Apophis Sykes n'avait pas revu Scrimgeour depuis des semaines et, plus exactement, depuis ce fameux drame dont il avait été l'auteur et Léandrà le témoin. Nous étions à présent au début du mois de juillet et Poudlard avait désormais fermé ses portes pour les grandes vacances. Officiellement, son poste en tant que sentinelle était donc relevé.
Sykes avait établi un rapport tout au long de l'année dans lequel stipulait ce qu'il avait découvert comme ce qu'il avait remarqué. Quelques phrases, néanmoins, demeuraient importantes car elles parlaient de Quint et de ce qui s'était passé suite à la fin du Tournoi des Trois Sorciers, la mort de Diggory, les affabulations du jeune Potter et le meurtre de Croupton tué par son fils, Junior.
Comment rester serein alors que ces mois n'avaient été qu'une suite ininterrompue d'événements désastreux ? C'est à peine si lui-même consentait à tenir debout, et il ne devait sa seule présence qu'aux doses incommensurables de café qu'il ingurgitait chaque jour. La dépression que subissait l'Auror Sykes, bien que contenue, se laissait entrevoir à travers son accoutrement désinvolte, son allure blasée et son attitude vaine et cynique. Tout ceci suintait de lui comme de l'acide, s'écoulant de ses pores, de son être tout entier afin de le rendre plus curieux et plus inquiétant encore...
Ainsi, assis confortablement sur l'une des chaises en face de la salle d'audience, un genoux replié sur sa cuisse, Apophis observait ses ongles sur un sourire sarcastique, apportant alors une très grande attention à ses larges et lourdes mains. Le jeune homme en plia et en déplia ses longs doigts comme pour écraser une mouche contenue dans sa paume puis releva automatiquement la tête au cliquetis venant des portes face à lui. Il resta un instant interdit puis fronça les sourcils... A présent, elle serait prête à le recevoir...
D'après ce qu'on lui avait dit Dolorès Ombrage, éminant personnage, avait eu vent de ses pérégrinations au sein de Poudlard et s'était montrée très intéressée quant à ses travaux et à ses compte-rendus. Connaissant la réputation stricte et tatillonne de cette femme -qui lui avait valu ses appuis et son succès- Sykes considérait comme un honneur qu'elle veuille se pencher sur son enquête et aille jusqu'à lui demander un entretien. L'Auror savait qu'une occasion comme celle-ci ne se présentait qu'une seule fois dans une vie et qu'il valait mieux la saisir sur le champ...
Cependant, et c'était ce qui le déroutait, Rufus n'était pas venu en discuter avec lui et n'avait pas non plus pointé le bout de son nez pour lui fournir de quelconques consignes à respecter. Cela l'intriguait plus que de coutumes et, connaissant les habitudes du Chef des Aurors, Apophis n'en était guère plus rassuré...
La porte s'ouvrit sur un grincement, chassant les songes et considérations du jeune homme et laissant apparaître un petit homme sec en costume et au long nez chaussé de lunettes demi-lunes. L'Auror releva la tête sur une mine attentive.
"M... Madame Ombrage va vous recevoir", baragouina le vieillard puis il fixa l'imposante masse qui se leva d'une traite et lui passa devant sans un mot, aucun. Le petit homme referma la porte derrière lui sur une moue bougonne, le laissant seul. Les deux battants cognèrent l'un contre l'autre avec le bruit du tonnerre.
Pour la première fois depuis six ans, Apophis Sykes venait de traverser les portes de la salle d'audience -salle dans laquelle il avait été plusieurs fois convié, invité plus pour son apprentissage que pour son utilité. La dernière fois qu'il y avait mis les pieds, c'était pour défendre David Smith, devenu plus tard son élève. Apophis caressa du regard ainsi que des doigts la place que Rufus et lui-même avaient occupé à cette époque...
*"Ce n'est donc pas un homme que je vous demande de condamner, Monsieur le Juge, mais un criminel ! Un criminel de sang-froid ayant assassiné toute sa famille sans aucun scrupule ! Un criminel que l'on a retrouvé sur les lieux de son crime ! Un Mangemort, un sorcier dénué de toute bonté d'âme !".
Apophis Sykes laissa un léger rictus se tailler dans la chair de ses joues arrondies. Il se renfonça un peu plus sur son siège tandis que Rufus lui décochait un bref regard intrigué... Le Chef des Aurors voulut se pencher à son oreille, mais l'avocat de la défense continua de sa voix de baryton.
"Un homme cruel que toutes les preuves accablent ! -il pointa un doigt féroce sur l'accusé- Un homme qui a avoué son crime ! Un homme qui...".
"Pardonnez-moi de vous interrompre, coupa abruptement le Juge, mais il n'est marqué nulle part que cet homme ait fait des aveux !".
La salle entière se tourna vers l'avocat. L'homme baissa soudain les yeux, comme cherchant quelque chose, puis les releva et se tint bien droit afin de se donner consistance.
"Assurément, Monsieur le Juge. Seulement nous dépêcherons quelqu'un afin qu'il puisse avouer tous ses méfaits ! Ce n'est qu'une question d'heure !".
"Et que pouvez-vous dire quant à son arrestation ?".
Et l'avocat reprit son exposé avec ferveur et passion, se tournant vers chacun comme un véritable comédien dramatique, pointant un doigt accusateur vers ce jeune homme pieds et poings liés dans sa cage de fer. Apophis se baissa à l'oreille de son maître et souffla doucement :
"C'est pas lui, l'accusé...".
Rufus roula sur lui des yeux stupéfaits. Embarrassé à l'idée que l'on ait pu entendre ce jeune Auror, coulant des regards discrets vers les autres sorciers. Il se pencha à son tour et murmura :
"Qu'est-ce qui vous rend si sûr, Auror Sykes ? L'exposé n'est même pas terminé que vous commencez déjà à avoir ce genre de théories !".
"C'est pas lui l'accusé, vous dis-je. -et il marqua une pause, observant ce gamin prostré dans sa cage- Regardez-le ! Il serait dans la rue qu'on lui donnerait une mornille !".
"Même les pires criminels ont souvent des attitudes angéliques, Apophis...".
Et le gamin entêté que Sykes était alors tourna lentement sur lui ses grands yeux pétillants et espiègles.
"Quand je suis entré pour la première fois dans votre bureau, vous m'avez catapulté aux archives, vous vous souvenez ?".
Rufus marqua une mine perplexe.
"Oui, c'est probable...".
"C'est même sûr, je m'en souviens très bien. Vous saviez qui j'étais et, malgré mon nom, vous étiez quand même prédisposé à m'offrir ce poste, n'est-ce pas ?".
"C'était nécessaire, Auror Sykes. Vous veniez d'obtenir votre diplôme ! Je ne pouvais décemment pas vous laisser moisir dans votre coin...".
Sykes esquissa une petite moue indécise tout en levant ses yeux vers le ciel d'un air de ne pas y toucher. Il reprit sans attendre :
"Moui... enfin bref, vous avez quand même pris le risque de vous charger de moi !".
Ses pupilles frémissaient d'excitation dans l'attente de la réponse de son supérieur. L'homme soupira pour finir et admit sur un geste vague :
"Oui, oui... Enfin, je pensais ne pas être déçu, voila tout !".
"Et bien moi c'est pareil avec ce môme...".
"Que voulez-vous dire par là ?".
"Je veux dire par là que les apparences sont parfois trompeuses et qu'il vaut souvent mieux se fier à son intuition qu'à toute autre démonstration logique ! Ainsi, je flaire d'instinct que ce type n'est pas le coupable que nous recherchons !".
Rufus, peu tranquille, jeta un sourire poli alentours tout en se dandinant nerveusement sur sa chaise. Il se repprocha d'Apophis :
"Vous êtes jeune, Sykes... vous apprendrez, plus tard, que votre supposition est aussi à double tranchant...".
"Si je ne tente rien, je n'aurai rien !".
Puis il avait détourné son visage d'ange de lui et en était revenu à la cour, à ce petit bonhomme d'avocat qui brassait toute l'air qu'il pouvait et à l'être stoïque, refroidi et mort dans sa cage qui attendait patiemment le verdict comme une bête d'abattoire. Quelque part, l'Auror Sykes s'était senti proche de lui... Peut-être parce queà un moment donné de leur vie, ils avaient subi les mêmes supplices mais pour différentes raisons.
"Il est innocent, je vous le garantis !".
Puis il s'était tu et n'avait cessé de l'observer tout au long de la séance...
Dans quelques jours, il partirait pour Madrid -les seules vacances qu'il n'eut jamais durant toute sa carrière- accompagnée d'une fille rencontrée au hasard, au Chaudron Baveur. Et à son retour, il se verrait confié des mains de l'avocat général le dossier Smith, avec ordre formel d'interroger le détenu et d'en tirer tous les aveux possibles.
Et cette faveur il ne la devait qu'à Rufus...*.
Apophis demeurait stoïque, droit comme un seul homme devant le banc qu'il avait occupé autrefois. Ses yeux d'océan fixait la cour centrale où l'on avait installé David et combien d'autres accusés tous aussi véreux les uns que les autres... L'Auror, quant à lui, avait été tenu d'assister à un certain nombre de procès mais il savait aussi qu'il n'avait pas été le seul dans ce cas...
Tournant alors lentement la tête vers le siège des Juges, il aperçut la femme pour laquelle il était venu. Elle était là, debout et face à lui, n'ayant pas encore pris le temps de s'asseoir.
Le jeune homme fit quelques pas dans sa direction et lui adressa un sourire narquois tout en inclinant gracieusement la tête afin de la saluer. Il ne s'attendait pas à ce que du haut de toute sa supériorité Dolorès daigne lui répondre.
"Mes hommages, Madame Ombrage. Je suis l'Auror Apophis Sykes, disciple de Brad Callagher et sentinelle dépêchée à Poudlard durant l'année 1993 à 1994. Ravi de vous rencontrer...".
*Ou plutôt de vous revoir...*, songea-t-il sur une mine amère.
Accueil 
