Une invitation qui ne se refuse pas [PV]

Keira avait invité un jeune garçon à assister aux répétitions. En soi, Roze n'avait pas trop de problèmes avec ça, elle n'était pas super sociable, mais elle faisait des efforts lorsqu'il s'agissait de faire la promo' du groupe. N'ayant pas la pression du leader médiatique qu'était Keira, elle pouvait même se permettre la plupart du temps de se murer dans un silence poli accompagné de quelques sourires.

Roze n'était pas du tout destinée à devenir musicienne dans un groupe médiatique. Elle avait toujours joué du piano, mais elle ne le faisait que pour elle, ou pour son mari Edward. Pourtant, rapidement, une fois adulte, elle avait été intégrée dans le groupe de sa rousse amie. Keira cherchait de nouveaux membres, Roze voulait faire de la musique pour s'occuper... et la voilà entraînée dans des séries de concerts ! Mais à bien des égards, elle n'était pas la membre parfaite, enfin, maintenant elle était tellement bien intégrée que ce n'était plus remarqué, cependant, elle était quand même atteinte de troubles mentaux importants qui la poussait à rester chez elle pour ne blesser personne. Quelque part, faire parti du groupe l'avait obligé à être moins sauvage. Elle avait encore des visions, elle souffrait encore beaucoup, mais elle craignait moins le reste du monde, il ne représentait plus un danger potentiel perpétuel à ses yeux. Et puis, elle avait beaucoup mûri depuis son mariage avec Edward. Elle avait pris sa vie en main. Dire que les années étaient passés sans qu'elle les voit... Maintenant, Lucas était capable de s'habiller tout seul et il pouvait rester avec elle sans que quelqu'un soit dans la pièce au cas où Roze ferait une crise. Cela avait fait plaisir à la jolie blonde d'enfin en arrivé à ce stade de l'enfance de son fils. Devoir sans cesser le confier à une autre de peur qu'elle ne le lâche à cause d'une hallucination... c'était terrible.

Alors que les autres membres étaient partis pour la pause, Roze resta à son clavier. Elle joua les premières mesures de sa dernière ballade. Elle en écrivait beaucoup plus que celles qu'ils jouaient sur scène, le groupe n'étant pas destiné à faire ce genre de musique (mais les fans aimaient bien qu'il y en ait quand même un peu, histoire qu'ils ne restent pas figés dans un seul style), cela ne la dérangeait pas, mais quand elle était seule, elle jouait ce qui lui passait à l'esprit.

Le jeune homme (Rhys de son prénom) s'était approché, et elle tourna lentement la tête vers lui lorsqu'il lui adressa la parole. Elle continua cependant à jouer. « Merci, c'est gentil. Tu veux que je te chante quelque chose en attendant les autres ? Les capteurs qui bloquent mon don ne sont pas activés mais un grand garçon comme toi n'a sûrement pas peur des souris et des oiseaux, pas vrai ? » Keira lui avait dit que le garçon connaissait l'existence du monde magique, sinon, elle n'aurait pas parlé de son don. Roze avait un problème avec la magie depuis qu'elle était petite. Née de mariage consanguin, elle (et le reste de sa famille) avait des problèmes de santé importants, et aussi, elle ne gérait pas sa magie. Elle s'échappait d'elle un peu comme une fumée invisible. En vieillissant, elle avait appris à faire quelque chose de « ces fuites ». Adolescente solitaire, elle s'en était servi pour attirer les animaux en chantant. C'était devenu son don. Elle ne le maîtrisait pas car elle les attirait dès qu'elle chantait, qu'elle le veuille ou non, mais c'était toujours mieux que de se sentir épuisée à longueur de temps. Si elle avait été élève à l'époque de la création de cette école bizarre, elle aurait pu aller à Taliesin, comme Keira. Cela dit, le charisme surhumain était quand même un don plus utile que celui de jouer les princesse disney en chantant (mais Roze aimait ce qui ne servait à rien).

« Oh, je ne crois pas, je ne suis pas Keira tout de même. » Sourit-elle sans fausse modestie. Elle n'avait aucun problème avec le fait que son amie soit le leader du groupe. Déjà, son pouvoir l'y prédestinait, et en plus Roze détestait la partie très « miroir aux alouettes » de leur métier. Keira vendait plus facilement le groupe, le rêve d'être une idole. Roze était trop discrète pour tout ça, du coup, même si elle avait bien quelques fans à elle, elle avait conscience que la plupart seraient plus prêt à tuer pour avoir un concert privé de Keira que d'elle. Surtout que Keira était aussi mannequin, donc adulée pour son physique. C'était quelque chose que Roze comprenait assez mal d'ailleurs parce qu'elle trouvait que son amie était mignonne mais... bon... elle était très maigre, non ? Il fallait croire qu'elle ne comprendrait jamais rien à la mode, tout simplement.

« Je doute que les animaux vivants dans les alentours soient de taille à faire peur. » En revanche, un jour elle avait chanté non loin d'un zoo et ça avait été assez drôle de voir que l'éléphant essayait de venir. Mais elle avait arrêté de chanter et tout était rentré dans l'ordre. Dire qu'elle avait seulement voulu chanter une berceuse à son fils lors d'une sortie en famille...

Elle se mit à jouer et à chanter l'une de ses dernières ballades, mais elle ne la joua pas en entier car, rapidement, comme elle l'avait anticipé, une petite souris (coup de chance, ça aurait pu être un gros rat) s'approcha, ses petites pattes se posant sur le pied de Roze (heureusement, un clavier, contrairement à un piano, n'a pas de pédales). « Tiens, regarde, nous avons une petite visiteuse. » Elle leva les yeux vers l'unique fenêtre (qui ressemblait plutôt à un soupirail) et une flopée de pigeon se trouvait là, accompagnés de petits moineaux. C'était encore l'hiver, sans ça, il y aurait eu plus d'espèce. « Heureusement que nous sommes en ville et en hiver, dans le cas contraire, nous aurions été envahis. Cette pauvre petite doit vivre dans le coin. » Elle siffla quelques notes, la souris s'éloigna, revint, puis s'éloigna de nouveau. « Elle va devoir faire attention aux tapettes à souris. Je suis contre ce genre de procédés barbares. Je comprend que les animaux puissent être nuisibles à certaines activités et qu'il faille s'en préserver, mais tout de même, il existe d'autres méthodes. Tu ne penses pas ? » Au risque de nous répéter, Roze n'était vraiment pas douée avec les êtres humains en général.

Héritière d'une noblesse sorcière allemande pauvre, elle avait eu une jeunesse difficile (de là provenait ses différents troubles mentaux, outre un problème plus médical). Elle n'avait que peu d'amis (en fait, elle avait surtout Keira si on devait considérer que les amis sont des gens en qui on a une relative confiance), et ça avait presque toujours été le cas. Elle n'en souffrait pas, si on la laissait faire, elle vivrait dans la solitude la plus complète, avec seulement sa famille et tous ses animaux (elle en avait beaucoup).

Elle se leva, monta sur une chaise, ouvrit la fenêtre malgré la fraîcheur, et sourit aux oiseaux. « Je suis désolée, je n'ai pas de graines à vous donner. Il va falloir repartir, Raph' déteste quand vous entrez parce que vous salissez les instruments. Revenez une prochaine fois. » Elle les regarda s'envoler et se tourna vers Rhys un bref instant avant de retourner à sa contemplation du paysage. « Tu as aimé ma chanson ? » Bah oui, il était là pour la musique après tout.

« Ce n'est pas une question d'importance. » rétorqua avec douceur Roze, ses doigts frôlant les touches du piano sans appuyer dessus. « J'ai voulu faire de la musique avec Keira parce qu'elle est mon amie et que j'avais besoin de quelque chose qui ne soit qu'à moi. » Depuis son adolescence, elle partageait tout avec son mari, qui à une époque n'était que son ami, puis son petit ami. Elle n'éprouvait ni besoin, ni désir qu'il en soit autrement jusqu'au moment où lui avait commencé à travailler, à évoluer dans son propre univers. On ne peut pas exister qu'au sein de sa famille, même si c'est très important. Or, il n'y avait qu'à CS qu'elle n'était plus ni la femme de Edward, ni la cousine de Fred, Fried' et Serena, ni l'héritière de son père, ni même la mère de Lucas et Psychée. Elle était un membre du groupe, mais elle ne jouait pas dedans pour être connu. Aussi, elle reprit. « Quelque chose que je ne partage pas avec le reste de mon entourage, mais uniquement avec Keira et les deux autres. Je ne tenais pas spécialement à devenir connu. Je viens d'une longue lignée de sang pur, des nobles de la défunte Prusse Germanique, je ne connais que trop le prix à payer pour le regard des autres. » Elle haussa les épaules, nonchalamment. « Ce n'est donc pas une question d'importance, mais simplement... une façon d'être. Si des gens veulent que je joue pour eux, je serais toujours d'accord pour ça, il n'y aura pas de liste d'attente, je jouerais, c'est tout. Keira est dans un autre business. » Non pas que son amie refuserait de jouer pour qui voulait l'entendre, mais elle se montrait beaucoup plus, elle était mannequin, alors son univers n'était pas régi par les mêmes codes que celui de Roze. En Allemagne, dans le duché de la blonde, ça aurait été une autre histoire, parce que là-bas, Roze était presque vénérée par les autres sorciers. Cela dit, si elle vivait en Angleterre, c'est qu'il y avait une bonne raison.

Elle s'occupa ensuite brièvement des animaux alentours, attirés par sa chanson. Elle acquiesça aux paroles de Rhys. Il ne fallait pas tuer les animaux, sauf en cas de danger immédiat. Les parasites par exemple sujet d'actualité chez moi en ce moment ne méritaient sûrement pas de mourir, mais comme leur présence tuait les autres animaux de Roze, elle devait bien s'en débarrasser quand même. Ce qui ne l'empêchait pas de trouver qu'il y avait des moyens de le faire, et pour les souris, on ne lui ferait pas croire que les tapettes étaient un moyen sans douleur pour l'animal.

« Depuis que je suis petite, je ne sais plus quel âge j'avais exactement. Mes précepteurs venaient au château et l'un d'eux m'enseignait le piano. Je me suis mis au clavier en arrivant à CS, mais c'est une simple question d'adaptation, et rien ne vaut le son d'un vrai piano par ailleurs. » On ne lui ferait pas croire qu'un clavier produisait un joli son, ce n'était pas naturel. Mais elle admettait que cela se mariait mieux à de la musique rock. Roze n'était pas contre les compromis. Si on y réfléchissait, sa vie entière était faite de compromis. « Et toi ? Tu fais de la musique ? »

Roze sourit avec malice, mais chez elle, même cette expression dégageait quelque chose d'un peu mélancolique. La schizophrénie dont elle souffrait depuis sa pré-adolescence la rendait instable émotionnellement, aussi s'arrangeait-elle pour ne jamais rien éprouver de trop fort. Elle n'était jamais triste, jamais en colère, jamais complètement heureuse non plus. Les médicaments lui permettaient de ne pas avoir d'hallucination et la thérapie lui avait permis de ne plus s'adresser aux meubles ou à la vaisselle, mais sa maladie était incurable en ce qu'elle ne guérirait jamais vraiment. Aussi, même si elle se voulait taquine, son sourire semblait venir de très loin, comme s'il y avait un rideau entre Rhys et elle. Mais ce rideau existait avec tout le monde... Même avec ses enfants, c'était triste à dire, mais c'était ainsi.

« En vérité, si tu ployais le genoux, ce serait Comtesse Maiden qu'il faudrait m'appeler, nul n'a le droit en mon château de m'appeler par mon prénom à part ma famille. Heureusement, ici, nous ne sommes pas au château. » Et celle qui avait pris sur ses épaules la responsabilité de la famille était Fredericke. Roze aurait dû être l'héritière mais elle avait cédé sa place d'abord à Friedrich puis, à la fugue de celui-ci, à la sœur de celui-ci. Roze se chargeait de la gestion de leur patrimoine, mais elle ne supportait pas les mondanités. Sa cousine avait plus les épaules qu'elle pour tenir ce rôle, sans compter qu'elle n'avait pas la réputation de Roze. Même si maintenant elle avait sa petite célébrité et que l'argent apporte souvent un semblant de respect, elle se souvenait de comment on la traitait lorsque, enfant, elle parlait de ses visions de cauchemar. Le mépris qu'ils éprouvaient alors la rendait intolérante à leur égard. Les bals de charité, les présentation aux cours sorcières d'Europe, ce n'était pas pour elle. Quitte à figurer sur un magazine, elle préférait que ce soit parce qu'elle jouait du piano plutôt que parce qu'elle s’appelait Maiden (ou Montgomery, la famille de son mari n'étant pas forcément mieux loti que la sienne à certains égards).

« Tu as raison, mais ce n'est pas forcément facile d'être soi-même. Cela peut même être très égoïste, parce que pour qu'une seule personne puisse rester elle-même, il y a parfois de nombreuses victimes. » Ses doigts frôlèrent les touches du piano, songeuse. Elle voyait le piano, mais elle voyait aussi tout un tas d'autres choses. Tout le mal qui avait eu lieu autour d'elle parce qu'elle avait choisi la voie de la liberté. Romuald avait fini à Azkaban, Fredericke était dépressive, Friedrich vivait reclus, son père était mort à force de fatigue et de chagrin, sa tante l'avait précédé dans la tombe. Tout était lié, au départ, à ses décisions à elle. Elle fronça les sourcils. Qu'importe. Le passé était le passé, et au moins pour ce qui était de Fried' et Fred', il y avait encore une chance de les sauver.

« Il est évident que je préfère faire du piano, mais cela dit, j'aime beaucoup aussi le son du violon. » Quant à son grand âge, pas la peine de relever, par rapport à Rhys, elle était forcément vieille, tout était question de point de vu.

« J'y penserais. » Dit-elle en souriant encore une fois. Mais elle doutait d'avoir besoin d'un garde du corps, on ne dirait pas à la regarder, mais elle avait vécu la guerre, elle n'avait pas besoin d'être protégée (ou alors c'était Edward qui s'en chargeait).