De retour de voyage - état des lieux [LIBRE]

Irma craignait le pire après avoir été absente de longs mois, aussi n'avait-elle pas souhaité dès son retour, la veille au soir, constater l'état certainement déplorable de la bibliothèque. Les péripéties du voyage, la lecture et relecture d'une lettre particulière et son arrivée au château lui avaient donné son comptant d'émotions. Elle avait donc traversé l'immense salle dans l'obscurité pour gagner la petite porte qui donnait sur sa chambre personnelle, dans laquelle elle s'était enfermée d'un geste vif.

Le matin, à l'aube, elle prit une grande inspiration comme pour se jeter à l'eau, puis elle ouvrit la porte et commença son inspection. A première vue, c'était propre; les elfes avaient fait leur travail. Mais c'était justement l'une des choses qui inquiétaient la bibliothécaire: que les elfes mettent leurs affreuses pattes partout et abîment les reliures en voulant les laver, ou détruisent la fine pellicule d'or d'enluminures séculaires en les voulant brosser.

Cependant, peut-être par crainte des représailles, ils s'étaient visiblement montrés prudents. Par contre... palsembleu! Les élèves, que l'absence de la bibliothécaire avait incités à une coupable insousciance, avaient corné des pages, et il y avait de minuscules tâches visibles à ses seuls yeux perçants. Les vandales! Les hérétiques! Si ça n'avait tenu qu'à elle, elle aurait brûlé vivants les coupables.

On avait aussi complètement négligé son classement - les narines d'Irma palpitèrent. Elle décida courageusement qu'elle allait reprendre une à une chacune des centaines de milliers d'oeuvres de la bibliothèque pour vérifier son état et si besoin la restaurer, et puis reprendre tout son classement de zéro. Elle en aurait au mieux pour quelques semaines, mais plus certainement pour quelques mois.

D'un geste pensif, elle créa plusieurs exemplaires de son patronus - une belette - qui partirent informer les rares élèves qu'elle appréciait de son retour et leur demander de l'aide au moins pour le classement tandis qu'elle s'affairerait à restaurer les ouvrages.

Elle ne savait pas trop qui de ses petits chouchous étaient toujours à Poudlard. Daniel Sallers, qui avait un temps été un assistant précieux, répondrait-il à l'appel? Et l'adorable petite Laura Thinkingen, qui avait tant de respect pour les livres, et de curiosité pour toutes choses? Et la studieuse Rory? Sinon, elle trouverait peut-être quelques personnalités intéressantes parmi le troupeau de veaux des nouveaux élèves qu'elle ne connaissait pas.

Irma Pince ouvrit la grande porte à doubles-battants: les élèves qui souhaitaient emprunter rapidement un livre ou le rendre avant les premiers cours n'allaient pas tarder. Justement, Irma entendit des pas.

Il n’en avait jamais fallut beaucoup pour détourner Laura de ses devoirs, surtout un jour où elle n’avait pas cours le matin, alors même qu’elle s’était levée particulièrement tôt pour travailler. Elle en avait en effet déjà assez de potasser son cours de Défense Contre les Forces du Mal, la matière où elle avait le plus de mal, au bout d’une petite demi-heure passée penchée sur ses notes. Le pire était sans doute que le sujet n’était pas inintéressant. Ca ne l’était que rarement, en DCFM, mais bon, il y avait tant de formules, de définitions, de méthodes de combat à apprendre que la concentration de la jeune sorcière ne tardait pas à s’envoler vers d’autres horizons, et notamment les vacances scolaires qui approchaient. Mais, avant cela, il y avait des examens à passer et la petite Gryffondor, depuis un mois qu’elle avait commencé ses révisions, n’en était qu’à la moitié du programme. Elle savait bien qu’elle aurait dû s’y prendre plus à l’avance, mais elle n’avait jamais été une professionnelle de l’organisation.

Dans ces conditions, il n’était pas étonnant qu’un patronus venu l’avertir du retour de Mme Pince, qui avait besoin d’aide qui plus est, ne la détournât facilement de ses devoirs, qu’elle savait pourtant très important. Comme je viens de l’expliquer cependant, elle avait besoin de se changer les idées et d’oublier les vampires, loups garous et autres strangulots, toutes sortes de bestioles qu’elle préférait ne jamais rencontrer. Ca lui éviterait en effet d’avoir à se servir de sorts qu’elle ne maîtrisait qu’à moitié, et encore c’était beaucoup dire. Mais encore, elle ne se mentait pas à elle-même, tout comme elle mentait rarement aux autres : la Gryffondor savait pertinemment que c’était son manque de travail régulier et d’attention en cours qui l’empêchait d’être dans la moyenne de la classe, et ce qui faisait qu’elle perdait régulièrement en DCFM, sortilèges et métamorphoses les points qu’elle gagnait par ailleurs en botanique, Etude des Moldus et Soin au Créatures Magiques… en tout cas, la jeune sorcière rangea en vitesse ses affaires et courut à travers le château pour rejoindre la bibliothèque qu’elle avait trouvée si changée sans la vieille bibliothécaire.

Tout en courant, enfin, en marchant, connaissant bien à présent les escaliers et leurs facéties, Laura songeait à ce qu’elle pourrait bien dire à Mme Pince qui, après tout, restait une professeure. Une des rares qu’appréciait la jeune Gryffondor, à vrai dire, et ce malgré toutes les remarques acerbes qu’on pouvait faire et les rumeurs qui tournaient sur son compte. De toute façon, la jeune Gryffondor se préoccupait rarement de ce que pensaient les autres, y compris quand c’était à son propos. Seuls les avis de ses amis, et elle n’en avait pas tant que ça à Poudlard, comptaient vraiment. Cela concernait Abbygael, Rory, et… ? Voilà tout. Les autres, et notamment les Serpentard, pourquoi y ferait-elle attention ? La troisième année estimait suffisamment bien se connaître pour ne pas avoir besoin des autres. Et pour ce qui était de ce qu’elle allait dire à Mme Pince, et bien…elle improviserait, comme d’habitude, après tout. D’ailleurs, elle arrivait à la bibliothèque. Elle poussa la porte et…

- Bonjour Mme Pince.

Laura n’osa pas ajouter « contente de vous revoir » ou une autre formule du genre, qui aurait pu paraître déplacée. Il faut en plus considérer que malgré tout le bien que pensait la Gryffondor de la bibliothécaire, celle-ci restait impressionnante et intimidante.

Le coeur tout sec d'Irma Pince, bibliothécaire, fondit en voyant arriver sa petit Laura. Ses préjugés à l'égard de la petite - qui avait au fait rudement grandi - étaient tels que quoi que pu faire Laura, Irma penserait toujours que ce serait bien - ou alors la faute de quelqu'un d'autre. Elle se fendit d'un sourire. Cette petite était si polie! Si bien élevée. On pouvait être sûre qu'avec tant de bonne volonté, Laura était une bonne élève, et si jamais ce n'était pas le cas, alors ce serait qu'elle était incomprise, et Irma irait elle-même dire deux mots à ses collègues obtus.

D'ailleurs la chère enfant avait été la première à accourir, c'était bien un signe. Toujours prête à aider les autres, et si curieuse des livres qu'elle les voudrait bien classés. Irma nourrissait secrètement l'ambition de faire de cette élève une bibliothécaire un jour: elle l'aiderait dans ses études, lui prêterait même les livres qu'elle refusait aux autres; elle la soutiendrait et le jour venu, la prendrait pour bibliothécaire adjointe (elle-même se hissant alors au statut de bibliothécaire en chef). Lorsqu'elle prendrait sa retraite, ce serait le coeur léger de savoir les livres entre de bonnes mains.

Irma sourit derechef à cette évocation, les yeux embués de larmes attendries. Ses zigomatiques qui n'avaient jamais été tant sollicités lui rappelèrent dans une crampe pénible qu'il ne fallait pas trop abuser. Irma Pince reprit son air d'austérité.

"Bonjour Laura. J'espère que des camarades vont venir t'aider. Il y a 628 253 livres à classer. Pour ma part, je dois restaurer ceux qui sont abîmés. Tu t'appuies sur la liste que voici pour remettre chaque ouvrage à sa place, et tu m'apportes à mon bureau tout livre qui a besoin d'être restauré, ce qui implique que tu portes une haute attention à chacun."

Elle lui sourit une fois de plus (décidément, je m'amollis), consciente de lui faire un grand cadeau en lui permettant d'accomplir ce travail prestigieux. Prenant place majestueusement derrière son bureau pour restaurer avec soin et au milimètre prêt le premier volume, Irma ajouta:

"Je t'attendrais chaque matin à 6H pour continuer avant tes premiers cours cette tâche que tu entreprends ce matin". Elle se plongea ensuite avec tact dans son travail pour éviter à Laura d'avoir à manifester sa gratitude.

Comme Mme Pince s’était détournée, Laura resta quelques secondes sur place, le regard dans le vide, tétanisée. Elle s’était sacrément faîte avoir, elle devait bien le reconnaître. La voilà engagée contre son gré, sans même qu’on lui demande son avis, pour ranger les innombrables bouquins de la bibliothèque, et ce jusque la fin de l’année. Le nombre qu’avait annoncé la bibliothécaire était d’ailleurs assez impressionnant. Pour tout dire, il n’évoquait pas grand-chose à la petite sorcière. Qu’est ce que c’était exactement, 628 253 ? Jamais elle n’aurait pu penser qu’il y avait autant d’ouvrages à Poudlard, et encore, c’était sans parler de la réserve, cette mystérieuse réserve à laquelle la Gryffondor espérait encore pouvoir accéder un jour, même si elle était bien consciente que cela ne ce ferait pas, si jamais son espoir se réalisait, avant sa sixième ou septième année. On racontait en effet que certains grimoires rangés dans l’un des endroits les plus interdits du château étaient tout bonnement terrifiants et plus que dangereux.

Avec un soupir résigné, Laura jeta un regard à la liste que lui avait donnée Mme Pince. Il y avait tant de livres inscrits dessus que ça en devenait inimaginable. Se pouvait-il que seulement la moitié de ces ouvrages soient lus, ou même aient déjà été lu par quelqu’un à Poudlard ? Si l’on exclut la bibliothécaire, bien entendu, qui pouvait sans doute dire où se trouvaient chaque œuvre et en faire un résumé complet en quelques secondes. En tout cas, la Gryffondor espérait effectivement quelqu’un allait venir la secourir, sinon elle y serait encore l’année prochaine, et elle ne comptait pas perdre tout son temps à ranger des bouquins, surtout si tôt le matin. D’ailleurs, il n’était même pas sûr qu’une année entière suffirait pour tout reclasser comme le voulait Mme Pince. Et puis, une autre question d’importance se posait pour la petite sorcière : les étagères de Poudlard étaient très hautes et certains livres se rangeaient au dessus de la taille de la lionne. Je veux dire, bien au dessus. La troisième année se savait encore trop malhabile avec le sort de lévitation (elle savait le lancer, certes, mais le contrôler était encore un peu difficile pour elle si elle ne s’épuisait pas dans une longue concentration) pour risquer de faire s’écrouler les étagères de la bibliothèque.

Laura pensa un instant à avertir Mme Pince de ce grand soucis – c’est le cas de le dire – mais elle se dit très vite qu’elle avait autant ne pas perdre de temps et s’occuper de ce qu’elle pouvait faire. Elle chercha donc dans la liste les livres qu’elle connaissait déjà, soit ceux qui traitaient de la fondation de Poudlard et de la nature ; afin de les rassembler en deux tas. Ceux-là, elle savait où ils allaient. Ainsi, elle n’aurait pas à chercher pendant une demi-heure l’étagère en question. Le seul problème était qu’elle devait également vérifier l’état des livres, et ça, par contre, ça risquait de lui prendre un temps énorme. Enfin, de toute façon elle n’avait pas vraiment le choix, alors autant faire ce qu’elle devait le plus vite possible. Et prier pour que quelqu’un d’autre arrive au plus vite.

'"Tatitam tam", chantait dans sa tête pour ne pas troubler le silence de la bibliothèque Irma Pince ravie de retrouver ses livres. Elle était comme un poisson dans son bocal, elle avait retrouvé son essence et sa raison d'être, le Savoir ! Non pas le Savoir pour mieux comprendre la vie, son fonctionnement, et ses raisons ultimes, mais le Savoir comme seule fin en soi, richesse à accumuler comme d'autres accumulent les pièces d'or, et elle était alors ici comme dans un coffre-fort, dans lequel quelques parasites appelés "élèves" avaient le droit, pour une raison qu'elle n'avait jamais tout à fait comprise, de venir fouiner et mettre du désordre et tout salir, les petits cancrelats! Heureusement il y avait quelques exceptions, pensa-t'elle en jetant un regard ému à la petite qui triait les livres avec soin et, elle en était certaine, autant de joie qu'elle avait eu elle-même à faire ses débuts en l'an 19... enfin bref, à faire ses débuts.

Elle finit de réparer à la perfection le volume qu'elle avait dans les mains, le posa sur une pile de trois livres déjà réparés, et entama la réfection du volume suivant. Bien sûr, cela prendrait du temps, mais ensuite sa bibliothèque serait... parfaite. Ayant fini celui-là, elle alla en chercher un autre et se faisant, se pencha en avant, pliée en deux, vers une caisse. La grosse clef de la Réserve, qui pendait autour d'une ficelle elle-même autour du cou de giraffe de la bibliothécaire, oscilla quelque peu. C'était toujours une joie pour Irma de porter cette grosse clef, qui était un peu comme celle "du coffre-fort dans le coffre-fort", la Réserve étant en effet le saint des saints, celui où étaient dissimulés à l'abris des regards les livres trop polémiques, trop tendencieux ou trop... dangereux.

Soudain, alors qu'elle se redressait, Irma sentit une vague de chaleur l'envahir de façon incompréhensible. Hein, quoi? Qu'est-ce qui lui arrivait? On lui avait peut-être jeté un sort, c'était peut-être cette morue assistante de Filius qui cherchait à se débarrasser d'elle, oui, c'était ça, Irma en était sûre! La scélérate avait du jeter une pincée de poison dans son eau et maintenant Irma allait mourir! Affolée, cherchant l'air et ne le trouvant plus malgré sa respiration saccadée, Irma se trouva mal, se sentit défaillir et tourner de l'oeil, elle vacilla, commença de tomber et s'écroula ~~en un tas d'os~~ sur le sol en perdant connaissance.

La pauvre Laura se trouvant seule dans la bibliothèque avec Irma Pince, il lui incombait bien entendu de lui porter secours.

Pendant ce temps, Laura se trouvait dans les rayonnages, une pile de livres trop grosse pour elle sous le bras. D’ailleurs, son bras commençait à fatiguer. Son entraînement sportif faisait qu’elle était assez forte par rapport à sa petite taille, mais elle était encore loin d’être une montagne de muscles – et n’envisageait d’ailleurs pas de le devenir – mine de rien, elle était une fille et ne comptait pas se transformer en garçon manqué. Il y avait bien assez de jeunes du sexe masculin à Poudlard pour que les filles évitent de gonfler leurs rangs par des attitudes qui ne les embellissaient que rarement. Enfin, ses pensées s’égaraient : cela faisait presque une minute qu’elle fixait un rayon alors que les livres qu’elle portait présentement n’y allaient visiblement pas.

Soudain, elle entendit un bruit de chute, qu’elle accueillit avec une grimace. Ce bruit, c’était celui d’une pile de livres qui tombait de sa table par terre, et Mme Pince allait sans doute – aujourd’hui on dirait pêter un câble, mais Laura ne connaissait pas cette expression française – être très très en colère, ce qui n’était jamais très bon. Si la Gryffondor n’avait jamais eu à subir les foudres de la bibliothécaire, elle avait été renseignée dès son arrivée à Poudlard sur les nombreuses légendes qui courraient sur l’amante du professeur Flitwick, et notamment le fait qu’elle aurait dans le passé carbonisé plusieurs élèves qui n’avaient pas suffisamment pris soin des ouvrages de la bibliothèque. La jeune sorcière déglutit, posa soigneusement sa pile de livre, et alla affronter sa mort en face, en bonne lionne qu’elle était.

Qu’elle ne fut pas sa surprise de voir que les livres posés sur sa table étaient toujours en place, c'est-à-dire empilés et formant une tour bien droite, autrement dit qui ne ressemblait aucunement à ce que l’on pouvait voir à Pise. Enfin bref, tout ça pour dire qu’elle n’était pas la cause du bruit de chute qu’elle venait d’entendre. Par contre…elle ne voyait pas Mme Pince. Où était donc passée la vieille bibliothécaire ? Il restait plusieurs livres sur son bureau qu’elle n’avait pas finit de réparer, et Laura savait que jamais l’ancêtre la dame n’aurait laissé un travail en cours, surtout lorsqu’il concernait ses précieux ouvrages. Quelle était donc la solution à cette énigme ?

Puis Laura la remarqua, la réponse qu’elle cherchait : deux pieds qui dépassaient du côté du bureau. La jeune fille, qui commençait à craindre le pire, s’approcha pour découvrir la bibliothécaire affalée sur le sol, visiblement sans connaissance. Là, l’affolement pris la Gryffondor. Que devait-elle faire ? Que pouvait-elle faire ? Elle n’était pas une secouriste, ni une guérisseuse. Par contre…Mme Pomfresh en était une ! Voilà ! Elle devait aller chercher l’infirmière de Poudlard ! Oui, certes, mais elle ne pouvait pas non plus laisser Mme Pince seule dans cet état. Cruel dilemme dans lequel elle se trouvait. Ah ! Pourquoi ne savait-elle pas elle aussi lancer des patronus qui parlent ? Ou même lancer des patronus tout cours, d’ailleurs.

Toute cette tergiversation n’aidait pas franchement Mme Pince. De plus en plus affolée, Laura s’approcha de Mme Pince. Elle respira un grand coup. Du calme, elle était à Gryffondor après tout. Elle ne devait pas se laisser dépasser par les évènements.

- Mme Pince ! Réveillez-vous ! S’il vous plait Mme Pince !

Laura faisait du mieux qu’elle pouvait, mais si la bibliothécaire ne se reprenait pas bientôt ses esprits elle devrait se résoudre à la laisser là pour aller chercher du secours, si possible avant l’arrivée des élèves afin de préserver la dignité de la pauvre dame, qui subissait sans doute du surmenage, alors qu’elle venait à peine de revenir. Pour un comble, c’en était bien un.

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