Elle était furieuse et rouge de jalousie.
Froid, lui, comme toujours.
Il ne supportait pas cela. Ces scènes. Cette façon de se penser propriétaire de quelqu'un. Il n'était la propriété de personne, surtout pas d'elle. Surtout pas après tout ça. Il détestait qu'on le force à être blessant. Il se savait observé, ne serait-ce que par lui-même, et la trouvait ridicule de les rendre ridicules. Il lui en voulait de ne pas se tenir, de ne pas être rationnelle, de ne pas être en mesure de contenir ses émotions.
C'est vrai, il avait honte.
Et il lui en voulait de l'obliger à avoir honte d'elle, de l'obliger à perdre ses moyens, à perdre le rationnel pour l'émotionnel.
« Tu te fous de moi, sérieux? T'as entendu ce que ta soeur a dit en plein Chemin de Traverse?
— Arrête, s'il-te-plaît.
— Non, mais elle a un problème, ou quoi? D'où elle se permet de faire ce type de remarque?
— Elle m'a juste présenté à sa pote.
— Ouais. T'es toujours en train de minimiser, et je sens bien qu'elle ne m'aime pas. Et j'sais très bien...
— ... Tu sais très bien quoi?
— J'sais très bien...
— ... Tu sais très bien que je n'enverrais jamais chier Dahlia, parce que Dahlia est ma soeur est que j'ai mille fois plus de respect pour elle que pour toi. Elle est brillante. Et tous ces cons, toi comprise, vous ne lui arrivez même pas à la cheville avec le maximum d'efforts possibles et de capacités réunies. » Il ne regarda même pas sa réaction.
Eileen l'avait exaspéré, et blessé en parlant de sa petite soeur. On ne touchait pas aux petites soeurs, encore moins à Ash, encore moins depuis que ces connards de la Magicis Sacra se trimbalaient tonitruants dans les rues du monde. On n'y touchait pas et quiconque le faisait, Eileen comprit, provoquait pour longtemps et violemment la colère de Léopold. Il pouvait être dur avec ses cadets, mais c'étaient les siens. Il pouvait s'en expliquer, se justifier ; ils avaient grandi ensemble, ri ensemble, pleuré ensemble, et il était leur aîné. Eileen n'était rien, et elle était encore désormais moins que rien après sa remarque sur Dahlia. Elle était allée beaucoup trop loin, et si les Lloyd ne l'aimaient pas, c'était justement parce qu'elle tentait d'entrer dans une famille de manière impudique.
A la Toussait, ça avait été l'erreur très hasardeuse d'Eileen qui avait malencontreusement croisé la mère de Léopold en petite serviette, sortant de la douche. Le grand des Lloyd avait passé une sale soirée ; elle se promenait à moitié nue, cherchant à entrer à moitié nue, dans la chambre de son fils qui devait lui aussi être à moitié nu, ne sentant aucune honte à se retrouver à moitié nue devant la mère de petit-ami, et ne craignant pas de croiser sur son passage Ash qui jouait encore aux légos et n'avait jamais vu une quelconque fille à moitié nue. Léopold avait râlé, salement râlé, lâché une ou deux phrases blessantes, la mère avait un peu pleuré et Eileen était repartie vexée. Plus personne, sauf peut-être Peony, n'avait pu se targuer d'avoir croisé Léopold le reste des vacances. Il voulait garder la face comme toujours, énorme tête d'âne qu'il pouvait être ; mais garder la face supposait aussi défendre les siens.
Et cette fois-ci, Eileen était allée beaucoup trop loin avec cette énième crise de jalousie.
Et cette fois-ci, Léopold lui avait dit qu'elle était conne, et il savait pertinemment qu'elle le quitterait puisque persuadée qu'il avait raison.
Le jeune homme était donc sorti de la bibliothèque en rage, blanc de froideur, et avait rapidement quitté la tour de l'Horloge pour se perdre dans quelques salles abandonnées. Se lever si tôt pour des choses si idiotes, versatiles et vaines l'exaspérait. Il détestait perdre son temps, encore plus avec des personnes qui n'en valaient pas la peine. Croiser un piano lui aurait fait du bien, juste un piano, et sentir les notes vibrer sous ses doigts, juste quelques secondes. Se perdre dans la mélodie, s'accorder avec la musique, se sentir soudainement très petit face à tant de grandeur émotionnelle ; voilà ce dont il avait besoin, voilà ce qu'Eileen était incapable de lui porter.
Et depuis que lui et Dahlia s'étaient perfectionnés en musique, leurs parents n'étaient jamais en reste de quelques moments en famille où les deux faisaient résonner la maison de quelques notes. Ils s'étaient longtemps disputés à cause de ça. D'abord parce qu'ils aimaient se disputer, aussi parce qu'ils aimaient emmerder l'autre, mais parce que chacun se pensait prioritaire. Le seul qui avait été enfant unique, et celle qui avait la prétention d'être meilleure que lui. Ils s'aimaient, et finissaient toujours par régler leurs différends par une petite composition de leur choix. C'étaient des moments comme ceux-là qui lui faisaient du bien, et que seules de longues marches remplacées une fois qu'ils étaient tous à Poudlard. Il hésitait parfois à demander à McGonagall de lui trouver un piano. Slughorn avait bien voulu, quand le Serpentard était en Première année, mais les choses ne s'étaient finalement pas faites. Désormais il n'avait rien.
Cette fille pouvait être vraiment débile. Vraiment. Au point de s'en prendre à Dahlia, il fallait oser. Elle n'avait pas été maligne non plus. Quoi que. Une personne jalouse alimente son vide par tout ce qui lui tombe sous la dent.
Il avait bien fait de l'envoyer chier.
« Salut ! » Il tourna la tête. C'était la greluche de Dahlia. Enfin, celle que n'aimait pas Dahlia et que Léopold avait croisé à leur sortie au Chemin de traverse. Sophie, Serdaigle, Sixième année. Il lâcha un rapide
« bonjour ». C'était le matin, beaucoup dormaient encore dans le château, il était déjà prêt et devait rapidement rejoindre Noé à Pré-au-Lard.
Il la regarda. Elle le regarda et s'approcha.
Il était toujours blanc de ces colères glaciales qui, il faut l'avouer, font souvent peur. Les Lloyd n'aimaient pas les colères de Léopold. Déjà souvent parce qu'elles étaient honnêtes - le Serpentard ne savait pas mentir, mais aussi parce qu'elles étaient souvent justes, ou touchaient à quelque chose de juste que les autres avaient du mal ou ne voulaient pas voir. Mais les phrases peuvent êtres blessantes. Les mots peuvent changer le monde. Les mots sont des sortilèges lancés, des malédiction et peuvent aussi refroidir un coeur comme de la glace. Ceux de Léopold sont souvent aussi lourds et sombres d'une océan noir. Et ses silences ont l'art d'attirer les plus fragiles.
Sophie ferma la porte derrière elle.
Puis elle descendit la braguette de Léopold.
Une heure plus tard, il était attablé au comptoir des Trois balais.
Malgré le contre-temps buccal avec Sophie, il ne s'était pas attardé et était arrivé avec tout le monde. Il avait poussé Harvey sur le chemin qui était tombé le cul dans la neige et en avait beaucoup rien. Léopold avait ri, puis Harvey avait vu une fille qui elle, n'avait pas vu sa chute sur le cul, alors Harvey avait disparu et Léopold n'avait pas cherché à perdre trop de temps. Il avait vu Noé s'accoupler avec du chocolat à travers une vitrine, s'était souvenu de lui offrir quelques bons chocolats gallois pour son anniversaire et était parti. Vêtu d'un pantalon chino taupe et d'un col roulé beige, il s'était couvert de son habituel manteau d'aviateur de cuir marron et de ses bottines en daim à lacets. Une tenue habituelle, qui lui permettait surtout de se sentir à l'aise et d'évoluer sans difficulté dans la neige. Les Lloyd avaient toujours acheté des habits de qualité à leurs enfants, mais prônaient surtout une élégance passant par la simplicité.
Mais c'était surtout, avouons-le, Peony qui avait relooké son plus grand-frère, prétextant qu'un tel tombeur ne pouvait se permettre de s'habiller si mal. Une manière pour la première des deux jumelles de s'approprier un peu de son frère grandissant, bien qu'elle surveillait parfois de trop près les filles tournant autour de son aîné. Heureusement, elle n'avait rien vu de cette porte qui se fermait et de la braguette baissée, ce matin.
La fille, Sophie, n'aurait probablement pas fini l'année.
Depuis le début de l'année, il savait qu'il avait un certain pouvoir de séduction sur la gente féminine. Certaines et certains le jalousaient, et cela passait dorénavant par une petite réputation bien sympathique qui s'était installée dans les couloirs de Poudlard. Peony devait y être pour quelque chose, c'était sûr. Et Léopold n'avait guère trop fait le difficile, profitant de quelques moments solitaires - après tout, un château, si grand, si vide, et puis il faut s'occuper - pour passer du bon temps avec quelques unes. Sophie était la dernière en date. Mais c'était à cause d'Eileen, qui l'avait profondément énervé, et blessé. Il ne serait de toute façon plus avec elle. Il n'était plus avec elle.
Il soupira.
Ses yeux de glace fixaient le comptoir et semblaient être entièrement absents. Grâce au ciel, les mineurs n'avaient pas le droit de s'y trouver. Ash serait ailleurs. Peut-être était-il actuellement en train de s'isoler dans la même salle où Sophie s'était amusée avec... Non. Non. Léopold ressentit du dégoût soudain à revoir la scène et à l'associer au pauvre Ash qui se sentait sûrement en sécurité dans la même salle où Sophie s'était amusée avec... Non. Définitivement non.
Il chassa Sophie de ses pensées.
Encore la faute à Ash.
« Salut ! Harvey n’est pas avec toi ? J’espère qu’il n’est pas encore en train de draguer Madame Rosmerta, à croire que la première fois, lorsqu’il a récolté une gifle, ne lui a pas suffi…
— Il s'en est trouvé une assez conne pour le suivre. Ils doivent s'éclater à la Tête de Sanglier, en ce moment. La classe. » Léopold avait à peine tourné la tête vers Noé, et avait, il est vrai, été particulièrement glacial.
Il s'en voulut.
Depuis qu'ils se connaissaient, c'est-à-dire depuis la Première année, Léopold aimait beaucoup Noé. Encore plus depuis qu'il avait juré au Serpentard de l'aider à protéger le petit Lloyd, Ash. Une manière pour le grand-frère de garder un oeil sur son cadet. Cela avait été sympa de la part de Noé. Il aimait cette discrétion, cette écoute, ce regard, et cette simplicité dans les paroles. Noé comptait beaucoup pour lui, surtout depuis qu'ils grandissaient ensemble. Il savait comprendre Léopold et se montrait sensiblement bien présent depuis que la Magicis Sacra était arrivée. Léopold s'inquiétait. Deux soeurs et un frère à gérer, c'était une responsabilité. Et il était seul, une fois les vacances terminées. Les parents comptaient sur lui ; une telle responsabilité l'écrasait, et seul le sourire et l'écoute de Noé savaient le soulager, et le calmer.
Il était énervé.
Enervé par les remarques d'Eileen, de l'avoir laissée entrer dans l'intimité de sa famille au point qu'elle puisse critiquer Dahlia. Enervé aussi de n'avoir rien fait pour retenir Sophie, une heure plus tôt. Elle s'était accroupie, avait baissé sa braguette et il avait simplement oublié ses problèmes, oublié qu'il devait gérer tout cela ; ses soeurs, Ash, Eileen, ses parents. Il s'était oublié, et se détestait parfois un peu trop pour cela.
Mais il se retourna vers Noé et lui fit un sourire. Un sourire à la Léopold Lloyd. Mais ses yeux étaient moins froids. Il était sincèrement content de le retrouver. Il posa sa fine main sur la cuisse de celui qu'il considérait comme son frère, tâta le jean.
« Peony dirait que t'es classe, aujourd'hui. C'est vrai, tu l'es. Tu deviens presque aussi beau que moi ! » Il retira sa main et lui fit un léger coup avec son coude. Noé n'était pas susceptible.
Il but une gorgée de biéraubeurre et attendit quelques instants avant de reprendre la parole.
« Je viens de rompre avec Eileen. Elle a insulté Dahlia. Ca m'a énervé. Et voilà. C'est terminé. Bref. Ca va, toi? Tu t'en sors? Ca devient lourd, ce qu'on nous demande, en cours. Vivement cet été. » Il allait mieux.
Il était juste bien. Sûrement aurait-il mieux fallu que ça soit lui qui le rejoigne dans la salle déserte, une heure plus tôt. Ils auraient discuté, et il aurait été moins énervé.
2032 mots.