« Enfin ! » soupira le petit rat en apercevant les tours de Poudlard perçant la brume anglaise inévitable en cette saison.
Il faisait frais mais c’était bon de rentrer chez soi.
Cela faisait si longtemps qu’il était parti que beaucoup de choses avaient du changer en son absence. Le Roi des rats aurait-il changé ? Le grand barbu serait-il toujours à la tête du château ? Mille autres questions se bousculaient dans sa tête mais, aussi intéressantes que soient les réponses, son envie première était de retrouver les obscures galeries familières baignées des parfums rassurants qui guidaient ses aventures aussi sûrement qu’une carte l’aurait fait pour un humain.
Le vent d’altitude rebroussait ses poils tandis qu’il se rapprochait à toute vitesse. Le souvenir de cette nuit remonta alors dans sa mémoire. Il s’était attardé plus que de raison à l’orée du bois à la recherche des graines et autres nourritures que la fin de l’automne laissait tomber habituellement sur le sol. Les bruits habituels de la forêt s’étaient fondus dans le brouhaha qu’on relègue au fond de son cerveau quand soudain un craquement de branche l’avait fait sursauter. Tout être vivant suffisamment lourd pour faire craquer une branche étant potentiellement un prédateur, le premier réflexe de Skiìrt avait été de trouver un refuge qui ne soit pas une tanière dans laquelle on pouvait se trouver nez à nez avec des mâchoires avides.
Heureusement pour lui, du moins le crut-il, la cachette providentielle se présenta à lui au bout de quelques mètres. Un vieux godillot abandonné au pied d’un arbre offrait sa protection de cuir épais à la petite gourmandise affolée qui ne voulait pas se faire croquer. Une odeur de vieux cuir le rassura quasi instantanément sur l’état d’inoccupation de la chaussure et il s’engouffra à l’intérieur juste à temps car un autre craquement se fit entendre presque au même moment.
Un pas lourd et précipité se rapprochait de lui. L’avait-on vu ? Il recula au fond de la chaussure et se prépara à mordre cruellement tout intrus qui tenterait de le déloger quand son abri improvisé fut saisi par une créature essoufflée. Il écarta aussitôt les pattes et se planta ses griffes dans le cuir intérieur de la chaussure afin de ne pas tomber piteusement sur le sol car la chaussure se mit à tourner, à bondir, à se secouer comme si elle avait pris vie. Malgré ses yeux fermés, Skiìrt voyait défiler des lumières ; il entendait aussi le sifflement du vent. Cela dura longtemps car le rat, qui avait instinctivement bloqué sa respiration, fut surpris par le besoin impératif en oxygène de ses poumons. Il se remit précipitamment à respirer et, comme si son halètement minuscule avait été détecté par son ravisseur, tout s’arrêta d’un seul coup.
Le jour s’était levé ! Skiìrt ne comprenait pas. Après le soir, c’est toujours la nuit qui vient.
Non, c’était plus que cela. La température avait changé. L’humidité aussi. Aucune odeur n’était la même, à part celle du vieux brodequin. Une seule déduction possible : il était ailleurs, vraiment ailleurs. La chaussure était de nouveau au sol et celui qui l’avait bousculé de la sorte s’éloignait à grand pas. En sortant la tête, il vit une sombre cape de voyage qui descendait la colline. Déjà, le silence s’installait, c’est à dire que les bruits de la forêt reprenaient leurs bruissements car il était de nouveau dans une forêt mais ce n’était pas celle qu’il connaissait. Celle-ci avait l’air beaucoup moins sinistre, on aurait dit un rêve de forêt…
Le danger semblait passé.
Soudain, Skiìrt ressentit dans ses tripes un grand vide. Il était loin, très loin de chez lui, complètement perdu sur un territoire inconnu, promis à une mort certaine s’il restait dans ce joli petit bois où la nuit allait bien finir par arriver avec son cortège de griffes, de serres et de crocs qu’il n’aurait que le temps d’apercevoir avant de succomber.
Il fallait d’urgence trouver d’autres rats en espérant qu’ils l’accueilleraient.
Pour cela, le plus évident était de trouver des traces d’activités humaines. Là où il y avait des hommes, il y avait des rats. C’était ainsi depuis toujours et ça resterait éternellement vrai car les hommes aiment les rats, c’était évident. Leur façon de jeter toute cette nourriture autour d’eux ne laissait aucun doute…
Bref, la silhouette aperçue tout à l’heure lui donnait la direction à prendre et il se mit à trottiner sur le chemin qui descendait de la colline.