Qu'est-ce qu'un baiser ? [PV]

« Un baiser, mais à tout prendre, qu'est-ce?
Un serment fait d'un peu plus près, une promesse
Plus précise, un aveu qui veut se confirmer,
Un point rose qu'on met sur l'i du verbe aimer;
C'est un secret qui prend la bouche pour oreille,
Un instant d'infini qui fait un bruit d'abeille,
Une communion ayant un goût de fleur,
Une façon d'un peu se respirer le coeur,
Et d'un peu se goûter, au bord des lèvres, l'âme! »

Vous vous êtes déjà demandé pourquoi les oiseaux chantent ? Et bien, Charisma, oui. C’était sa grande interrogation de la matinée, du coup, elle s’était plongée dans un livre sur les oiseaux, les sourcils froncés et se parlant de temps en temps à elle-même. Plus précisément, elle parlait à ses voix. Charisma n’était pas quelqu’un de solitaire, par nature, elle était même assez sociable… mais il y avait eu la mort de sa mère, puis sa vente par son père, et elle ne croyait plus en l’espèce humaine maintenant. Pour supporter son chagrin, elle s’était réfugié dans son esprit, fermant à double tour tout sentiment superflu et se laissant aller à ses tendances jusqu’à devenir folle… Car Charisma entendant des voix depuis qu’elle était toute petite ! A l’origine, c’était le signe de son pouvoir latent, les voix dans sa tête étaient des prémonitions. Lorsque sa vie avait basculé, elles étaient devenus son soutien psychologique, des amis imaginaires toujours présents… bien qu’elle ne considère pas ses voix comme des amis, pas plus qu’elle ne considérait les membres de sa Cour comme tel.

A propos de sa cour, Gaël venait de la laisser pour rejoindre Damon à sa table. Le serdaigle voulait parler au lion du souci qu’il se faisait pour leur princesse. Depuis quelques temps, Charisma se comportait bizarrement. Plus bizarrement que d’ordinaire tout au moins. Elle évitait soigneusement le préfet en chef et elle faisait ça si bien que ça en devenait suspect.

Carry n’avait pas parlé de son expérience de baiser (purement scientifique bien entendu) avec Enry à ses proches. Elle ne se sentait pas particulièrement troublée par ce qui s’était passé, mais elle savait consciemment qu’elle s’était laissé aller pendant au moins une bonne minute… et pour quelqu’un qui s’accrochait autant à l’intellect pour ne pas sombrer, c’était inadmissible. Elle avait donc décrété que 1) elle ne voulait pas en reparler avec l’intéressé, elle ne restait plus dans la salle commune tard le soir pour qu’il ne vienne plus l’y chercher ; 2) les baisers n’étaient en soi pas désagréable, mais c’était dangereux, donc à éviter. Il n’y avait pas de pires maux que l’abandon selon la jeune fille.

Malheureusement, si la résolution numéro deux semblait assez facile à suivre, la première l’était nettement moins. Enry était à l’option Taliesin (avec cet idiot de Griffins), dans sa maison, et en plus il était préfet en chef. C’était un peu celui qu’on ne pouvait pas éviter éternellement, comme elle allait d’ailleurs vite s’en rendre compte.

Toujours plongée dans son livre, elle ne vit pas un garçon de sa maison s’approcher. Celui-ci lui prit son livre en riant. « La timbrée est encore dans ses loufoqueries ? » Charisma se leva et tendit la main « Je vous prierais de bien vouloir me rendre ce livre, il m’appartient. » Le garçon – dont Carry ignorait le nom, et dont elle se moquait – lui attrapa le menton et la regarda avec un sourire qui ne disait rien de bon à la jeune fille. « Si je te le rends, qu’est-ce que tu me donnes ? » Pour aussi bizarre qu’elle puisse être, Charisma était loin d’être bête, elle comprit où il voulait en venir et le jaugea avec tout le mépris dont elle était capable. « Goujat ! » Et elle tenta de récupérer son bien, ce à quoi elle ne parvint pas puisque le garçon la repoussa très fort. Elle serait tombée par terre si quand elle vacilla, son dos ne rencontra pas le torse de quelqu’un et qu’on ne la retint pas de tomber. « Dam… » Elle leva les yeux mais non, ce n’était pas Damon. C’était Enry.

Pour le coup, elle était partagée. En un sens, elle avait décidé de ne plus parler à Enry donc c’était assez gênant qu’il soit là, surtout sans aucun centimètre entre eux… Mais en même temps, le fait qu’ils étaient dans la grande salle rendait la situation entre eux simple et Enry serait sûrement plus efficace contre son tortionnaire du moment que Damon.

Se relevant – il lui fallut bien une minute ou deux pour ça tellement elle était choquée -, elle reprit ses esprits, se redressa et se mit derrière Enry, entrant dans la peau de la demoiselle en détresse, ou (à défaut) dans celle d’une élève outragée. Sa petite main pâle se mit délicatement sur le bras du préfet en chef et elle ne laissa dépasser que sa tête de derrière lui. Elle avait presque envie de tirer la langue à celui qui l’avait agressé mais elle n’en fit rien, ce n’était pas assez classe. A la place, elle se contenta de sourire.

« Monsieur Stanley, il m’a volé mon livre… et il voulait m’extorquer un autre bien que je ne donne pas à n’importe qui. » Dans tes dents le méchant pas beau, et dans tes dents Enry aussi puisque s’il n’était pas idiot, il devait sûrement se douter ce que le serdaigle voulait de Charisma. Un baiser. C’était donc une conversation à double sens puisque le sous-entendu du n’importe qui ne pouvait être compris que par Enry et que tout ceci était ironique… si l’on considérait qu’Enry était un peu n’importe qui au moment des faits, mais que ça avait changé depuis… Maintenant il était son premier baiser, et même si ça n’avait pas d’importance concrète, elle espérait bien qu’il arriverait à lui récupérer son livre !

Oui, bon, Enry n’était décidément bon à rien Carry ou comment être de mauvaise foi en deux leçons. Il n’avait rien compris ou quoi ? « N’y va pas ! Tu sais ce qui va se passer ! » lui intima la voix en lui envoyant des images très fortes. « T’es mignonne mais on ne me laisse guère le choix. » Marmonna Charisma pour les voix en fronçant les sourcils. Enry avait sûrement dû devenir préfet en chef sur un coup de chance parce que là, il faisait vraiment preuve de non professionnalisme. Certes, il était connu de tous que Carry était bizarre, voire folle, mais ce n’était pas une raison pour l’envoyer tout droit dans la gueule du loup. L’adolescent qui leur faisait face n’en menait plus très large mais l’éclair dans ses yeux lorsque Enry lui avait ordonné d’aller elle-même chercher le livre ne serait passer inaperçu pour personne ! Charisma n’arrivait pas à croire qu’il y est vraiment des garçons qui se comportent ainsi. Elle entendait peut-être des voix mais elle avait pleine et entière possession de ses capacités intellectuelles, on ne lui faisait pas la cour en l’insultant ! Bien que, pour être honnête, cela revenait sûrement au même au final. Charisma éconduisait tout prétendant potentiel.

« J’espère que vous êtes conscient que je vais m’en mordre les doigts monsieur le préfet en chef. » Elle soupira, résignée, et passa la main dans sa longue chevelure, les repoussant en arrière. Ce geste fit qu’elle avait lâché Enry, de toute façon, elle avait placé trop d’espoir en lui. Elle avait pourtant espéré qu’au moins une fois dans sa vie, une personne à responsabilité – malgré son appartenance au sexe faible – la protégerait. Bah… elle connaissait la chanson. Son père l’avait vendu, que voulez-vous qu’elle vive de pire comme déception ?

« Essaie de l’éviter au moins… » Souffla la voix. Charisma ne répondit pas et fit les quelques pas qui la séparaient du garçon non sans voir clairement un sourire en coin apparaître sur son visage. Elle fût tout de même un peu rassurée de constater qu’il jetait de temps en temps des coups d’œil à Enry. Le don aidant, elle savait qu’elle n’y échapperait pas, mais ce ne serait pas si terrible que ça aurait pût l’être sans monsieur-je-fais-la-tête dans le coin.

Elle tendit la main vers le livre et quand elle eut la main dessus, elle pensa que c’était gagné ! Mais elle déchanta – sans réelle surprise – lorsque le jeune homme l’attrapa et tenta un baiser. Charisma l’ayant prévu, elle avait tourné la tête juste au bout moment, il avait donc embrassé juste le coin de ses lèvres. Déjà trop selon notre jeune bourgeoise qui prenait ce Serdaigle de plus en plus en grippe. Il jura et la lâcha, il ne pouvait pas faire plus avec un préfet dans les alentours, déjà que là il risquait une réprimande…

Dès qu’elle eut de nouveau une main de libre, elle gifla de toutes ses forces le Serdaigle et se dirigea vers la table, son précieux livre serré contre elle. Elle n’en restait pas moins impassible, son regard s’étant fait encore plus terne – si c’était possible -. Il ne fallait pourtant pas beaucoup la connaître pour savoir que c’était le signe avant coureur de l’orage. Elle passa à côté d’Enry sans le regarder et s’assit plus pâle que jamais à la table. Elle rouvrit son livre mais ne lit pas, elle posa les coudes sur la table et la tête dans ses mains. L’attitude des hommes la rendait malade. Et Enry ne valait pas mieux que les autres.

Enry était bien loin de l'image du prince charmant ou chevalier servant. Pourtant, il ne manquait pas d'une pointe de romantisme. Un peu contradictoire tout ça ? Sans aucun doute. L'aigle regardait la scène avec neutralité, sans y porter plus attention que ça. Le fait que la brune s'était accrochée à lui de cette façon, le poussant presque vers l'avant pour qu'il dispute ce royal imbécile ne l'avait pas plu. Il savait très bien ce qu'il avait à faire s'il y avait quelques soucis de ce genre. Le jeune homme s'y croyait un peu trop, même s'il baissait les yeux en sa présence.

Sans oublier que son comportement avait l'air d'avoir déçu la demoiselle, combien de filles avaient il déçut de cette façon ? L'aigle avait toujours préféré rester en retrait, au cas où il se faisait enrôler dans des emmerdes, même si actuellement parlant, il n'avait rien à craindre. Pourtant, il s'occuperait bien de l'imbécile plus tard, à l'écart, dans la salle commune ce soir. Quelques heures de colles pour avoir importuné Charisma, et l'histoire serait bien vite terminé, il le surveillerait discrètement de près. Charisma n'avait pas besoin de voir qu'il le punissait pour se frotter les mains. Il ferait son boulot, normalement, et il ne fallait pas croire qu'Enry allait oublier le garçon. Ce dernier avait l'air plus que ravis lorsqu'il demanda à Charisma d'aller chercher son bouquin. Un idée derrière là tête ?

Enry tourna légèrement la tête vers la jolie brune lorsqu'elle parla, il comprit bien assez vite qu'elle était encore en pleine discussion avec ses voix. Sûrement parce qu'elle avait été contrarié par le comportement de l'aigle, elle s'éloigna ensuite de lui puis s'approcha du voleur. Qui n'hésita pas une seule seconde à tenter une approche, sans s'en rendre compte Enry s'était brusquement avancé. Mais Charisma était parvenue à éviter un baiser directe, il redevint tout de suite de marbre. Qu'est-ce qui se passait dans la tête de notre jeune préfet en chef ? Il ne savait même pas lui même. Pour le moment, il avait faim, et sentait que son ventre faisait des siennes.

Charisma avait giflé le garçon et était passé devant lui sans un regard. Pas étonnant. Il aurait peut être dû réagir autrement, allait lui même chercher le livre. Mais l'aigle avait l'art de faire toujours tout différemment, et cela n'avait pas plu. Normal. Enry alla s'installer pas très loin de Charisma, de toute façon, les places n'étaient pas toute libre, et il n'avait aucune envi d'aller chercher une place à l'autre bout de la salle.

« Mademoiselle Kostovak est-elle contrariée par ma façon de faire ? »

Dit-il sans la regarder et en prenant quelques morceaux de pain.
Elle semblait être plongée dans sa fameuse lecture, depuis quand elle s'intéressait aux oiseaux ? Après tout, il ne connaissait pas trop la jeune fille, il apprenait des choses, malgré la distance qui les séparé. Cela faisait quelques jours qu'ils ne s'étaient pas adressé une seule fois la parole. Alors pourquoi cherchait-il à lui parler alors qu'elle lui répondrait forcément de façon sèche ?

« Tu t'en ai très bien sortis. Tu vois, tu n'avais pas besoin de moi pour récupérer ton livre. Et tu sais bien te défendre. La deuxième étape, ça sera pour plus tard. Je préfère le laisser croire qu'il s'en sortira indemne. »

Comme s'il s'inquiétait réellement pour la brune. Même s'il n'allait sans doute pas la laisser se faire embêter par l'imbécile. Comment il s'appelait lui déjà ? Il sentait bien que les remarques piquantes de la brune allaient lui arriver en pleine face, mais il s'y attendait. Elle allait peut être lui demander de dégager et d'aller à une autre table...?

Charisma avait senti plus que vu Enry s’installer tout à côté d’elle. Il est vrai qu’à cette heure, il y avait beaucoup de monde. Et cela ne faisait qu’augmenter la colère de Carry contre son préfet mais aussi contre celui qui lui avait fait subir cette humiliation. Elle était une jeune fille de bonne famille mais elle était loin d’avoir été élevée dans du coton. De par tout ce qu’elle avait connu dans son enfance, elle était une adolescente aigrie, froide et qui ne supportait pas le contact. « Tu vas avoir du mal à expliquer ça à ton préfet. » Fit remarquer la voix non sans ironie alors que Charisma se repassait la scène avec dégoût. « Ce n’est pas la même chose. » Murmura-t-elle pour la voix principale, celle qui avait le timbre de sa mère, celle qui était aussi toujours la plus forte lorsqu’elle n’avait pas de prémonition. « Un baiser est un baiser. Qui plus est, celui-ci était manqué. » Charisma secoua légèrement ses boucles brunes en signe de dénégation intérieure. Ce n’était pas du tout pareil de se faire embrasser parce qu’on l’avait demandé et que ça arrive de force, même si le baiser avec Enry n’avait pas plus d’importance dans les faits, elle ne s’était pas sentie sale après ça. Elle n’était pas un morceau de viande… on ne la convoitait pas comme telle et de préférence on ne la vendait pas non plus comme si elle l’était. Une douleur aiguë à la tempe se fit sentir qui lui fit pousser un petit « Aïe » alors qu’elle se penchait un peu plus vers son livre. Cela avait pile coïncidé avec le moment où Enry essayait de lier conversation. La douleur passée, elle trouva que c’était gonflé de sa part.

« Vous saviez ce qu’il voulait, c’est comme si vous lui aviez donné votre bénédiction. » Mais si elle était tout à fait honnête avec elle-même, ce n’était pas la seule chose qui la contrariait dans tout ça. Elle n’arrivait pas à mettre de mots sur ce qu’elle avait espéré, mais il était clair que cela ne ressemblait aucunement à la réalité.

« Je déteste cette manie qu’ont les hommes de toujours chercher à me… à m’utiliser, oui, c’est ça. M’utiliser pour leur propre plaisir. » Elle se massa la tempe tout en fermant les yeux, il fallait qu’elle se calme, qu’elle retrouve son masque d’impassibilité. Ceci était d’autant plus nécessaire qu’ils n’étaient pas dans la salle commune, seuls dans le nuit, non, là il y avait beaucoup de monde et Charisma tenait à son titre de princesse de glace, elle était même satisfaite d’être considérée comme folle du moment que ça éloignait les autres. Montrer ses sentiments, c’était être plus humaine aux yeux des autres, c’était tomber dans la normalité. Elle ne tenait pas à devenir normale si cela signifiait ressembler à ce qu’elle connaissait du genre humain (qui ne sortait pas grandi de ce début de journée). « Tu prêches une convertie. » Lui rétorqua la voix, et c’est vrai que Carry n’était pas sûre d’avoir parler pour Enry, après tout, c’était sa faute non ? Il aurait suffit qu’il tende le bras pour éviter ça ! Et elle ne lui demandait même pas au nom de leur brève étreinte mais parce qu’elle avait pensé que c’était son rôle ! Conclusion : on est toujours tout seul.

Comme Enry reprenait la parole, Charisma finit par quitter son livre des yeux pour les poser sur lui. Ce qu’il lui disait sonnait comme de mauvaises justifications aux oreilles de Carry mais elle avait réussi à endiguer sa colère… elle était toujours là, mais elle tenait plus à ne rien montrer de ce qu’elle pensait qu’à exprimer clairement le fond de sa pensée.

« Je ne comprends pas où vous voulez en venir. » Et par cette petite phrase, elle voulait sous-entendre que pour elle le mal était fait. La logique d’Enry lui échappait, vengeance n’est pas justice. Même si son pouvoir lui avait permis d’éviter de donner satisfaction complète au malotru, pas de satisfaction du tout ça aurait été mieux. A cette idée, elle frotta rageusement le coin de ses lèvres. Beurk.

Puis, son regard se fit trouble et elle fit un petit geste de la main. On pouvait changer le futur mais pas le passé, autant passer à autre chose sinon elle allait finir par laisser déborder ses sentiments.

« Savez-vous pourquoi les oiseaux chantent monsieur Stanley ? » Ok, elle était supposée le fuir, mais puisqu’il lui avait parlé… à moins de partir tout de suite et d’avoir une demi heure d’avance à son cours, elle n’avait pas le choix.

Et c’est là qu’on remarquera que lui demander de changer de place ne lui avait même pas effleuré l’esprit…

Le léger cris de douleur de sa voisine l'avait surpris, mais il n'en teint pas compte. La curiosité aurait pu le pousser à la questionner sur ce sujet, d'où prévenait cette douleur, si c'était un moyen détourner de dire "je n'ai pas envi de t'entendre". Il était évident qu'elle n'avait pas apprécier sa façon de faire, comme tout le monde en faite. Quelle démonstration étonnante de son autorité... Mais au fond, il s'en fichait un peu de la frustration que pouvait ressentir la demoiselle. Même s'il n'avait pas apprécier le comportement du jeune homme, et que la jeune fille était parvenue a évité de justesse ce baiser, il s'en chargerait plus tard. L'heure était au déjeuner.

Il n'empêche que la brune aux yeux azur ne cilla pas lorsqu'il s'installa à coté d'elle, et ne lui demanda même pas de prendre une autre place comme il l'avait pensé. Charisma était vraiment étrange comme demoiselle. Après ce qui venait de se produire, et la façon dont elle l'avait ignoré, il aurait parié qu'elle aurait agis autrement. Charisma finit par lui répondre, et elle n'avait pas tout à fait tord. Vu comme ça, si on avait un point de vue extérieur à la scène, c'était comme s'il avait donné le feu vert à ce garçon. Fallait-il qu'il s'excuse ? Qu'il soit triste ? Ou autre chose ? Il l'avait déçu, c'était bien triste, mais voilà, il n'avait eu aucune envie de se mêler d'avantage à la scène. Alors, si l'imbécile était parvenu à l'embrasser, il aurait réagis peut être autrement ? Bonne question. L'aigle mit une bouchée de pain dans sa bouche puis le mastiqua avant de l'avaler. Restant silencieux, il attendait que la brune poursuivre. Et l'aigle resta bloqué sur le mot... "m'utiliser ?" Enry se rendait bien compte qu'il n'était pas assez attentif à ce qui se passait constamment dans la salle commune. Il ne s'attachait pas non plus à chacun des élèves de sa maison pour connaître leur moindre fait et geste, et après ce que venait de dire la jolie Charisma, cela voulait sous entendre que ce n'était pas la première fois qu'un garçon agissait de la sorte avec elle ?

« Il a été assez idiot pour agir, et je ne pensais pas qu'il allait tenter quelque chose. Mais maintenant que c'est fait, inutile d'en parler maintenant. Par contre, ce n'est pas la première fois qu'un garçon agit comme ça avec toi ? Ça arrive souvent ? »

Etonnant cette soudaine curiosité qui le poussait à lui poser des questions? À croire qu'il s'intéressait au petit train-train de vie de la demoiselle, alors que ce n'était certainement pas le cas. Sans oublier que ses propos étaient toujours prononcés sous un ton neutre, sans intérêt. Un ton détacher qui ne coordonnait pas du tout avec ce qu'il disait. Disons que c'était juste en guise d'information. Mais aussi, parce qu'au fond, il n'avait pas trop le choix de protéger la jeune fille. Il n'avait jamais remarqué qu'elle se faisait abordée à ce point. Ah, il allait devoir ouvrir d'avantage les yeux, et ça l'agacer. Hors de question qu'il se mette presque à pister Charisma pour voir si des crétins comme l'autre qui s'était sauvé au fond de la salle allait tenté quelque chose sur la jeune fille. Et le dégoût prononcé qu'elle avait sur son visage, il était assez significatif quand même. Pourtant, il y avait bien autre chose qui était dissimulé derrière le regard de la brune.

Quelque chose de secret qu'il n'était pas près de connaître maintenant. Charisma n'était pas le genre de personne à s'ouvrir au premier venu, et de son coté, Enry n'avait aucune envi d'en savoir trop.

Cela dit, Charisma venait de lui dire qu'elle ne voyait pas où il voulait en venir, il ne souleva pas la réponse, et ne chercha pas à lui expliquer quoique se soit. Ce serait complètement inutile. Puis la question qui arriva par la suite fut plus que surprenante. Pourquoi les oiseaux chantent ? Cette question lui était sortie de la tête parce qu'elle lisait actuellement un livre sur ce sujet. Le morceau de pain qu'il allait mangé resta en suspension pendant quelques secondes devant sa bouche avant que l'aigle sorte de sa surprise et repose le morceau de pain. Il tourna la tête vers Charisma puis répondit avant de soupirer :

« Ils chantent pour plusieurs raisons. Et je ne parle pas encore le langage oiseau. Il chante pour prévenir du danger, pour faire la cour, ils communiquent tout simplement. Pourquoi ? Tu aurais une autre version à me soumettre ? »

Oui parce que sa version était plus théorique. Il n'était pas du genre à sortir un " parce que les oiseaux sont heureux" avec un sourire complètement débile. C'était le genre de truc qu'on sortait aux enfants lorsqu'ils posaient cette question. Enry ne pensa même pas à reporter son attention sur le morceau de pain, il fixait Charisma, attendant sa réponse. Il se demandait bien pourquoi une telle question lui était venue à l'esprit... Avait-elle une idée farfelue en tête ? Encore ?

Charisma quitta des yeux Enry et laissa son regard aller dans le vague. Il croisait parfois quelques visages, quelques élèments, mais ne s’y accrochait pas. Charisma réfléchissait. Visiblement, Enry s’était mépris sur ses paroles. D’ailleurs, s’il y avait réfléchi un peu plus avant, il s’en serait rendu compte. Carry n’avait que 14 ans, elle commençait tout juste à devenir intéressante physiquement pour les garçons, avant ça, elle avait un joli visage mais c’est tout. Maintenant, elle avait aussi des formes plutôt plaisantes pour son jeune âge, bien que cela resta dans la norme… De fait, les garçons ne commençaient à l’ennuyer que depuis quelques semaines et cela restait en général assez discret car Carry avait beau être véritablement belle, elle n’était pas du tout sexy. Les mini-jupes ou les uniformes retouchés de partout, ce n’était pas du tout son truc voyez vous. De fait, ce genre d’incident n’avait pas pût se produire avant, d’autant moins que si un garçon était arrivé à ses fins, Enry n’aurait pas été son premier baiser… hors, il savait qu’il l’était, non ?

Laissant cette question de côté – de toute façon, elle était dans l’immédiat plutôt aigri du comportement de son préfet, trop pour pousser plus loin une réflexion comportant son prénom et le mot baiser dans la même phrase en tout cas -, elle en revint à ce qu’elle devait répondre.

« Il est à craindre que mon étrangeté ne parvienne pas à faire fuir éternellement la gente masculine. » Qui en plus se croyait tout permis parce qu’elle était soit-disant folle pas que soit disant, mais pas autant qu’ils le pensaient non plus, mais… « Mais les hommes auxquels je pensais sont nettement plus vieux. Ceci étant, il est inutile de paraître vous y intéresser, nous savons tous les deux que vous vous en moquez. » Comme les services sociaux russes, comme ceux d’Angleterre, comme ses camarades de classe, le reste de sa famille… bref, comme tout le reste de l’univers quoi. Elle devait bien admettre que malgré la petite pointe de colère persistante qu’elle avait mis dans ses propos, ce n’était pas en ça que le comportement de Enry l’avait déçu. Elle n’arrivait pourtant toujours pas à mettre la main sur ce qui la mettait en rogne. C’était même si perturbant que la voix elle-même semblait coite devant ce fait. Elle n’avait pourtant pas la langue dans sa poche d’habitude !

La réponse ne venant toujours pas et Charisma détestant viscéralement les questions sans réponse, elle en revint à ses oiseaux. C’était scientifique, c’était donc fiable. Enry ne tomba d’ailleurs pas très loin du compte.

« Faire la cour oui… mais ce livre dit qu’ils marquent aussi leur territoire en chantant. C’est plus élégant que la méthode des chats et des chiens, vous ne trouvez pas ? » Elle s’accouda alors à la table, ne regardant toujours pas Enry pour des raisons qui lui étaient propres – il était ainsi plus facile de paraître impassible – et poursuivit d’un air distant. « Mais peut-être aussi qu’ils chantent pour signifier qu’ils existent. Ce monde est tellement sale qu’il nous engloutit… Les oiseaux se sentent peut-être en danger eux aussi, alors ils crient, inlassablement, leur chant pour former un chœur. Peut-être qu’ainsi ils se sentent moins seuls. » Ou peut-être qu’elle ne parlait plus vraiment des oiseaux…

En effet, une chose était sure, la demoiselle ne ferait pas toujours fuir les garçons. Et comme l'imbécile là bas, d'autres tenteraient encore des approches. Charisma ne manquait pas de charme, son joli visage et ses yeux azurs ne laissait pas de marbre. Sans oublier que la demoiselle avait aussi de très jolies formes. Mais bon, tout ça c'était un peu le lot d'histoire de la demoiselle, il n'allait pas tout le temps s'en mêler. Si cela devenait plus sérieux, peut être, sans doute. Cela dit, il remarqua l'air un peu contrarié de la demoiselle, l'aigle ne se posa pas trop de question à ce sujet, et les questions qui lui passaient par la tête s'envolèrent bien rapidement.

Ainsi que les nouvelles qui survinrent à propos de ce qu'elle venait de dire dernièrement. Un peu de curiosité pointa le bout de son nez, alors qu'il mâchouillait un nouveau morceau de pain. Il ne tourna pas la tête vers elle lorsqu'elle supposa qu'il en avait rien à faire. Excellente supposition. Charisma était quand même douée en ce qui concerner le connaître. Elle commençait à le connaître un peu trop bien, alors qu'il n'y avait eu que très peu d'échange entre eux. Et cela le troubla, un peu. Enry hocha légèrement la tête avant de reporter de nouveau son regard sur le brune Je ne m'intéresse en effet pas à ce genre de chose. Mais peut être qu'un jour ça t'intéressera hein ? Après tout, on lui avait répété maintes et maintes fois que s'occuper seulement de sa petite vie n'était pas la meilleure chose à faire pour avoir des amis. Les amis... Vraiment un domaine toujours aussi complexe à son goût. Mais il essayait. Sinon il aurait tôt fait d'aller prendre une table vide, à l'écart, comme il le faisait si bien les autres années. Mais de là à dire que je m'en fou, il ne faut pas exagérer. Genre, si tu as besoin de moi, je serais à ton écoute. Un peu des foutaises. Mais le peu que la demoiselle lui avait dit, suffisait à savoir qu'elle n'avait pas eu une vie bien rose. Après, à savoir ce qu'elle avait vécu, cela l'importait très peu. Après tout, c'était sa vie. Elle avait sans doute des oreilles qui pourraient l'écouter.

Idiot. Il tournerait toujours de cette manière. Contourner les problèmes, les gens. Leurs problèmes. Faire comme s'il n'y en avait aucun. C'était un professionnel pour faire semblant de ne pas entendre la détresse. Même des plus proches.

Le préfet en chef ne voulait plus poursuivre sa réflexion sur ce sujet. Chacun avait son histoire.

Les oiseaux. La question que lui avait posé la jolie serdaigle l'avait surpris pendant une fraction de seconde, mais il y avait répondu, tout simplement. Il ne s'était jamais spécialement renseigner là dessus, et il trouvait vraiment la question étrange dans une conversation pareille. Cela n'avait aucun lien avec ce qu'ils disaient quelques minutes plus tôt, ni avec ce qui s'était produit. Sans doute parce que la jolie brune voulait passer à autre chose, oublier l'incident. Il ne put s'empêcher de laisser échapper un léger sourire lorsqu'elle lui apprit qu'il marquait aussi leur territoire en chantant, il était clair que c'était bien différent de la façon dont le faisait les autres animaux.

Oui tu as raison, c'est une façon plus agréable de marquer un territoire. C'est moi rustre. Avait-il répondu à la demoiselle avant qu'elle poursuive sur le sujet. Que les oiseaux pressentent le danger, c'était une chose. Réel. Mais pourquoi parlait-elle de cela de cette façon ? Comme si elle se sentait concerner par les cris des oiseaux, comme si elle ne parlait en réalité, pas vraiment d'eux. Enry fronça légèrement les sourcils avant de retourner à son petite déjeuner et de prendre un peu de jus de citrouille (oui le matin) et de prendre une part de gâteau au chocolat. Il dû se pencher un peu plus en avant pour en saisir un. L'aigle marmonna alors après s'être réinstaller : Tu te sens seul Charisma ?

« Cela n’a aucune importance, je n’ai pas envie de me confier de toute façon. » Très peu de personnes avaient eu droit au récit de son enfance et on ne pouvait même pas appeler ça des confidences puisqu’elle était très détachée vis-à-vis de sa propre histoire. Elle pouvait pourtant se montrer d’une curiosité presque déplacée à propos des autres, mais pour elle-même, elle avait l’air de s’en moquer. Ce n’était pas le cas et quand on commençait à la connaître on s’en rendait compte, toutefois, cela rentrait dans sa tactique. Elle n’aimait pas être seule mais elle se plaisait à paraître froide ainsi qu’insensible, disons qu’elle travaillait son image plus qu’autre chose lorsqu’elle faisait semblant de n’être pas concernée par le fait que son père l’ait vendu pour payer ses dettes… Mais rien que le fait qu’elle tienne à cette fameuse image parce qu’elle avait été détruite par cette vente faussait tout.

Qui plus est, Enry pouvait dire tout ce qu’il voulait, il s’en fichait, un point c’est tout. A l’origine, c’était justement pour cette raison qu’elle l’avait choisi dans l’intimité de la salle commune. Le préfet n’était pas du tout le genre de garçon à se préoccuper d’une fille sur un simple baiser, il était trop froid et trop distant pour ça. Quelque part, il était un peu comme elle, sauf qu’elle… et bien, elle avait envie que les autres s’occupent d’elle tellement fort que ça transpirait dans son attitude étrange. Même si on la trouvait folle ou au contraire fascinante (si, si, y’en a qui pensent ainsi), elle ne passait pas inaperçu.

Charisma n’était donc pas le moins du monde prête à discuter de son passé et de ces mystérieux hommes, pas plus qu’elle ne songeait à manger d’ailleurs. Carry n’était pas du tout du genre obsédée par son poids à surveiller tout ce qu’elle mangeait, elle avait simplement une certaine tendance à oublier de prendre ses repas. Ceci bien tendu alors même qu’elle se trouvait dans la grande salle. Elle était tellement plongée dans ses pensées qu’elle ne pensait plus à rien d’aussi concret. Pour le moment, elle en était à son analogie avec les oiseaux et si elle finit par revenir sur terre c’était uniquement parce que Enry finit par lui adresser directement la parole.

Elle fût d’ailleurs assez surprise par la question elle-même puisque ça ne ressemblait pas à Enry de la poser (selon elle tout au moins). Depuis qu’ils étaient seuls (et débarrassés du boulet), elle avait même la sensation que ce qui préoccupait le jeune préfet en chef c’était surtout son déjeuner. Ce qui n’était pas forcément incompatible vous me direz, mais Charisma aime bien simplifier lorsqu’il s’agit des rapports humains, surtout des rapports avec elle en fait.

« Pas vous ? » demanda-t-elle alors après un moment de silence. Nous étions bien d’accord sur le fait que ce n’était pas une réponse, elle éludait simplement la question tout en reportant son regard sur le livre toujours ouvert devant elle qu’elle cornait sans vergogne. Elle était plutôt soigneuse d’habitude mais elle ressentait le besoin de faire quelque chose de ses dix doigts… elle aurait aussi aimé s’en aller finalement. Enry n’était pas le seul à penser qu’on lisait trop bien en lui lorsqu’il s’agissait d’eux deux, elle le trouvait trop perspicace. « Je n’aime ni être seule, ni le silence. » Finit-elle quand même par dire, jugeant que ce n’était pas vraiment une confidence. Il était de notoriété publique qu’elle avait des amis imaginaires après tout, il fallait bien que cela eût une raison !

Et c'était même mieux qu'elle ne lui raconte pas son passé, mais qu'il s'en fichait complètement. Mais il n'avait pas envi de se sentir impliquer, cela ne lui était jamais arrivé jusqu'à maintenant, et il n'avait pas réellement envi que cela arrive un jour. Car, se sentir impliquer, c'était aussi brisé le mince gouffre qui les séparer. Et se rapprocher d'elle. Certes, plus il discutait avec elle, moins elle lui faisait peur. En réalité, il fallait se rendre à l'évidence que lorsqu'elle était seule, elle était étrange. Mais lorsqu'on la connaissait d'avantage, elle semblait déjà un peu plus normal. Si l'on omet l'étrange question qu'elle lui avait posé sur les oiseaux. Mais son état d'esprit avait en soit, quelque chose de fascinant. Sa conversation lui plaisait assez, même si ses propos le surprenait.

Puis elle avait dérivé sur le sujet un peu plus personnel, si elle n'avait pas voulu qu'elle lui demande si elle se sentait seule, pourquoi avait-elle sous entendu ça ? Mais ce n'était là qu'un détail, il n'allait pas essayer de lui soutirer des informations. Et même s'il était un minimum curieux comme tout le monde, ce genre de sujet ne l'intéressait pas plus que cela. Lorsque la demoiselle lui renvoya joliment la question, il ne put s'empêcher d'hausser les sourcils et trouver soudain un nouvel intérêt à ce qui ornait la table. Il se prit un peu de pain à nouveau, il risquait de faire une jolie overdose de pain s'il continuait sur cette lancée.

« Pas tant que ça. Je crois... Que ça ne m'a jamais dérangé d'être seul. »

Jamais. Ou alors, il ne savait pas vraiment. L'aigle avait toujours pris l'habitude de rester seul, la solitude ne le dérangeait pas. Pourtant, lorsque Charisma avait eu la bonne idée de lui renvoyer cette question, il n'avait pas pu s'empêcher d'y penser "sérieusement". Sa soeur, elle lui avait dit la même chose un jour. Ratisser les couloirs seul, se mettre à l'écart pendant les cours. C'était devenue une salle habitude, et il ne voyait pas l'intérêt de s'en défaire. Pourtant, lorsqu'il discutait avec quelqu'un, comme Charisma ici présente, cela ne le dérangeait pas non plus. Est-ce qu'il avait réellement besoin d'un réseau social ? Comme tout le monde. Sinon autant finir en ermite au fond de l'Himalaya.

« Si un jour tu as besoin de quelqu'un pour briser le silence ou parce que tu es seul, je t'autorise à venir me casser les oreilles. »

Dit avec tellement de tact. C'était aussi sa façon de dire que tu ne me déranges plus que ça. Mais ne croyez pas que ça avait avoir avec le baiser de la dernière fois, cela n'avait aucun rapport. Juste que Charisma était plus intéressante qu'elle ne l'avait semblé les autres fois où il avait dû la renvoyer dans la chambre. Pourtant, en disant ça, il ne l'avait même pas regarder, toujours en train de détailler le morceau de pain qu'il tenait en main. Il en coupa un morceau pour se le fourrer dans la bouche. Détaillant les Poufsouffle qui était dos à lui, à la table d'en face. Après avaler sa bouchée, il tourna la tête vers elle en rétorquant :

« Tu n'aimes pas être seule, alors fait tout pour ne pas l'être. »

Enry aurait tout de même aimer savoir d'où venait les voix qui discuter avec la jeune fille par moment. C'était sans doute la façon pour la demoiselle de ne pas se sentir trop seule, d'oublier que silence pendant quelques secondes. Il lui était arrivé des choses, qui l'avait poussé à se refermer. Et pourtant, elle semblait curieusement avoir constamment besoin des gens autour d'elle, de se sentir aimer et tout ce qui s'accorder si bien avec le mot amour. Amitié, confiance peut être ? Pour ce dernier point, il n'en n'était pas certain. Elle semblait être extrêmement méfiante. Et encore semblait c'était peu dire. Elle l'était. Elle voulait être près des autres mais pas seule.

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