Un frère et sa soeur |PV|

La petite Anabelle avait attendue son grand frère, lovée dans un fauteuil. Une fois n'était pas coutume, elle semblait se tenir soigneusement éloignée de la fenêtre. En fait, depuis la fin de l'année scolaire, Anabelle donnait l'impression d'éviter les fenêtres. Phénomène étrange quand on savait à quel point la fillette aimait se coller le nez à une vitre pour laisser son esprit vagabonder au-dehors. Mais le monde avait subi une telle secousse, ces dernières semaines, que même le petit univers solitaire d'Ana n'avait pu l'en protéger.
Tout le monde avait été ébranlé par la mort du gentil Cédric et par le retour, très polémique au demeurant, de Vous-Savez-Qui. Et pour une petite fille aussi sensible que l'était Anabelle, le choc avait été terrible, d'autant plus terrible que rien n'avait pu l'y préparer. D'un coup, la si protectrice bulle de savon qui créeait un écran déformant agréablement coloré entre la dureté de la réalité et elle, avait explosé. La pauvre Ana en avait été totalement perdue et se trouvait aujourd'hui réduite à panser ses plaies.
Mais ma famille avait été bien trop occupée pour s'apercevoir que son insouciante discrétion s'était changé en un mutisme anxieux. Elle ne voulait plus voir le monde. Il était trop laid. On avait tué Cédric. Et Cédric était si jeune ! C'était trop injuste ! Si le monde pouvait accepter sans broncher qu'on fauche un pauvre innocent à l'aube de sa vie (elle aimait cette expression e la sortait généralement à toutes les sauces), elle ne voulait plus en faire partie. Dans son monde à elle, seuls les gens très vieux, avaient le droit de mourir.

Ainsi pensait-elle, tandis qu'elle patientait, ses jambes nues - elle était vêtue d'une robe verte (quelle hérésie !) toute simple - battant l'air et sa main droite triturant machinalement une mèche de cheveux bruns. Sa mère était tout près d'elle. Peut-êre que finaement, elle se rendait compte que quelque chose ne tournait pas rond, avec sa benjamine. Elle n'avait même pas sauté de joie en sachant que Quentin l'emmènerait en ville. En réalité, il y avait de fortes chances pour la la fillette n'ait pas encore totalement intégré l'information. A moins qu'elle n'ait peur de sortir... Ce qui expliquerait son comportement vis-à-vis des fenêtres. Il lui fallait se protéger de la laideur du monde.
Elle ne s'en leva pas moins docilement de son fauteuil, quand Quentin arriva et, après avoir laissé sa mère l'embrasser d'un air un peu distrait mais néanmoins très affectueux, elle suivit son frère à la cheminée.
Quand il fut parti, elle prit à son tour une poignée de sable vert (ils croyaient quoi, tous ? Ce n'était pas parce qu'elle n'avait pas l'air bien dégourdie qu'elle n'observait pas ce qu'il se passait autour d'elle !) et s'avança dans la cheminée :

- Chemin de Traverse ! prononça-t-elle d'une voix flûtée.

Quelques secondes plus tard, elle se retrouvait juste côté de Quentin. Un peu déséquilibrée par sa brusque arrivée, elle chancella un court instant en zigzagant avant de retrouver un équilibre précaire. Il y avait foule. Un tantinet effrayée par tout ce monde, Ana saisit instinctivement le bras de son frère et écarquilla les yeux d'un air hébété. Holàlà.
Au fond, cette promenade impromptue, elle en était heureuse. Elle aurait peut-être l'occasion de demander à son frère ce qu'il pensait de tout ça... Parce que personne, à la maison, ne lui avait dit ce qu'il fallait croire des différentes rumeurs. Et elle en était profondément perturbée. Jusqu'à présent, elle avait, comme toute fillette de douze ans, calqué son opinion sur celle de sa famille.

Au-dessus d'elle, Gorgeous, qui était resté caché dans le creux de son cou, se mit à voleter joyeusement. Oui, cette sortie n'était pas une mauvaise chose...

La petite Ana suivait son frère en serrant machinalement sa main chaque fois qu'un piéton peu délicat manquait de la renverser. Ce qui arriva souvent ! Elle était si frêle et la foule était si dense ! La pauvre fillette en avait le vertige. Elle se sentait étouffer, sa tête bourdonnait et elle avait vraiment trop chaud. Elle aurait probablement insister pour faire demi-tour et rentrer au manoir si Quentin ne la traînait pas fermement derrière lui. Il était bien plus fort qu'elle et Ana se doutait que ses plaintes fluettes risquaient de se perdre dans le brouhaha ambiant sans parvenir aux oreilles de son frère. Tout ce qu'elle y gagnerait, ce serait certainement que le jeune garçon lui lâche la main. Auquel cas elle serait vraiment mal barrée.

Quel ne fut pas son soulagement quand, juste après avoir évité de justesse qu'un rand sorcier baraque ne lui écrase le pied droit, Quentin la fit entrer à sa suite dans une ménagerie. Gorgeous, qui n'avait pas eu de problème pour se frayer un chemin dans la foule, lui, gazouilla joyeusement avant de se poser sur l'épaule d'Ana et de lorgner d'un oeil rond très intéressé les petits oiseaux multicolores qui s'égayaient, pour de vrai ceux-là, dans une cage tout près de la fillette. Cette dernière leur lança un coup d'oeil rêveur, pauvres petites bêtes, interdites de vol !
Mais son attention se trouva détournée par une cage entière de jeunes chiots qui s'abattaient avec force grognements. Pouah ! Quel manque de délicatesse ! Les chats, eux, au moins, avaient un peu plus de classe... Mais quand il les vit, Gorgeous vint se nicher un peu plus au creux de son cou en piaillant nerveusement. Le pauvre chéri était terrifié par les chats. Pensez-vous ! Il avait subi un terrible traumatisme, petit : toute sa famille avait été dévoré par un gros matou blanc devant ses yeux. Il n'avait dû sa survie qu'à l'arrivée d'une madame chat qui, visiblement, intéressait suffisamment le cruel minou our qu'il se détourne dédaigneusement de ce misérable petit bout d'oiseau laissé dans son nid.

Ana passa un index rassurant sur la tête de Gorgeous. Un geste qui devait paraître étrange tout le monde dans la boutique puisque personne ne pouvait voir Gorgeous. Mais la petite brune s'en moquait.
D'ailleurs, que faisaient-ils ici ? Elle adressa un coup d'oeil interrogateur à son frère. Peut-êre voulait-il un moineau, lui aussi ? Et il voulait qu'elle le conseille ?
La fillette se sentit soudain emplie de fierté : son frère lui demandait à elle, pauvre gamine de onze-ans-bientôt-douze un conseil ! Un jour faste.

Mais elle se trompait lourdement. Elle écarquilla les yeux d'un air candide un tantinet perplexe. "On" ? Il voulait dire elle et lui ? Ils allaient partager un animal ? L'idée lui plaisait mais les sifflements mécontents de Gorgeous dans son oreille la ramenèrent bien vite à la réalité (ou pas ! Il s'agissait tout de même d'un moineau imaginaire).
La fillette plissa le nez d'un air contrarié avant de répondre d'une voix flûtée pleine de bon sens :

- Mais Quentin, j'ai déjà un animal... Tu devrais plutôt demander à Edward d'en prendre un avec toi...

Sur son épaule, Gorgeous approuva d'un vigoureux mouvement de tête. On le lui arracherait pas si facilement son Ana !

Mais Quentin avait beau être malin, il n'était pas au bout de ses peines. Ana n'était pas du genre à se laisser si facilement embobiner par les propositions alléchantes de son frère. A fortiori lorsque lesdites propositions déclenchaient chez Gorgeous des pépiements tout aussi bruyants qu'indignés. Certes, Quentin ne pouvait les percevoir, mais aux oreilles de sa soeur - très douée lorsqu'il s'agissait d'entendre des sons imaginaires - le bruit était insupportable.
Les protestation suraiguës de Gorgeous redoublèrent d'ardeur lorsque Quentin se dirigea vers les hibou. Non seulement on cherchait à usurper sa place dans le coeur de la brunette mais en plus, on voulait le remplacer par un oiseau ! C'était le coup de grâce pour le petit moineau qui fondit avec force battements d'aile sur le crâne découvert de Quentin. Lequel ne s'en aperçut, bien entendu, pas.

Pourtant, toute imaginaire fusse-t-elle, Anabelle ne pouvait laisser son moineau s'en prendre au jeune garçon : ç'aurait été faire preuve d'un manque total de loyauté. Aussi se rapprocha-t-elle, à son corps défendant, et d'une démarche très "crabe" vers les hiboux pour récupérer Gorgeous. Les plumes gonflées de rage, le minuscule volatile revint se poser sur l'épaule de sa maîtresse, dardant des regards menaçants sur Quentin et le petit hibou qu'il venait de prendre.
La fillette lança elle aussi un coup d'oeil hostile à l'animal. Elle avait la très désagréable impression que Quentin cherchait à la piéger et elle s'en sentait profondément blessée. Blessée et confuse. Elle ne parvenait pas à comprendre pourquoi son aîné agissait de la sorte et s'il y avait bien uen chose qu'elle détestait, c'était de ne pouvoir mettre un nom sur les choses.
Prudente, elle recula de quelques pas avant d'arguer d'une voix fluette aux accents fort raisonnables :

- Mais tu sais bien que je n'ai personne à qui écrire. Toi oui. Autant prendre le hibou pour toi tout seul.

C'était la plus stricte vérité. Anabelle n'était pas du genre sociable. Ou plutôt, le monde n'avait pas l'air d'avoir très envie de l'approcher. Du coup, la benjamine des Montgomery n'était pas embarrassée par le courrier.
Elle adressa un sourire angélique à Quentin, évitant soigneusement de regarder le hibou : sa taille réduite et son beau plumage étaient dangereux, elle risquait d'y succomber. De son côté, Gorgeous entreprit de lui tirer l'oreille droite pour renforcer sa détermination.

- Gorgeous n'aime pas cett idée du tout...traduisit-elle pour Quentin, d'une voix claire parfaitement détachée, tandis que ses yeux, rêveurs, fixaient le mur avec obstination.

- Gorgeous ne comprend pas pourquoi tu veux prendre un animal avec moi, poursuivit-elle sur le même ton.

On aurait pu penser qu'il s'agissait d'un reproche. Il n'en était rien. C'était une simple constatation. Jusqu'à présent, les "grands" de la famille n'avaient pas l'air d'avoir très envie de partager quoique ce soit avec elle. Rien d'étonnant à ce que la tentative de Quentin la laisse perplexe.
Ceci étant dit, elle croisa les bras sur la poitrine et, penchant la tête sur le côté, scruta son frère d'un oeil songeur.

Anabelle était jeune, gentille et surtout, incroyablement naïve. Gorgeous était vieux - les moineaux n'ont pas la même conception du temps que les humains - méfiant et surtout, incroyablement intelligent. Si Anabelle ne perçait pas vraiment les intentions de son aîné, le volatile, lui, comprenait parfaitement qu'elles n'étaient pas des plus catholiques. Il se sentait en danger et n'avait pas tort. Car à ses petits yeux d'oiseau, le but de la manoeuvre était avant tout de le remplacer dans le coeur d'Ana par un animal visible de tous.
Mais au fond, qu'était Gorgeous sinon une partie d'Ana elle-même ? Ainsi, le petit coin de cerveau de la fillette matérialisé pour elle sous la forme de Gorgeous savait. Et il hurlait de toutes ses forces que Quentin n'était pas aussi honnête qu'il voulait bien le montrer. Un avertissement que les battements d'ailes furibonds de Gorgeous concrétisait.

La malheureuse fillette se sentit soudain très mal. D'un côté elle ne pouvait se permettre de blesser Gorgeous, la seule chose au monde capable de la comprendre entièrement, son seul ami mais elle ne voulait pas non plus prendre le risque de contrarier Quentin. Pour une fois qu'un de ses aînés lui prêtait un tant soit peu attention ! Elle se sentait coincée. Indubitablement coincée.
Ana n'était pas enfant à pleurer. Fort heureusement pour Quentin, car si tel avait été le cas, elle aurait probablement fondu en larmes au beau milieu du magasin, inconsolable.
Au lieu de quoi elle gratifia son frère d'un regard perçant un tantinet réprobateur. Elle aurait mille fois préféré rester à la maison plutôt que de subir cette infernal dilemme. Elle cligna des yeux d'un air grave avant de répondre doucement, comme si elle s'adressait à un enfant particulièrement capricieux :

- Mais Quentin, tu sais bien que maman nous écrit une fois par mois... Et puis si j'ai quelque chose à lui dire entre temps, je n'ai qu'à prendre un des hiboux de l'école...

A nouveau, elle évita soigneusement de regarder le petit hibou. Elle avait le sentiment que ses propres arguments étaient assez faibles, comparés à ceux de Quentin, et surtout, elle sentait qu'elle ne pourrait plus en trouver bien longtemps tandis que son aîné paraissait capable d'objecter durant des heures encore.
Un peu honteuse de se montrer ainsi si têtue, mais soutenue par les piaillements malheureux de Gorgeous, la petit brune poursuivit avec aplomb :

- Tu vois bien, un hibou ne serait pas très utile. A moins que tu n'ais toi à écrire sans arrêt...

Elle darda un oeil torve sur Quentin. Peut-être que lui aussi était tombé sous le charme d'une blonde terrifiante au prénom étrange. Peut-être n'était-elle qu'un bon prétexte pour obtenir un hibou personnel. Cette idée la laissa pantelante de désespoir. Merlin, était-ce ça, que Quentin attendait d'elle ? Qu'elle lui serve de couverture ? N'était-elle qu'un moyen destinée à servir ses projets ? Sa gorge se noua et, pendant un court instant, le monde chancela sous ses pieds.

Alors, parce qu'elle ne supportait pas le doute, parce qu'elle ne supportait pas le mensonge, parce qu'elle ne supportait pas les cachotteries, parce qu'elle aimait son frère d'un amour enfantin incommensurable, parce qu'elle aurait aimé qu'il lui rendre la pareille, parce qu'elle avait aimé l'idée qu'il puisse vouloir partager quelque chose avec elle, Anabelle recula de trois pas et le fixa sans ciller et demanda, d'une voix flûtée vibrante de terreur :

- Est-ce que tu te sers de moi ? Est-ce que tu essaies de m'embobiner ?

La franchise et la loyauté étaient si caractéristiques de Poufsouffle... Et ce jour-là, Anabelle faisait honneur à sa maison.
Il y avait eu un temps où elle acceptait tout de ses aînés, et même si ce temps n'était pas totalement révolu, elle commençait à comprendre que la relation fraternelle passait aussi par le dialogue et la concession mutuelle. Ce qui impliquerait très certainement des conflits. Une idée encore intolérable pour la fillette.

Anabelle n’était pas bien grande. Pas bien épaisse non plus. En fait, elle était si frêle qu’il semblait chose aisé de la glisser dans un minuscule trou de souris sans la blesser pour autant. Mais son apparence fragile n’était pas symbole de faiblesse. Car, si Anabelle ne payait pas de mine, elle savait aussi pertinemment ce qu’elle voulait. En l’occurrence, la Vérité, l’âpre Vérité, celle qui, selon le Seigneur des Mots, rendra libre. Elle n’était ni entêtée ni capricieuse, il était même assez difficile de trouver plus conciliant et désintéressé qu’Ana, seulement, quand il s’agissait de la Vérité, la fillette ne s’en laissait pas compter et se forte par la volonté de «chercher, lutter, trouver et ne rien céder.» A fortiori lorsque cette Vérité la concernait.

Elle scruta son frère d’un œil perçant qui ne lui ressemblait guère. Anabelle était peut-être rêveuse et bien plus jeune que ses aînées, elle n’en était pas moins très observatrice et douée de raison. Et ce qu’elle constatait pour le moment, c’était que son frère, qui ne semblait pas lui accorder énormément de crédit jusqu’alors – ce qui n’était, dans l’esprit d’Anabelle, absolument pas un blâme, plutôt une simple constatation –se trouvait subitement avoir très envie de partager un animal avec elle. Bizarre, vous avez dit bizarre ? Comme c’est bizarre ! Anabelle ne voyait que deux explications capables d’éclaircir de façon satisfaisante la situation : ou bien Quentin agissait sur les ordres de leur mère, ou bien il attendait quelque chose d’elle.

Elle rejeta bien vite la première solution. D’abord parce que si Claire avait eu quelque chose à demander à l’un de ses enfants pour Anabelle, elle se serait très logiquement tourné vers Christian, l’aîné responsable, ensuite parce que Quentin aurait nécessairement rechigné s’il avait été l’Heureux Elu, tant et si bien que Claire aurait fini par changer d’avis. Enfin parce que, même en admettant que le jeune garçon n’ait eu d’autre choix que d’accéder à la requête de sa mère, il aurait très probablement jeté l’éponge dès le premier refus d’Anabelle.

Quant à la seconde hypothèse… Elle était à l’origine même des regards en biais qu’Ana réservait à son frère depuis quelques minutes. Quentin mentait-il ? Gorgeous, au-dessus de sa tête, pépiait que oui. Mais son point de vue était incroyablement subjectif depuis que Quentin avait saisi le chaton. Anabelle, elle, hésitait sérieusement. Quentin était tout de même son frère, et la loyauté des Poufsouffle qui sommeillait en elle lui sifflait qu’elle avait intérêt à lui faire confiance si elle ne voulait pas voir tata Helga se fâcher tout rouge.

Indécise, la fillette sautilla, légère, jusqu’au bac à chatons. Gorgeous en frôla l’arrêt cardiaque et décida de bouder. Quittant le magasin sur des notes suraiguës destinées à exprimer tout le mépris qu’il portait aux chats, il alla se percher sur le lampadaire de style victorien qui se trouvait juste devant la vitrine dont il lorgna d’un œil rond de mécontentement l’intérieur.

Et à l’intérieur, justement, Ana s’était baissée pour mieux contempler le chaton que tenait Quentin. Il avait de jolis yeux, comme Megan sauf qu'au fond de ses prunelles, on sentait l'étincelle de la fourberie poindre (si, si !). Elle se redressa d’ailleurs assez rapidement, une moue candide sur la figure, et décréta tout net, d’une voix flûtée mais décidée :

- Avec un chat pareil, j’aurais l’impression qu’Agapanthe me regarde en permanence.

Agapanthe, alias Roze, n’avait définitivement pas l’affection d’Ana. Ce qui était plutôt étrange, lorsqu’on savait à quel point la fillette s’attachait rapidement aux gens, en temps normal. Passons. Il était hors de question d’avoir un chat capable de lui rappeler quelqu’un qu’elle avait en grippe. Est-ce que le coup de l’animal était une ruse finaude d’Agapanthe, véritable petit Astérix moderne (et féminin. Et accessoirement sans le casque ailé) pour tenter de s’attirer les bonnes grâces d’Anabelle ? Ou plus simplement pour l’éloigner de la maison pour mieux mettre la main sur Christian et Edward ?

Peut-être qu’en ce moment même, pendant que Quentin s’évertuait à lui coller chaton et hibou sous le nez, Rhododendron, horrible diablotin dévergondé, s’évertuait à convaincre ses frères qu’elle, Anabelle, n’était qu’une parfaite petite sotte sans aucune importante, et «regardez comme je la vaux cent fois ! Vous devriez la renier !»

A cette pensée, le sang d’Anabelle ne fit qu’un tour. A c’était comme ça ? Elle voulait s’approprier ses frères, cette peste de Syanura ? Hé bien rirait bien qui rirait le dernier ! Puisque Christian et Edward devait la tester, elle se raccrocherait à Quentin. Forte de cette résolution (la gentille petite Ana devait avoir un peu de Serpentard en elle, tout compte fait), la fillette sourit angéliquement à son frère proclamé favori à partir de cette minute. Elle se pencha au-dessus du bac à chaton et en choisi un (dehors Gorgeous s’évanouit sur le trottoir aux pavés disjoints). Il était plus petit et malingre que les autres, tout gris, avec des poils soyeux et des yeux écarquillés.

Anabelle le posa délicatement à terre, sur le carrelage froid aux motifs affreusement rectilignes pour voir comme il marchait. Le chaton renifla le bout de ses souliers, plissa le nez, éternua, et avança de trois pas :

- Oh ! Tu as vu Quentin, il boitille ? Pauvre petite bête ! Il doit être rejeté par ses semblables… Les animaux sont si cruels entre eux…

Des exclamations qui venaient du cœur, en toute naïveté, bien entendu (ou pas !). Les yeux brillants, Ana saisit à nouveau le petit chat et entreprit de lui gratouiller le ventre d’un air ravi.