traversa même pas l'esprit. Elle se contenta de pencher un peu plus la tête d'un air grave avant cligner des yeux dans une candeur presque offusquée. Bien entendu qu'elle se tairait ! Enfin, ce n'était pas à elle d'aborder ce genre de sujet, tout de même ! Elle pinça les lèvres, un peu vexée malgré tout, et jura d'une voix flûtée :

- Promis, je n'y penserai même pas ! Tu veux que je crache par terre ?

Elle sourit vaguement avant de poursuivre plus joyeusement :

- De toute façon, quand je suis avec Lavande, c'est toujours elle qui parle ! Elle est plutôt bavarde, et moi, je préfère écouter.