Pitié, sortez-moi de là ! [PV]

Près d'un mois s'était écoulé depuis la rentrée, et pour Pétronille, chaque heure passée à Poudlard au cours de cette période avait été une heure perdue. L'amour de la jeune fille pour le monde moldu ne s'était pas affaibli, durant l'été, pas plus que son mépris de la magie et, si elle avait fini par renoncer à convaincre ses parents de la retirer de l'école pour la placer dans un collège moldu (sa mère frôlait l'arrêt cardiaque chaque fois que Pétronille mettait le sujet sur le tapis. Lequel était, au demeurant, fort joli et surtout affreusement coûteux), elle n'en appréciait pas pour autant la vie qu'elle menait au château. Tous ces élèves qui s'extasiaient devant un sort de lévitation ou tiraient leurs baguettes de leurs poches à la moindre occasion l'horripilaient au plus au point, et elle ne manquait pas de lancer des regards désapprobateurs à ses camarades dès qu'ils faisaient mine de vouloir utiliser la magie.
Toute cette situation était d'autant plus pesante pour Pétronille que le malheur - ou plutôt le choixpeau - avait voulu qu'elle échouât à Serdaigle, où les élèves, véritables acharnés, s'entraînaient sans relâche après les cours, dans la salle commune, pour être bien sûrs d'obtenir les notes maximales aux examens.

Les examens ! Comme si Pétronille en avait quelque chose à faire, elle qui aspirait tant à devenir moldue ! Il n'y avait guère qu'en étude des moldus, que la Serdaigle se montrait attentive. En réalité, elle aurait été bien contente d'échouer à tous ses examens : si elle se montrait trop mauvaise, l'administration finirait nécessairement par le remarquer et se poser des questions sur ses capacités réelles à pratiquer la magie. On parviendrait certainement à la conclusion qu'elle était cracmole ce qui tuerait probablement ses parents et elle pourrait rejoindre le monde dans lequel elle aurait dû naître : celui qui se passait de sorcellerie et de potions, qui vivait sans magie noire, rouge ou blanche, et où aucun sorcier dégénéré ne cherchait à tuer tout le monde une fois tous les dix ans, merci bien !

Hélas ! Pétronille avait beau faire de gros efforts pour gagner le titre de reine des cancres, c'était plus fort qu'elle, à la fin, elle finissait toujours pas réussir ses devoirs. Tenez, rien que l'année passée, elle avait volontairement omis de réviser l'examen final de sortilèges et avait tout de même obtenu 120% de bonnes réponses. A croire qu'elle était maudite, ou, comme le disait son père qu'elle avait la magie dans le sang et "qu'il faudrait bien qu'elle finisse par l'accepter, à la longue". L'idée que des particules de magie puissent se promener impunément dans son corps la révulsait si puissamment que parfois, quand elle y songeait, elle avait envie de se mettre à hurler de rage et de se griffer jusqu'au sang, pour pousser toute cette magie à la quitter.
Mais elle demeurait immobile, comme figée, et se contentait de serrer les poings en attendant que la "crise" passe. Elle finissait toujours par passer. Ce qui ne signifiait pas pour autant que la jeune fille se résignait à être sorcière, seulement qu'elle savait qu'il lui faudrait attendre la fin de sa scolarité pour tourner définitivement le dos à la communauté dans laquelle elle était née. Encore trois ans. Autrement dit, une éternité.

Ce jour-là, pour une raison inconnue - ou peut-être à cause de l'Effort Exceptionnel que lui avait valu son dernier devoir de métamorphose - la jeune fille se sentait plus irritée que d'habitude à l'égard de la magie, et sur le point d'exploser. Les rires de ses camarades, leur manie de faire exploser des farces et attrapes sorcières dans les couloirs et leur hâte de se montrer leurs dernières prouesses magiques lui tapaient à tel point sur le système que lorsque que la cloche sonna la récréation, elle se précipita jusqu'aux toilettes de Mimi Geignarde dans l'espoir qu'elle y trouverait suffisamment de calme pour recouvrer ses esprits avant la reprise des cours.
Elle avait refermé la porte derrière elle d'un geste vif et s'était littéralement jeté sur le seul lavabo encore fonctionnel des lieux pour y boire à grandes gorgées désespérées, visiblement sans penser un seul instant que quelqu'un d'autre pouvait avoir trouvé refuge ici avant elle.

*Oh mon Dieu, non seulement j'ai encore trois ans à passer dans ce château, mais en plus, ce robinet fais un drôle de bruit... Pas de doute, il n'y a vraiment rien à sauver dans cette école ! Ce ne serait que de mon fait, il y a bien longtemps que je l'aurais rasée, cette ruine !* songea Pétronille, en redressant la tête d'un air contrarié.

Elle lança un coup d'oeil mauvais au robinet couinant avant de couper l'eau qui en coulait à grands flots Antigone aurait certainement été très mécontente si elle avait vu ça. Peine perdue : le désagréable petit bruit ne disparut pas avec les dernières gouttes d'eau. La Serdaigle fronça les sourcils et se retourna lentement, de sorte à faire face aux cabines défoncées, quand elles n'étaient pas carrément inondées. Maintenant qu'elle se montrait plus attentive à l'espèce de gémissement humide qui l'avait dérangée, Pétronille ne fut pas longue à comprendre qu'il n'avait rien à voir avec une quelconque défectuosité des lavabos. En fait, il lui semblait plutôt provenir d'une des dernières cabines. Problème de chasse d'eau, peut-être ? Après tout, les toilettes de Mimi Geignarde n'étaient pas réputées pour la qualité de leurs tuyauteries...

Sans même s'en apercevoir, poussée par la curiosité, la Serdaigle s'était approchée à petits pas des dernières cabines. Pas de doute : le bruit devenait plus audible au fur et à mesure qu'elle avançait. Mais plus elle l'endendait clairement et plus Pétronille doutait qu'il s'agisse d'une simple chasse d'eau défectueuse. Il n'avait, en effet, rien de régulier et paraissait beaucoup trop contenu pour être le fait d'une fuite s'en donnant à coeur joie, bien décidée à transformer les lieux en piscine municipale d'ici le déjeuner. En réalité, si Pétronille avait encore été en première année, elle aurait probablement pensé qu'il s'agissait ni plus ni moins que de Mimi Geignarde occupée à sangloter dans son coin. Trois années pleines passées à Poudlard lui avaient toutefois appris une chose : jamais Mimi Geignarde n'aurait laissé quelqu'un entrer dans ses toilettes sans se manifester. Un élève qui franchissait le pas de cette porte était certain, si le fantôme se trouvait dans les parages, de devoir écouter ses gémissements et ses récriminations sitôt qu'il avait posé un orteil sur le carrelage glissant. Non ! Si Mimi avait été dans les toilettes en cet instant précis, elle se serait d'ores et déjà manifestée. Quelle que fût l'origine de ce bruit, Mimi n'avait rien à y voir.

*Pfff, à tous les coups Mimi a encore provoqué un mini tsunami en plongeant tête la première dans la cuvette, et dans trois minutes, tout le lac va se retrouver dans les toilettes...* pensa-t-elle en collant l'oreille contre la porte de la cabine d'où le glougloutement semblait provenir.

Elle poussa un soupir ennuyé et tendit la main vers la poignée. Il ne restait plus qu'à vérifier son hypothèse puis à s'arranger pour que Rusard soit mis au courant, de sorte qu'il lui soit permis de régler le problème avant que tout l'étage ne soit évacué pour cause de dégât des eaux. Bien entendu, elle aurait aussi pu faire demi-tour et s'en aller, mais cette solution était risquée : si quelqu'un l'avait vu entrer, ou si quelqu'un la voyait sortir et qu'immédiatement après les toilettes se mettaient à déborder, Rusard était bien capable de tout lui mettre sur le dos. Oh ! Pétronille se moquait pas mal d'être punie, et un renvoi de l'école aurait été, à ses yeux, une véritable bénédiction, seulement tant qu'à être expulsée, elle aimerait bien que ce soit pour une action un peu plus éclatante qu'une inondation dont elle aurait été accusée à tort ! Déterminée à tirer cette histoire au clair le plus vite possible, Pétronille tira fermement la porte vers elle... En vain.

*Fabuleux, et en plus, c'est coincé ! Pas étonnant, avec toute cette humidité, le bois a dû gonfler...* constata-t-elle avec mauvaise humeur, car cela signifiait qu'il lui faudrait faire usage de la magie pour ouvrir la porte.

Il ne lui vint pas, en effet, un seul instant à l'esprit que quelqu'un pouvait bel et bien occuper cette cabine : qui voudrait s'enfermer dans les toilettes de Mimi Geignarde ?! Même les première année avaient compris qu'ils étaient inutilisables !
La jeune fille pinça les lèvres et tira avec réticence sa baguette du revers de sa cape. Défoncer la porte à coups d'épaule comme un moldu digne de ce nom la tentait plus, mais elle n'avait pas particulièrement envie d'être accusée de dégrader le matériel de l'école de se fracturer la clavicule, aussi marmonna-t-elle du bout des lèvres :

- Alohomora...

Dans un petit déclic sec, la porte s'entrouvrit et Pétronille la poussa avec précaution, persuadée qu'elle ne tarderait pas à patauger dans l'eau.
Quelle ne fut donc pas sa surprise de constater que non seulement la cabine ne semblait présenter aucun problème mais qu'en plus, elle était occupée... Par une petite qui, visiblement, pleurait.

*Ah mince ! C'est bien ma veine, ça, tient, de tomber sur une chouineuse de première année... Mais pourquoi elle est venue, ici ? Je fais quoi, moi, du coup ?* songea-t-elle avec une grimace horrifiée, tant elle ignorait comment réagir face à une cadette larmoyante qu'elle venait, qui plus est, de déranger.

- Hum... Tu ne devrais pas rester assisse ici, fit-elle remarquer d'un ton un peu sec, Parfois l'eau remonte d'un coup, et alors tout est trempé en l'espace d'une seconde. Tu n'as pas envie que ton uniforme soit tout mouillé, je suppose.

Une jeune fille était apparue devant Shamee qui se demanda aussitôt ce qu'elle faisait là et pourquoi elle avait pénétré dans ce toilette que la jeune sorcière avait verrouillé, mais Shamee n'était pas du genre à provoquer une dispute. En fait, elle préférait de loin éviter toute confrontation entre elle et quelqu'un d'autre. Elle se leva donc et regarda l'endroit qu'elle venait de quitter. Reniflant, elle essuya les quelques larmes qui restaient. Le fait d'être découverte avait au moins calmé sa douleur et sa peine et lui avait permis de calmer ses pleurs. Elle avait toujours la même frayeur, celle d'être surprise par quelqu'un qui aurait pour fonction de la punir de s'être laissée aller à pleurer. Tout ce que Shamee savait à-propos de la jeune fille, c'est qu'elle aussi était à Serdaigle et qu'elle était plus âgée qu'elle. Elle baissa les yeux et regarda devant elle, de façon lointaine, sans savoir pourquoi, elle se sentait coupable.

"Je suis désolée…"

Ce fut tout ce qu'elle parvint à dire. Elle n'avait guère prononcé d'autre mot depuis longtemps. La jeune fille passait énormément de temps à s'excuser, même lorsqu'elle ne faisait rien de mal. Cela agaçait son père qui disait sans arrêt qu'elle devait faire le nécessaire pour ne jamais avoir à se faire pardonner. En tant que femme, elle n'avait qu'à rester à sa place. Elle ne devait rien dire, rien faire que ce qui lui était demandée. Shamee était sur le point de s'enfuir en courant, il n'était plus question de se montrer faible devant qui que ce fut.

Le désarroi évident de la fillette qu'elle venait de déranger surprit tant Pétronille qu'elle ne put s'empêcher d'esquisser un mouvement de recul. Elle avait entendu parler de ces élèves qui, fraîchement débarqués, avaient du mal à s'adapter à la vie à Poudlard et qui se traînaient dans les couloirs comme des âmes en peine, mais, en général, cet état d'esprit ne durait guère au-delà de la première semaine de cours : dès lors que les nouveaux avaient eu l'occasion de dégainer leurs baguettes et de se faire quelques copains, tout "family blues" les quittait. Pour une raison inconnue, la brunette qui sanglotait dans les toilettes faisait exception à la règle. Peut-être passait-elle simplement trop de temps à pleurer pour se trouver des amis ? Après tout, personne ne devait avoir très envie de se lier d'amitié avec une pleurnicheuse !

* Pourquoi est-ce qu'elle s'excuse d'un air si soumis, en plus ? Elle a peur que je la dévore ou quoi ? * songea la jeune fille en fronçant les sourcils d'un air à la fois excédé et interloqué.

Elle gratifia Shamee d'un long regard scructateur, tandis que l'image d'une petite souris terrifiée s'imposait peu à peu dans son esprit. L'éloignement familial n'était peut-être pas la source de tout ce tapage, finalement. La fillette pouvait très bien avoir été effrayée par Miss Teigne ou vertement tancée par un professeur ? Bien en peine de savoir que faire ou que dire, d'autant plus que la petite paraissait sur le point de prendre ses jambes à son cou, Pétronille reprit d'un ton gauche :

- Ce n'est pas la peine de t'excuser, voyons ! Je veux dire... C'était seulement un conseil... Les première année, ils ne savent pas toujours que ces toilettes sont une vraie zone inondable... Moi non plus, je ne le savais pas, avant... rajouta-t-elle plus doucement.

Elle se tut un instant et se rapprocha prudemment de la fillette, craignant sans doute que celle-ci se mette à crier ou à partir en courant si elle se montrait trop brusque.

- Tiens, prends un mouchoir, suggéra-t-elle en tendant un kleenex à Shamee, tu ne peux pas retourner en cours dans cet état, n'est ce pas ? précisa-t-elle avec un sourire qui n'avait rien de méchant.

* Surtout si elle a un prof genre Flitwick après... Si jamais il voit une élève larmoyante débarquer en cours, c'est sûr qu'on va avoir droit au sermon du siècle ce soir, comme quoi il faut faire attention aux cadets et blablabla... * pensa-t-elle en retenant une grimace ennuyée.

Ce n'était pas que Pétronille était indifférente aux ennuis de Shamee, seulement, étant elle-même incroyablement déterminée et farouchement tenace, elle avait une patience assez limitée en ce qui concernait les lamentations d'autrui, probablement parce qu'elle ne comprenait rien à cette attitude. C'était certainement une forme regrettable d'intolérance, mais elle n'y pouvait rien : les chouineurs l'irritaient. Dans ce cas précis, Pétronille prit pourtant sur elle pour rajouter d'un ton aimable :

- Tu n'es pas malade, au moins ? Si tu veux, je peux t'emmener à l'infirmerie, tu pourras te reposer un peu, là-bas.

Shamee fut très étonnée quand la jeune fille qui était devant elle lui tendit un mouchoir pour qu’elle se calme et lui parla avec douceur. A part sa mère, personne n’avait jamais parlé à Shamee avec douceur. Elle avait toujours pensé qu’elle n’était qu’une erreur de la nature et qu’elle n’aurait jamais dû venir au monde, que tout le monde le savait et que c’était pour cela qu’on lui parlait aussi durement. Elle avait déjà commis l’erreur de venir au monde, elle n’avait plus le droit de commettre de nouvelles erreurs. Shamee ne pouvait pas imaginer que la vie d’une de ses camarades fût très différente de la sienne. Elle croyait que c’était là le lot de toutes les filles d’être considérée comme quantité négligeable et elle ignorait complètement qu’il existait des personnes qui avaient beaucoup plus de chance qu’elle. Mais elle savait que, quoi qu’il advienne, elle devait respecter envers tout le monde certaines règles de conduite, des règles qui ne changeraient jamais et qu’elle avait durement appris à respecter.

« Merci… »

Sa voix n’était qu’un murmure, à peine plus fort que quand elle s’était excusée. Quelquefois, quand certains regards se posaient sur Shamee, ils avaient l’expression de personnes qui regardaient une feuille pouvant à tout instant être emportée par le vent. Shamee avait l’air d’une petite chose fragile, tremblante et craintive, comme un animal effarouché, un petit oiseau tombé du nid. C’était ainsi que se sentait toujours Shamee, à l’écart du nid, sans jamais être dedans, toujours à part, dehors. Elle n’était jamais exactement comme il fallait, jamais exactement celle qu’il fallait, elle avait toujours un train de retard, parce qu’elle était une fille, parce qu’elle était inutile, parce qu’elle était négligeable. En ce moment, elle savait qu’elle avait pleuré alors que ce n’était pas, que ça n’avait jamais été une option. Elle avait pleuré et elle avait été surprise. Et elle sentit qu’elle avait le devoir de se justifier.

« Je suis… vraiment désolée. Je sais que je n’aurais pas dû pleurer mais… »

Soudain, l’évidence la frappa. Elle n’aurait pas dû pleurer, elle n’aurait pas dû laisser ses larmes couler librement, et cette fille l’avait vu, surprise en train de pleurer alors qu’elle savait pertinemment que ce n’était plus une option depuis longtemps. Shamee n’avait plus le droit de pleurer depuis qu’elle avait appris à s’exprimer autrement que par les cris et les larmes. Pourtant, elle avait parfois besoin d’exprimer sa peine et sa douleur d’être née femme dans un monde où les femmes étaient des quantités négligeables. Mais habituellement, c’était son secret. Un secret que sa mère avait appris mais qu’elle n’avait jamais trahi car elle aussi pleurait parfois sans le dire à son mari. Néanmoins, Shamee commença à avoir peur de la punition qui se profilait à l’horizon pour les larmes qu’elle avait osé laisser couler. Elle avait peur que cette fille aille révéler son plus profond secret et qu’elle soit sévèrement punie pour avoir osé verser des larmes, ces larmes si réconfortantes. Alors elle paniqua.

« Je t’en supplie ! Je sais que je n’aurais pas dû… Pourtant je l’ai fait… mais… je t’en supplie ne dis rien… ne dis pas… que j’ai pleuré ! Je ne le ferai plus promis, mais je t’en supplie, ne le dis pas ! »

Autant Shamee était surprise par l'attitude de Pétronille, autant cette dernière paraissait de plus en plus stupéfaite par la soumission dont sa cadette faisait preuve. Pour la première fois depuis que la jeune fille avait découvert la fillette, elle coula un oeil en direction du badge qui ornait son uniforme, persuadée qu'elle y trouverait le blaireau des Poufsouffle. Après tout, c'était plutôt chez Helga qu'étaient envoyés les timides, or, question timidité, Shamee avait l'air d'en tenir une sacrée couche ! Quelle ne fut donc pas la surprise de Pétronille de découvrir que non seulement la première année n'était pas une camarade d'Antigone, mais qu'en plus elle était dans sa propre maison ! Il lui semblait pourtant être parvenue à mémoriser les visages des nouveaux Serdaigle au cours des semaines passées.

* Note, ce ne doit pas être très étonnant qu'elle ne m'ait pas marquée *, songea-t-elle, sans parvenir totalement à effacer le sentiment de culpabilité qui l'avait saisie en reconnaissant l'aigle de Serdaigle sur l'écusson de Shamee, * si elle passe tout son temps à se cacher, elle ne doit pas avoir de mal à passer inaperçue ! *

Maintenant c'était sûr, Flitwick allait leur passer un sacré savon, quand il découvrirait qu'une de ses nouvelles recrues éprouvait un tel sentiment de malaise. Car Pétronille avait beau ne pas être très douée en matière d'empathie, il lui semblait cependant évident que les pleurs de Shamee et sa petite voix inaudible n'avait rien à voir avec un chagrin passager ou même avec un mal du pays un peu plus tenace que de coutume. Le problème semblait bien plus profond, sinon plus grave, et Pétronille ne doutait plus que leur directeur de maison, dans son souci du bien être de ses ouailles, finirait par remarquer le désespoir qui émanait littéralement de Shamee.

* Bien, je suppose que je vais devoir faire un effort... Si elle est dans ma maison... * pensa la jeune fille, apparemment résignée à se préoccuper un peu plus de la fillette que ce qu'elle avait fait jusqu'à présent.

Pétronille avait beau détester la magie et mépriser les cours, elle ne pouvait s'empêcher, comme l'immense majorité de ses camarades, d'être profondément attachée au Professeur Flitwick, qui, quoique sorcier et beaucoup trop porté sur les jeux de baguette à son goût, n'en restait pas moins un fabuleux directeur de maison. Qui plus est, contrairement à d'autres enseignants tel Slughorn, il n'était jamais venue l'enquiquiner pour lui vanter les mérites de la magie dans l'espoir de la voir passer du côté obscur de la force abandonner son ambition de devenir moldue. Ceci étant, à bien y réfléchir, Pétronille n'était pas certaine que Flitwick soit parfaitement au fait de ce projet. Son silence sur la question n'avait donc peut-être rien à voir avec sa grande tolérance.
Mais quoi qu'il en fût, la Serdaigle répugnait à décevoir le petit sorcier, sur un plan humain du moins, ce qui ne manquerait pas de survenir si elle délaissait Shamee. Ce fut donc d'abord par loyauté envers lui qu'elle s'adressa de nouveau doucement à Shamee :

- Mais ce n'est pas grave, tu sais, assura-t-elle avec un sourire sincère, de pleurer, je veux dire ! Des tas d'élèves pleurent ici, surtout les premières semaines ! précisa-t-elle d'un ton assuré, en fait, on doit être une école bourrée de gens qui pleurent ! Une véritable compétition, je te jure ! rajouta-t-elle, tandis qu'une brève lueur amusée traversait son regard.

Elle s'apprêtait à rajouter, dans l'espoir de dédramatiser la situation pour de bon, qu'un petit sanglot de temps en temps n'avait jamais tué personne et que, d'ailleurs, elle-même n'avait pas encore eu sa dose de la semaine et songeait sérieusement à s'isoler dès la fin de la journée pour chouiner un bon coup, lorsque Shamee parut perdre totalement le contrôle de ses nerfs et se mis à la supplier d'une voix paniquée.
Pétronille écarquilla les yeux de stupéfaction et en perdit l'usage de la parole l'espace d'un instant. Mais... Elle était complètement folle, cette fille ! Comme si elle allait raconter à tout le monde qu'elle l'avait trouvée en train de pleurer dans les toilettes ! Enfin, ce serait un manque de tact impardonnable !

- Tu... Tu ne devrais pas t'inquiéter pour ça, finit-elle par dire en dardant un oeil rond sur la fillette, jamais je n'irai en parler à qui que ce soit ! Ce ne serait pas très... délicat, conclut-elle en fronçant le nez avec application.

De nouveau, elle marqua une pause, hésitant visiblement quant à la suite des événements, mais elle parut soudain trancher et reprit avec conviction :

- Si ça peut te rassurer, tu peux me faire prêter serment ou n'importe quoi d'autre... Tu sais, pour être certaine que je ne dirai rien...

Après tout, la brunette avait grand besoin d'être rassurée sur ce point, et si un petit serment pouvait l'aider à se calmer, Pétronille ne voyait aucun inconvénient à s'y prêter.

Shamee ne put s’empêcher d’ouvrir des yeux ronds en apprenant que la plupart des petites filles de l’école pleuraient très souvent et que ça se savait. Mais le plus extraordinaire à ses yeux étaient qu’elles osent le faire en public. Elle se demanda tout d’un coup si la jeune fille ne la faisait pas marcher et n’essayait pas de lui mentir pour quelque mystérieuse raison que l’enfant ne comprenait pas. Il n’était pas possible que les autres filles puissent pleurer en toute impunité. Il y avait forcément quelque chose que Shamee ne saisissait pas tout à fait et malheureusement, la seule personne qui pouvait lui apprendre la vérité était là devant elle et c’était elle qui lui avait révélé cette énormité. Shamee ne savait pas si elle pouvait entièrement lui faire confiance, mais elle décida qu’elle devait en savoir plus. Et comme la seule personne apte à la renseigner était devant elle, elle n’avait plus qu’à poser la question, même si tout cela lui semblait bien étrange et qu’elle était persuadée qu’il y avait anguille sous roche.

« Alors elles pleurent et ne sont pas punies ? C’est vrai ? Elles ont le droit ? »

Shamee était persuadée que c’était comme elle, en fait, qu’elles pleuraient mais qu’elles faisaient le nécessaire pour que leurs parents ne l’apprennent pas, du moins était-ce ce que Shamee supposait. Mais la jeune fille qui était en face d’elle lui expliquerait probablement tout. Shamee était impatiente de savoir comment ses camarades pouvaient se permettre de telles choses alors qu’elle ne pouvait pas, elle était très curieuse. Elle fut également soulagée quand sa collègue lui dit qu’elle ne dirait rien quant à ses larmes. Elle ne serait donc pas punie pour cela, ça lui faisait du bien de le savoir. Ce n’était pas la première fois qu’une femme lui venait en aide sur ce sujet, mais d’ordinaire, cette femme était sa mère et Shamee mettait cela sur le compte de l’amour maternel. Mais apparemment, le soutien entre femmes existait bel et bien, la jeune fille venait de le lui prouver. Shamee était vraiment soulagée de pouvoir compter sur le silence de la personne qu’elle venait de rencontrer.

« Merci, vraiment ! Je sais que normalement, tu devrais me dénoncer et crois bien que… je ne cherche pas à éviter la punition, je… je sais seulement que ce n’est pas bien, alors… pas besoin de me punir, je ne le ferai plus. »

* Oh mon Dieu... *, songea Pétronille pour la énième fois en l'espace de cinq minutes, lorsque sa camarade reprit la parole, * Elle est vraiment, vraiment tordue cette fille ! *

Depuis qu'elle avait ouvert la porte de la cabine, la Serdaigle avait le sentiment d'entrevoir une nouvelle dimension chaque fois que Shamee s'exprimait. A croire qu'elle vivait dans un monde radicalement différent du sien ! La jeune fille avait plus ou moins espéré que l'histoire des pleurs à garder secrets marquerait la fin de ces absurdités, mais visiblement, elle s'était lourdement trompée : Shamee lui réservait encore quelques belles surprises et moult froncements de sourcils interloqués ! Qu'est-ce que c'était que toutes ces punitions incompréhensibles qui sortaient à tout va de la bouche de la fillette ? Si Pétronille n'avait pas d'ores et déjà été convaincue de la sincérité du désarroi de sa cadette, elle aurait probablement pensé que cette dernière se payait royalement sa tête. Mais il fallait bien reconnaître qu'aux yeux de la brunette qui, certes, avait souvent des relations tendues avec ses parents mais n'avait jamais été sérieusement punie, les propos de Shamee n'avaient tout simplement ni queue ni tête.

- Bien sûr que personne n'est puni ! assura-t-elle en gratifiant la fillette d'un coup d'oeil perçant, Bon, des fois, les gens pleurent parce qu'ils sont punis, j'imagine que personne n'est très content de recevoir une retenue de toute façon, mais ils ne sont jamais punis parce qu'ils pleurent, ce serait tout bonnement... Injuste. Et parfaitement ridicule ! rajouta-t-elle, visiblement choquée qu'une telle idée ait pu traverser l'esprit de la petite sorcière.

* Non mais où est-ce qu'elle est allée chercher des idioties pareilles ? *, se dit-elle, car, bien qu'elle fût Serdaigle, Pétronille pouvait se montrer étonnamment peu vive sur certains sujets, *Et puis d'ailleurs, pourquoi est-ce qu'elle met tout au féminin ? Elle croit que les garçons ne pleurent jamais, peut-être ? *

Quoique cette dernière remarque l'intriguât au plus haut point, la jeune fille jugea préférable de la laisser de côté pour le moment, de crainte que Shamee n'ait une crise d'apoplexie si jamais elle démontait trop rapidement ses préjugés sur les larmes. Une crise de panique par jour suffisait amplement à Pétronille, merci pour elle !

- Mais... Qu'est-ce que tu racontes ? s'exclama-t-elle à la place, totalement perdue, Pourquoi est-ce que je devrais te dénoncer ? Et puis à qui d'abord ? Au professeur Flitwick ? Ah ! S'il savait que tu as pleuré, il te proposerait certainement des chocogrenouilles pour te remonter le moral ! affirma-t-elle d'un ton péremptoire, D'ailleurs, précisa-t-elle en secouant la tête d'un air entendu, je ne vois même pas pourquoi tu dis "dénoncer". Ce n'est pas du tout un crime de pleurer... Je te l'ai expliqué, personne n'a jamais été puni à Poudlard pour avoir pleuré !

Elle fronça imperceptiblement les sourcils, consciente que quelque chose lui échappait, et finit par demander en fixant sur Shamee un regard pénétrant, bien décidée à tirer cette affaire au clair :

- Pourquoi est-ce que tu penses que c'est mal de pleurer, toi ?

* Si ça se trouve, elle vient d'une de ces familles de Sang Pur, celles qui ont des devises dans le genre "honneur et fierté" et qui apprennent à leurs enfants à soutenir la douleur sans faillir ou ce genre de stupidités moyenâgeuses ! *

Certes, les membres de ces familles se retrouvaient généralement à Serpentard, mais quelques spécimens rompaient parfois d'avec la tradition et, pour ce qu'elle en savait, Shamee pouvait très bien être l'un d'eux. Après tout, n'était-elle pas elle-même une Serdaigle issue d'une lignée de Serpentard ?

Shamee ouvrit des yeux ronds en entendant la jeune fille lui apprendre que, pour la plupart des gens, ce n’était pas grave de pleurer. Shamee avait toujours pensé que sa famille était normale, que dans toutes les familles, les filles et les femmes étaient considérées comme des enfants incapables de prendre la moindre décision, même pour elles-mêmes, incapables de prendre la moindre initiative. Elle avait toujours pensé que ce qui se passait chez elle était le quotidien de n’importe quelle famille du monde sorcier. Mais d’après ce qu’elle comprenait de ce que disait sa collègue, ce n’était pas le cas, et la fillette en était singulièrement surprise. Ainsi, sa camarade pouvait pleurer si bon lui semblait et tout le monde trouverait ça normal… Personne ne lui dirait que ce n’était pas bien et elle ne serait pas punie… Pour la première fois de sa vie, Shamee éprouva un sentiment d’envie à l’égard de quelqu’un. Elle venait de découvrir que d’autres filles avaient des droits qu’elle-même n’avait pas.

« Tu as le droit de pleurer, toi ? Ton père ne se met pas en colère ? »

La jeune fille lui parla alors de leur directeur de Maison, le Professeur Flitwick, quand Shamee prit peur et prononça le mot « dénoncer ». Apparemment, ici, on ne dénonçait pas les jeunes filles pour avoir pleuré, on en parlait simplement. Shamee pouvait difficilement concevoir qu’on pouvait simplement parler d’une telle chose, mais elle venait de découvrir que tout n’était pas toujours pareil pour elle et pour les autres. Cela devait probablement expliquer cette nouvelle curiosité, même si Shamee avait de la difficulté à le croire. D’après son amie, si elle parlait du chagrin de Shamee au Professeur Flitwick, qui était lui aussi un homme, il ne fallait pas l’oublier, celui-ci se contenterait de lui offrir une Chocogrenouille en espérant la consoler. Les Chocogrenouilles étaient des friandises bien connues de Shamee. Son frère en avait toujours mangé des dizaines. Elle avait tout de même eu l’occasion d’en goûter car son frère lui en avait donné une un jour où il était particulièrement de bonne humeur. Shamee commençait à se poser des questions sur le directeur de sa Maison.

« Il a l’air gentil, ce Professeur Flitwick… »

[i ]Soudain, la jeune inconnue de Serdaigle posa une question à Shamee. Celle-ci aurait pu s’y attendre si elle avait connu, de base, les différences qui opposaient leurs situations de vie, mais Shamee l’ignorait et pour elle, répondre à cette question revenait à enfoncer une porte ouverte. C’était d’une telle évidence. Mais elle avait bien compris la différence des deux situations à présent. Par conséquent, elle savait que sa camarade ne comprenait sans doute pas aussi bien qu’elle aurait pu l’espérer les règles qui régissaient la vie de Shamee. Songeant que l’autre fille n’avait sans doute pas perçu la différence de leurs situations, Shamee décida de lui expliquer cette loi, que l’autre trouvait si farfelue, et qui faisait qu’elle était à présent et depuis qu’elle l’avait découverte dans cet état si perturbant pour sa camarade. Shamee inspira profondément, ne sachant comment tourner ses mots pour ne pas montrer sa famille sous un mauvais jour, mais elle ne connaissait qu’une seule formulation possible, qu’elle récita comme une poésie apprise par coeur.[/i]

« Quand on a fait l’erreur de naître fille, comme moi, l’erreur n’est plus une option et pleurer est une erreur. »