Après-midi dindes [PV Joséphine]

Prudence était aux anges. En cette pluvieuse après-midi de Novembre, à l'aube d'une adolescence qui s'annonçait mouvementée pour son entourage ( « Fuck l’autorité et les attentes étriquées d’une société dominée par de vieux schnoques réactionnaires ! ») , la jeune sorcière s'apprêtait à réaliser son rêve le plus fou devenir Directrice de Poudlard en compagnie de Joséphine de Guise. Cette association avait probablement de quoi étonner : Prudence ne fréquentait pas les mêmes cercles que Joséphine, plus âgée qu’elle et, de surcroit – eûrk - française. Elle avait également des centres d’intérêt a priori aux antipodes de celle-ci. Pour ne rien cacher, Prue était intimement convaincue que Joséphine souffrait d’un grave problème mental, depuis qu’elle avait appris qu’elle n’avait même pas l’intention de passer les épreuves de sélection de l’équipe de Quidditch. Pire ! Elle souffrait du vertige : quelle drôle d’idée, pour une sorcière, vraiment ! Aux yeux de Prudence, c’était aussi ridicule que d’avoir peur d’aller se promener dans la forêt interdite, de gambader de nuit dans les couloirs, au nez et aux moustaches de l’increvable Miss Teigne, ou de se battre en duel, tous ces petits riens qui faisaient, selon la fillette, la joie du sorcier moyen.

Ajoutez à ceci que la première rencontre entre les deux filles n’avait pas été des plus heureuses (rétrospectivement, Prudence s’était même demandé si elle n’aurait pas dû faire un rapport pour « manque de respect patenté envers l’autorité préfectorale », tant Joséphine avait semblé faire peu de cas du badge – pourtant rutilant – qu’elle arborait fièrement sur la poitrine), et vous obteniez un tableau assez complet de l’étrange relation qui était en train de naître entre Prudence et Joséphine. A ce stade de l’histoire, l’équilibre demeurait fragile, et leur alliance pouvait tout aussi bien donner naissance à une de ces indéfectibles amitiés dont Poufsouffle avait le secret qu’à une haine viscérale, ce qui, au vu du caractère explosif des deux sorcières, n’avait rien de très rassurant. Merlin seul savait jusqu’où elles étaient capables d’aller pour pourrir leurs adversaires. Comment ? Ce n’est pas la salle commune de Serpentard ici ? On m’aurait donc menti ? Mais, pour le moment du moins, le château pouvait respirer : si tout se déroulait selon le plan, aucun drame ne devrait venir ternir cette journée d’automne.

- Youhou, Jo', tu es déjà là ? Claironna Prudence, avec la discrétion d'une hyène, tandis qu'elle pénétrait d'un pas conquérant dans la salle de bain. C'était là, en effet, en terrain neutre au milieu des brosses-à-dents aux polis avachis et des bouteilles de gels douche aux parfums exotiques, que les deux filles avaient prévu de se retrouver, et que Prudence devait changer de vie. Pour l'heure, cependant, seul le « ploc, ploc » lancinant d’un robinet vétuste lui répondit et, malgré son dépit, la jeune fille dut se rendre à l’évidence : trop excitée à l'idée de changer pour toujours sa Destinée (car c’était bien ainsi qu’elle percevait ce qu’elle s’apprêtait à faire), elle était arrivée en avance au rendez-vous. Peu importait. En fait, malgré son impatience, Prue était presque heureuse de l'absence de sa camarade. Elle lui laissait le temps de faire ses adieux à sa caractéristique physique la plus détestable, celle qui la complexait depuis sa prime enfance et qui, héritée de son père, trahissait son ascendance sang-mêlé britannique, alors qu'elle se revendiquait Irlandaise pure souche.

L'air soudain un peu hésitant, Prudence coula un œil furtif à sa montre. Avait-elle le temps ? C’est qu’elle n’aurait pas aimé être surprise en pleine scène d’adieu, car, s’il y avait bien une chose dont elle se vantait, c’était de ne pas céder facilement à la sensiblerie. Mais non, certainement, personne ne la verrait. Alors, avec une timidité qui ne lui était pas coutumière, Prue se dirigea vers le miroir le plus proche et demeura un instant immobile face à son reflet. Puis, s’appuyant des deux mains sur le rebord du lavabo, elle s’en approcha au point que son nez touchât presque la glace.
- Allez, lâcha-t-elle d’une voix étrange, comme oscillant entre triomphe et désespoir, salut les nazes !
Elle loucha avec application sur ses longs cheveux. Que de qualificatifs n’avait-elle pas utilisés, au fil des ans, pour les décrire ! « Blond fadasse », « Châtain dégueulasse », « Plus inintéressants qu’un jour de pluie », « D’un ennui mortel »… Non, décidément, elle ne les regretterait pas ! Oh ! Bien entendu, le roux flamboyant promit par Joséphine lui demanderait un temps d’adaptation ( « Salut, la rouquine, t’es mignonne, tu peux sortir de la salle de bain quand je me chan… Ah non, c’est moi… »), mais elle le désirait depuis trop longtemps pour reculer si près du but. Et une fois cette erreur de la nature réparée, elle en était convaincue, elle aurait toutes les chances de trouver un cavalier pour le bal. Bon sang, qu’elle avait hâte que Joséphine arrive !