Une coquille vide
Anh & Emma
Emma n'avait pas eu une vie de tout repos. Depuis son plus jeune âge, son existence avait été marquée par le drame, l'amertume, puis le deuil. Au fil du temps, elle avait appris à vivre avec, à accepter que la tristesse était une composante de la vie, que certains jours ça n'irait pas et qu'elle aurait envie de s'isoler à tout prix, même si en définitive, les choses allaient
bien désormais et qu'elle était loin d'être à plaindre. Elle avait un système de soutien, constitué de ses proches, et ça aidait grandement. Quand ça n'allait pas, que c'était un jour "sans", elle savait qu'elle avait des gens sur qui compter, qui étaient dans sa vie depuis suffisamment longtemps pour qu'elle soit sûre qu'elle pouvait se reposer sur eux, qu'ils ne disparaîtraient pas sans crier gare. Son père lui manquait à un point inimaginable, au stade où ça en était parfois une douleur physique, mais elle avait appris à faire avec. Elle pensait à lui chaque jour, se demandait quel avis il aurait concernant les choses les plus futiles: un livre qu'elle venait de terminer, un fait divers des plus pittoresques... Aider les autres lui permettait de s'aider elle-même. C'était un peu égoïste, au fond, et elle en était consciente. Mais travailler en tant que médicomage l'aidait à se concentrer sur les problèmes d'autres gens - qui en avaient souvent bien besoin - plutôt que de se morfondre sur les siens. C'était un soulagement que de pouvoir mettre toutes les petites voix contradictoires résonnant dans son esprit sur "off" pour mieux soulager la douleur d'autrui.
Aujourd'hui avait été un jour entre les deux. Elle n'était ni triste ni particulièrement gaie, peut-être juste un brin mélancolique. Charlie le lui avait fait remarquer à l'heure du déjeuner, et elle s'était vue hausser les épaules, un léger sourire presque automatique aux lèvres. Leur relation était diamétralement opposée à celles qu'elle avait entretenues par le passé, que ça soit avec Nick, ou Jenson - puisqu'elle était enfin capable d'appeler ce qu'elle avait vécu avec ce dernier comme telle, plutôt que d'afficher une grimace des plus comiques tout en produisant un son s'apparentant vaguement au bêlement (au grand désespoir de sa meilleure amie). Nick avait été son premier amour, sa première vraie relation, avec son meilleur ami dont l'enfance avait été trouble comme la sienne, et qui la connaissait mieux que quiconque. Elle avait brisé quelque chose entre eux en partant pour Salem, et elle le savait. Elle en était consciente au moment où les mots s'échappaient de ses lèvres, et elle en était également consciente assise en cours, à plus de 7000 km de celui qu'elle avait laissé derrière elle pour pouvoir tout oublier. Si elle avait aimé Nick, leur relation avait malgré tout été celle de deux être un peu brisés, se raccrochant à l'autre pour trouver une sorte de stabilité. Puis, il y avait eu Jenson, leurs disputes incessantes, sa capacité inouïe à la faire sortir de ses gonds, et le pari qui avait tout fait basculer. Tout lui avait paru si compliqué avec Jenson, si stressant !
Charlie était calme, mature, compréhensif. Leur relation s'était développée sans grands éclats, mais sans grandes étincelles non plus si elle devait se montrer tout à fait honnête. Était-ce là une grande perte ? Elle n'en était pas si sûre. Elle avait tant à gérer au jour le jour, elle ne pouvait pas ajouter une chose aussi conséquente qu'une relation amoureuse sur le tas. Charlie n'était pas un problème de plus à gérer. Au contraire, il était souvent la solution. Celui capable de la rassurer, lui offrir des bras dans lesquels se loger après une journée particulièrement harassante. Elle était bien avec lui. Après trois ans, ils avaient adopté des habitudes de vieux couple que Mary lui reprochait gentiment mais qu'elle ne pouvait ni réfuter ni regretter.
Il se faisait tard lorsqu'Emma quitta sa tenue de médicomage pour des vêtements plus passe-partout, et rejoignit le couloir où elle aperçut Anh. Le jeune homme avait été de trois ans son aîné à Serdaigle. Elle l'avait connu de vue, puis de nom lorsqu'elle était devenue préfète et s'était vue chargée du bon déroulement des choses au sein de leur maison et de Poudlard de manière plus générale
elle gérait tout Poudlard à elle toute seule, oui monsieur. Il avait été un visage familier quand elle était arrivée à Sainte-Mangouste en tant qu'apprentie, ce dont elle lui était silencieusement reconnaissante. Plongée dans ce nouveau monde, apercevoir une tête connue - même s'ils ne s'étaient jamais rien dit de plus palpitant que "passe moi le sel tu seras gentille" ou "excuse-moi j'ai cassé ma dernière plume en écrivant comme une folle aurais-tu la bonté de me prêter la tienne
à tes risques et périls ?" - constituait un petit soulagement, la perspective qu'au moins si elle venait à se cogner la tête contre un tiroir et gésir tragiquement dans un coin, Anh - au vu de leur passé fort de moments touchants - ne la laisserait pas crever la bouche ouverte.
Elle réalisa tout de suite que quelque chose clochait. Le jeune médicomage était assis par terre les yeux fermés, et elle voyait sa poitrine se lever puis s'affaisser à intervalles bien trop rapides. Alarmée, elle sentit une pointe de stress la saisir.
« Anh ? » Elle s'était immobilisée avec incertitude à la vue du garçon mais laissant ses réflexes prendre le dessus, elle le rejoignit en quelques enjambées et s'accroupit aussitôt à son niveau. Visiblement, il en était en proie à une sorte de crise de panique. Son regard passa sur les boutons de sa chemise défaits
quelle indécence Monsieur Karisteas.
« Qu'est-ce qui s'est passé ? Essaye de te concentrer sur ta respiration, d'accord ? » lui intima-t-elle avec un calme professionnel bien que soucieuse. S'il s'agissait effectivement d'une crise de panique, la première chose à faire était de l'aider à retrouver le calme par le biais de la respiration. Si c'était autre chose, elle ferait au mieux, mais pour l'instant il fallait qu'Anh l'aiguille sur son état.