Quoi ? Là, maintenant ... [PV]

En fait, ce n'était pas tellement que Megan n'était pas organisée, c'était seulement qu'elle ne l'était pas dans le privé parce qu'elle n'avait jamais eu besoin de l'être. Sa joyeuse famille fonctionnait sur le mode du bordel sympathique où chacun rentre et sort comme il veut, et elle n'avait jamais été en couple assez longtemps (ou à un âge mature) pour devoir vivre avec quelqu'un et avoir besoin de s'organiser. Cependant, elle sentait bien qu'il allait falloir qu'ils trouvent des accords avec Tyler. Mais contrairement à la première fois où ils s'étaient rencontrés (et avaient créé leur futur petite merveille), elle n'était plus soûle, et une Megan en pleine possession de ses moyens n'est pas vraiment du genre à prendre des décisions. Alors elle se laissait porter par le courant, prenant les vitamines que Tyler avait tenu à ce qu'elle prenne, allant chez le médecin plus souvent les six derniers mois que dans tout le reste de sa vie (Meg' avait une assez bonne santé). Elle avait seulement eu des exigences à propos de son travail, refusant catégoriquement d'arrêter complètement et continuant du fond de son lit les derniers jours à faire des croquis pour sa patronne. Myrielle ne lui avait pas demandé, c'était juste que l'inactivité la rendait folle. Elle en avait marre de ressembler à une baleine, elle voulait être délivrée et pouvoir tenir son bébé dans ses bras plutôt que de la sentir bouger dans son ventre.

Quand le moment arriva, elle appela Tyler mais ce n'est pas lui qui l'emmena à Sainte Mangouste, pour ça, elle fit appel à Myrielle justement. Non seulement la boutique était à deux pas, mais quitte à être dans cette situation, une femme lui semblait plus indiquée. Myrielle avait naturellement une aura rassurante (quand elle n'essayait pas de vous tuer) parce qu'elle était forte et calme. Elle avait porté Megan malgré tous les kilos qu'elle avait pris et avait transplané avec elle à l'hôpital. La rouquine resta avec elle quelques minutes mais quand le gros du travail commença, on lui demanda de partir. Ça paniqua un peu Meg'. Myrielle s'approcha d'elle et déposa un baiser sur son front humide. Même si elles avaient le même âge, elles n'avaient pas le même vécu, et aux yeux de la blonde, la rousse sulfureuse était comme une sœur aînée (bien plus fiable que sa vraie sœur par ailleurs). « Tout ira bien Megan, ne t'en fais pas, je reviendrais te voir dès que possible. » Cette promesse rassura Megan qui n'eut cependant qu'un court répit avant la contraction suivante.

Tyler arriva peu après. Elle lui prit la main sans réfléchir et serra les dents. Elle détestait crier en publique. « C'est facile à dire » Expira-t-elle dès la contraction passée d'un ton rageur. Les hommes avaient la vie facile à ce niveau là quand même ! Non qu'elle en veuille à Tyler, il n'était pas responsable, mais tout de même, pourquoi tant de souffrance pour les femmes ? Elle n'eut guère le temps de philosopher. Les contractions se rapprochèrent et Meg' commençait à avoir l'impression d'être dans le brouillard.

Elle ne savait plus combien de temps était passé lorsqu'enfin la douleur s'estompa... et qu'elle entendit « Monsieur ? Vous voulez couper le cordon ? C'est une superbe petite fille. » Elle ne vit pas ce que fit Tyler (couper ou pas le cordon), mais elle sourit, soulagée. Maintenant, elle ne voulait plus qu'une chose : voir sa fille ! Après tout, elle avait assez souffert pour obtenir ce droit.

Oui, ils avaient fait du beau boulot, et sans vouloir se vanter, elle y avait eu une grande part. Elle était épuisée physiquement et mentalement. Mais elle était aussi heureuse, maintenant que la douleur la quittait, de pouvoir sentir sa fille et de se dire qu'elle était en bonne santé. La sérénité fut cependant de courte durée puisqu'on se mit à leur poser des questions, or Meg' n'avait aucune envie qu'on la sorte de sa petite bulle de tranquillité. Sans même compter que la question des noms de famille lui renvoyait le fait que sa fille était un enfant illégitime. Ayant vécu et grandi dans un cercle familial classique par la forme (à défaut de l'être par le fond), elle avait du mal avec l'idée de tout ces arrangements. Encore qu'elle fasse avec, il avait été hors de question pour elle d'avorter, de faire payer son inconséquence à son futur enfant. Et elle savait qu'elle était plutôt bien tombée avec Tyler. N'empêche, elle n'était pas complètement à l'aise, et les paroles de sa sœur lorsqu'elle avait annoncé la nouvelle à noël lui revenait fréquemment aux oreilles.

La bouche sèche, elle répondit après une trentaine de secondes de silence. « Oui, on reste sur ce qu'on avait décidé. Aylaen Jones-Miller. » Megan n'était pas ultra féministe ni très engagée pour la cause et peut-être que si elle avait fait un enfant hors mariage avec un homme qu'elle fréquentait, elle n'aurait pas accolé son nom de famille, laissant la paternité dominé à l'état civil. Mais comme elle n'était pas avec Tyler et qu'ils allaient se partager la garde de la petite fille, elle avait choisi de lui laisser son nom de famille. En plus, les Jones étaient une vraie « famille », dans son esprit, donner son nom à sa fille revenait à l'intégrer dans son noyau familial. Puis, c'était le premier petit-enfant de ses parents, ça leur avait fait plaisir quand Meg' le leur avait annoncé (pour le nom de famille, le prénom, tout ça, parce que la nouvelle de sa grossesse n'avait pas emporté tous les suffrages dès le premier tour).

L'infirmière partie, Megan tourna le tête vers Tyler et lui sourit d'un air heureux mais las. « Je suis contente que ce soit terminé. » Finalement, ils avaient passé les trois premiers mois dans l'ignorance (au moins pour Tyler), les trois suivants à s'organiser, et les trois derniers à attendre avec impatience que le grand moment arrive. Finalement, c'était fait, leur fille était là, ils allaient maintenant pouvoir tester tous les plans qu'ils avaient monté pour que l'éducation d'Aylaen soit aussi équilibrée que possible (voire parfaite, après tout, il fallait parfois être un peu optimiste/ambitieux).

« Je... Je suppose oui. » Elle n'osait pas être affirmative. Elle avait encore mal partout, elle se sentait très lasse, et elle se demandait si elle arriverait à être une bonne mère. Elle allait tout faire pour, c'était sa seule et unique certitude. Pour le reste, et bien, garder le bébé avait été la première décision de sa vie. Megan était de ces caractères qui se laissent porter par les événements bien plus qu'ils ne les vivent. Erwan puis Simon l'avaient choisie puis l'avaient quittée sans qu'elle ait le temps ou l'opportunité d'avoir des regrets. Myrielle avait fait d'elle son assistante, ça avait été comme une évidence qui s'imposait à elle. Elle n'avait rien eu besoin de faire pour ça, Alexander avait tout arrangé. Sa vie était faite ainsi, les autres décidaient, et elle regardait sa propre existence de loin. Discrète, ça lui convenait. Puis, elle était tombée enceinte d'un quasi inconnu qui – histoire de tartiner un peu plus la chose – était plus jeune qu'elle. Elle avait réfléchi, tergiversé, puis elle avait choisi. Sa décision n'avait pas été sujette à discussion. Elle aurait cet enfant. Mais pour elle qui n'était pas habituée à mener sa propre barque, c'était un énorme chamboulement, qui dépassait le fait – simple en comparaison – d'avoir un enfant.

« Donne-la moi s'il te plaît, je me reposerai après. » Répondit-elle avait un petit signe affirmatif à l'encontre du père de son bébé. Il lui déposa Aylaen dans les bras et elle regarda longuement le visage de sa fille d'un air à la fois contemplatif, émerveillé et sérieux. Difficile de dire de qui elle tiendrait, les bébés avaient toujours à la naissance ce petit air chiffonné qui faisait qu'on ne devinait pas encore vraiment leurs traits. Megan était presque sûre que sa mère s'écrierait que c'était son portrait tout craché (ce qui équivalait à dire que c'était aussi le portrait de sa grand-mère maternelle, c'était bien l'idée de la dite grand-mère lorsqu'elle dirait ça). Tiens, d'ailleurs, elle se demandait si sa fille avait hérité de son problème génétique. On ne pourrait pas le savoir tout de suite, en effet, il était trop tôt pour savoir si elle avait un problème de surdité, les yeux vairons ou une partie des chevaux décolorés. Bah, ils le sauraient bien assez tôt !

Tandis que son esprit voguait tranquillement sur ces eaux calmes, elle réalisa quelque chose et reprit la parole, tournant ses grands yeux vairons vers Tyler tandis que la petite continuait à somnoler. « Je viens d'y penser... pourrais-tu joindre ma famille ? Ma mère, Roman et Nicolas en priorité. » La nouvelle suivrait dans le reste de la famille, Jenny n'était même pas en Angleterre de toute façon. « Et tu devrais peut-être téléphoner chez toi aussi. » Megan sentait qu'elle allait avoir plus de visites dans les prochains jours que pendant ces cinq dernières années...

Megan ne savait pas si c'était une bonne chose d'avoir mené sa grossesse à terme. Elle doutait beaucoup d'elle. Serait-elle capable d'être une bonne mère ? Après tout, la sienne était une catastrophe ambulante alors elle n'avait pas de vrai modèle (pas que Mme Jones ait été une mauvaise mère, elle était juste... particulière). Mais quand elle regardait sa petite fille dans ses bras, elle se disait que ça aurait été trop triste d'avorter juste parce qu'elle n'était pas en couple avec le papa. Surtout que Tyler était vraiment quelqu'un de gentil, elle aurait pu tomber sur bien pire.

« Hum ? » Elle avait à peine écouté ce qu'il lui disait mais elle reconnecta ses neurones rapidement. « Ah oui, demande-leur de freiner leurs envies de venir quelques heures, j'aimerais être là quand ils verront la petite, et être réveillée aussi. » Elle se demanda si elle aurait le temps de se remaquiller. Megan était affreusement préoccupée par les apparences et franchement elle ne s'était jamais sentie plus moche que ce jour là. Et comme elle pensait à ça, elle eut une idée lumineuse (ou pas). « Ah, dans les amis, pense à téléphoner à Bérénice et demande-lui de m'apporter du maquillage et des crèmes de soin de son stock, je ne ressemble à rien, j'ai absolument besoin qu'elle me redonne un air plus humain. » Ce n'était pas très délicat de demander au père de sa fille de téléphoner à son ex' pour que celle-ci l'aide à se maquiller, mais quand on venait de passer plusieurs heures de travail pour expulser le fruit d'une unique nuit de passion, on pensait assez peu à être délicat. De plus, Tyler parlait toujours à Bérénice et il savait qu'elle était amie avec Megan donc ça ne devrait pas non plus être de l'ordre de l'impossible. La jeune femme était esthéticienne donc elle était la mieux placée pour résoudre son problème. Personne n'en doutait, et encore moins Megan qui allait dans le salon de son amie depuis que celle-ci y travaillait (elle ne confiait pas sa figure à n'importe qui eh!).

« Biberon. Ma mère n'avait pas beaucoup de lait, je risque d'être comme elle, en plus je vais devoir reprendre le travail assez vite, les biberons sont plus faciles à gérer si c'est quelqu'un d'autre que moi qui doit la nourrir. » Elle déposa un baiser sur le front de sa fille et la tendit à Tyler. « Reprends-la, je crois que je vais dormir un peu, je me sens vraiment lasse et je sens qu'il me faudra de l'énergie pour les visites de tout le monde. » Elle sourit et se cala dans les oreillers. Enfin, sa fille était née, enfin, elle allait pouvoir dormir quelques heures... pour ensuite commencer pour de bon sa nouvelle vie de maman. Elle espérait sincèrement être à la hauteur, mais la tâche lui semblerait forcément plus simple une fois un peu reposée de cette première épreuve.

Elle attendit que Tyler ait couché leur fille dans le berceau et elle ferma les yeux pour s'endormir paisiblement presque aussitôt.