Un animal qui bave

Luna voulait un petit animal familier, ses fréquentes mésaventures ne l'avaient en rien découragée d'en avoir un - pourquoi les autres en auraient-ils et pas elle? Elle avait joué de malchance, voilà tout.
Optimiste, elle poussa donc la porte de l'animalerie et regarda tout autour d'elle. Il y avait du choix, et Luna était décidée à bien peser son achat. Voyons: un animal utile, ou de faible entretien, ou pratique à transporter? Certains avaient des pouvoirs, d'autres pas. Luna s'arrêta devant une grande cage où se prélassaient des chats bleus ou verts.

Elle hésitait, c'est vrai qu'ils étaient mignons, mais si jamais elle était allergique aux poils de chat? Ou si une de ses camarades de la rentrée l'était? Voilà qui ne faciliterait pas la vie dans le dortoir.
Luna observa ensuite avec attention un aquarium empli non pas d'eau mais de feuilles de salades et d'escargots. "Escargots de course", disait un petit écriteau. Luna ne voyait pas bien en quoi ils étaient de course, car a priori ceux qu'elle avait devant les yeux n'avançaient pas très vite; toutefois, elle aimait bien les escargots et arrêta son choix:

"J'en voudrais un, madame", dit-elle en en désignant un à rayures qui lui paraissait joli.

La vendeuse prit l'escargot, le lui donna dans une petite boîte percée de trous, et prit les mornilles de Luna. Soudain se firent entendre des grognements et les bruits d'une bagarre sérieuse entre animaux. La vendeuse se précipita vers l'origine du bruit, laissant Luna sa boîte dans les mains attendre sa monnaie.

La porte s'ouvrit, et un(e) autre client(e) entra...

« C’est bien la dernière fois que je sers de professeur ! »
C’est le commentaire que Skiìrt ressassait en se dirigeant dans la vague canalisation qui avait été un égout appartenant au réseau du chemin de traverse.

Il avait accepté l’avant-veille la délicate mission de servir à nouveau de guide aux deux enfants d’une amie de sa mère. La fois précédente s’était terminée en désastre suite à la couardise de ses petits trésors. Il avait donc opté pour un petit périple sans danger sur les poutres des salles de classe. Au moins, là, il n’y aurait rien à craindre, les félins ne sachant pas sauter aussi haut et n’ayant aucun autre moyen d’accès.

C’était compter sans la réaction de ce pleutre de raton quand une minuscule araignée lui était descendue sur le crâne. Affolé, il avait fait demi-tour pour s’enfuir en poussant des cris suraigüs. Skiìrt n’avait eu que le temps de s’écarter mais le coup qu’il reçu au passage du fuyard finit de le déséquilibrer et il commença à pivoter irrémédiablement vers le vide.

Plutôt que de chercher vainement une prise dans les airs, le rat poussa de toute ses forces sur ses pattes arrières qui étaient encore à portée de la poutre pour dévier sa chute vers le mur où une tenture était accrochée.

La poussée ne fut pas suffisante pour influer suffisamment sur sa trajectoire mais assez pour le faire atterrir sur la haute table où étaient rangé tout un tas de fioles et de flacons qui se renversèrent dans un joyeux fracas.

Cul par-dessus tête, Skiìrt finit en roulé-boulé dans une mare fumante de liquides aux couleurs changeantes. Encore un peu étourdi, il sauta vite au sol et fila vers la tenture précédemment visée. Trois secondes à peine pour remonter jusqu’au plafond, il avait l’impression d’avoir des ailes mais il savait que le boucan allait attirer rapidement du monde. Et du monde peu content de voir le gâchis qu’il avait involontairement créé.

« Fichez-moi le camp ! » cria-t-il aux deux écervelés qui étaient restés ébahis à contempler sa chute. Le retour dans le giron de leur mère fut rapide et émaillé de commentaires rageurs sur leur improbable carrière d’explorateur.

Encore furieux, Skiìrt rentrait vers son nid quand une démangeaison de l’arrière train commença à le picoter. Sans y faire attention, il se gratta et continua son chemin.

C’est la nuit que la sensation de brûlure le réveilla. Ses pattes arrières ne bougeaient plus normalement non plus. Immédiatement, l’épisode de la veille jeta une lumière inquiétante sur ces symptômes. Il aurait du prendre un bain pour éliminer les résidus qui avaient imprégné ses poils mais, tout à sa colère, il avait oublié cet élémentaire principe de précaution.

Il filant ou plutôt se traîna vers le cours d’eau le plus proche. Sa queue semblait avoir fondue. Ses pattes aussi semblaient bizarres. On aurait dit que de la peau poussaient entre ses griffes, lui faisant des pattes presque palmées. La trempette lui rafraîchit l’arrière train mais la mutilation de son corps ne sembla pas régresser, bien au contraire.

Pour avoir entendu parler des professeurs à leurs élèves pendant les cours, Skiìrt savait que ces liquides chamarrés ne pouvait être que des potions. Il ne fallait pas rigoler avec ces trucs là. Il lui fallait absolument de l’aide d’un sorcier. Albus ! Albus saurait quoi faire. Il n’aurait sûrement pas oublié son rat messager, même si cela faisait plusieurs mois qu’il n’avait pas fait appel à lui.

Se dirigeant de plus en plus péniblement, il entama le chemin vers le bureau du directeur. Il allait le réveiller en pleine nuit. Quoique ce n’était pas sûr. Quelle que soit l’heure où il était allé le voir, le vieux barbu était à son bureau, lisant ou écrivant. A croire qu’il n’avait pas besoin de sommeil.

Mais cette fois, le bureau était vide. Et l’odeur indiquait qu’il l’était depuis plusieurs heures. Rien d’autre à faire qu’attendre le retour de son –peut-être- sauveur. Juché en plein milieu du bureau, il chercha à s’installer dans le sommeil pour oublier cette infernale brûlure qui semblait lui ronger le corps. Sa queue s’était épaissie en même temps qu’elle avait encore rétrécie. Deux pointes commençaient à se former. Soudain un bruit derrière lui. Albus ?

« Professeur Dumbledore ? » C’était la cheminée qui parlait.
« Je ne suis pas dans mon bureau » Répondit le globe posé à côté de lui avec la voix du vieux sorcier. « Je suis au chemin de traverse pour les besoins de l’Ecole. Si vous voulez laisser un message, parler après le gong » GoOOoOooNnnG. Le bruit qui éclata lui fit perdre le début de la réponse. « …. demain. Rendez-vous au ministère ! »

Cela voulait-il dire qu’Albus n’allait pas revenir ? Pas question. Il fallait aller le rejoindre. Il voyait la cheminée rougeoyer du feu de cheminette (ou un truc comme ça) et savait pertinemment que ce feu ne brûlait pas et servait aux sorciers à voyager. Il avait aussi entendu Albus dire qu’on ne pouvait pas venir dans son bureau par ce moyen mais qu’on pouvait en sortir aussi, dans un reste d’énergie, il força ses pattes molles à le précipiter dans les flammes avant qu’elles ne s’éteignent.

Il connaissait cette odeur. Londres. La pluie sur le trottoir. Le dos du sorcier qui venait de communiquer était là, face à lui. Devait-il se faire connaître ? Non, c’était un inconnu et le rôle que Skiìrt tenait n’était connu que d’un trop petit nombre. Mieux valait filer discrètement.

Rasant les murs, Skiìrt se mit en planque près de la porte, attendant le départ du bonhomme. Il fallut une longue heure mais finalement celui-ci enfila son manteau, prit sa canne et ouvrit le panneau qui donnait dans la rue. Ne pas se précipiter. Attendre qu’il soit passé. Encore une seconde. Maintenant ! Le rat en difficulté réussit à se glisser dans l’entre-baillement pendant que l’homme cherchait sa clé dans la poche de son manteau. Ne s’en préoccupant plus, Skiìrt fila vers la bouche d’égout la plus proche, son odorat le guidant comme en plein jour.

Une fois en bas, plus de problème. Les parfums qui flottaient étaient comme autant de panneaux indicateurs. Pas d’autres problèmes pour retrouver le chemin de traverse que la pénibilité de déplacer sur des pattes arrières de plus en plus faibles. Sa queue avait encore empiré. Elle ressemblait de plus en plus à une queue de … poisson ? oui, c’était bien ça. Des écailles commençaient même à apparaître sous les poils qui tombaient. Il fallait faire vite s’il voulait arriver au bout.

Il fallut quand même une bonne heure et demi au lieu du petit quart d’heure dont il aurait eu besoin en temps ordinaire pour couvrir cette distance mais il arriva finalement à destination. Le petit matin était déjà là depuis un certain temps. Au dessus, les rues s’animaient et les activités humaines répandaient leurs ondes sonores vers le monde d’en-bas.

Exténué, il remonta le tuyau d’évacuation d’où coulaient des odeurs non humaines. Il y avait plusieurs espèces en haut. Sniff. Sniff. Pas de carnassier. Bon, heureusement, son flair était toujours aussi efficace. Le haut du tuyau était obstrué par une grille. Une poussée vers le haut la fit frémir. Cette grille était juste posée au sol. Mais son poids était considérable, surtout compte tenu de sa faiblesse actuelle. Il redescendit le tuyau et revient vers l’égout où il avait vu une branchette qui flottait contre le bord du quai. La saisissant de ses pattes avant puis dans sa mâchoire, il retourna vers la grille contre laquelle il arc-bouta le bâton. Se mettant ensuite à la base de celui-ci, il commença à le faire glisser dans le tuyau incliné. La grille se souleva un petit peu. Encore un effort et elle s’ouvrit un peu plus. Il ne devait pas relâcher le bâton ou bien la grille retomberait. S’aidant de la pente. Collant sa queue-nageoire contre le sol, écartant ses pattes arrières maintenant franchement palmées, il campa sa position et poussa de toute ses forces. Encore. Encore. Et encore. Le bâton était maintenant presque vertical. Soudain la grille bascula et retomba sur le sol dans un tintement sonore qui dura plusieurs secondes. Fuir ? Non. Il n’avait pas fait ça pour rien ! De toutes façons les humains mettraient plusieurs secondes à réagir. Il avait donc le temps de jeter un coup d’œil.

Le museau du rat pointa à l’air libre. Des cages autour de lui. Des animaux captifs. Mais dehors, l’odeur du chemin de traverse. Il n’était venu qu’une fois mais ce parfum était caractéristique. Emergeant de son trou, il visa la sortie quand les animaux autour de lui se mirent à lui crier dessus et à l’injurier, comme pour le faire fuir. Le sol se mit à trembler sous les pas d’une personne d’une certaine corpulence qui se hâtait vers l’endroit où il se tenait. Se cacher. Et vite. Ou alors retourner dans le trou et abandonner. Non, hors de question !

Optant pour un dessous de meuble, il eut juste le temps de se mettre à l’abri quand l’avalanche de frou-frou arriva en criant :

« Mais que se passe-t-il ici ? »

"Bah, les animaux font la java", répondit Luna à l'interrogation muette de Joy tandis que la vendeuse cherchait l'origine du chahut dans un des recoins du magasin.

Luna se souciait peu du raffut - rien d'étonnant dans un magasin plein d'animaux de différentes races pas forcément faites pour vivre ensemble. Elle regardait sa boîte en se demandant si elle avait fait le bon choix. Est-ce que cet escargot était vraiment un escargot de course, au moins? Elle aurait bel air, si elle le présentait à Orla ou une autre comme sachant faire quelque chose d'intéressant et qu'au final il ne faisait rien du tout sauf bavouiller sur les feuilles...

Profitant de l'absence momentanée de la vendeuse, Luna ouvrit la boîte pour examiner de plus près la marchandise. Après tout, elle n'avait pas encore payé, elle pouvait changer d'avis. Elle prit l'escargot sur la paume de sa main et l'approcha de son nez. Bah, il était mignon, quand même, et puis même s'il ne faisait que lui prodiguer de l'affection ce serait déjà beaucoup! Cette pensée lui fit chaud au coeur; c'était décidé, cet escargot, elle l'aimait déjà. Soucieuse quand même de prendre un deuxième avis - son père lui ayant transmis sa rigueur scientifique -, Luna tendit l'escargot vers Joy et lui demanda: "Qu'est-ce que tu en penses, tu le trouves bien?"

Las, la paume de sa main rendue glissante par la bave d'escargot, fit qu'il la dévala comme un tobbogan et chuta dans le vide. "Ooooooohh", n'eut que le temps d'exprimer Luna. L'escargot tomba sur le sol dans un bruit mat de sa coquille, et celle-ci rebondit sur le sol plusieurs fois avant de rouler sous un meuble.

Luna s'agenouilla près du meuble et pencha la tête en dessous.
"Oooooohhh" , refit-elle avec l'originalité des personnes perpétuellement étonnées. Sous le meuble, se trouvait une chose... bizarre. Ou bien était-ce un animal? D'ici, on ne voyait pas très bien. Luna s'applatit par terre, la curiosité éveillée et ayant déjà tout oublié de l'escargot, et elle avança la main sous le meuble pour attraper ce qui se cachait dessous...

Pendant ce temps, la grosse vendeuse du magasin continuait en grommelant de farfouiller en vain dans l'autre coin du magasin à la recherche de ce qui avait bien pu énerver les animaux.

La grande femme était allée directement vers les cages et pour l’instant elle se préoccupait des animaux énervés mais elle n’allait pas tarder à apercevoir la grille sur le sol à côté du trou dont dépassait encore l’extrémité du bâton qui lui avait servi de levier.

La décision de décamper sans attendre fut compromise par l’arrivée de petits pas légers sur le sol. La vendeuse devait avoir un assistant qui venait aux nouvelles.

Les bruits de pas s’arrêtèrent au seuil de la réserve. Skiìrt était coincé entre les deux humains, plus question de fuite discrète.

Poc.

Un léger choc sur son arrière train qui, pour écailleux qu’il était devenu, n’avait rien perdu de sa sensibilité. Une coquille d’escargot vint rouler près de sa tête. « Tiens ! un petit malin qui a trouvé une façon plus rapide de se déplacer. » pensa le petit rat.

Un instant distraite, son attention revint à celui qui bloquait l’accès vers le chemin de traverse. Celui-ci s’accroupit, dans l’intention probable de récupérer l’escargot. Quel manque de chance, vraiment ! Pourtant ça ne manquait pas d’endroit sous lesquels rouler…

L’assistant était une assistante. Ses narines s’emplirent d’une odeur caractéristique de jeune femelle humaine additionnée de fragrances végétales dont certaines étaient étranges. C’était la main de la demoiselle qui se tendait vers l’escargot et, hélas, vers lui.

L’idée de faire le mort lui sembla la meilleure solution. Un rat crevé fait fuir les petites filles, c’est un fait incontestable et maintes fois vérifié. Fermant les yeux, il posa la tête sur le sol en laissant dépasser sa langue. Essayer de ne pas respirer. Aucun signe d’agitation. Un petit filet de bave ? Ca serait bien, oui mais la salive ne se commandait pas comme ça. Il faudrait rentrer la langue pour activer les glandes. Bon, c’est pas grave, ça ira comme ça.

Une agitation supplémentaire derrière lui et soudain une main lui tira les moustaches. Le coup de dent partit avant qu’il n’ait eu le temps de s’en apercevoir. Malin, ça ! Il ne pouvait plus être mort maintenant… La main était partie. Non, elle était encore là. C’était une autre main qu’il avait mordu, l’odeur n’était pas la même. Sûrement la patronne de la boutique.

Après tout le chemin parcouru depuis Poudlard, sur ses pattes et sur sa nageoire, il ne lui restait plus assez d’énergie pour filer aveuglément dans la ruelle. Mieux valait attendre le bon moment. En attendant, il décida de simuler la maladie. Comme ça, on ne l’enfermerait pas avec les autres animaux et, si on voulait le trucider pour achever ses pseudo-souffrances, il serait toujours temps de prendre la poudre d’escampette.

Il se laissa donc extirper sans se débattre, mettant toute son énergie à produire un filet de bave pour afficher l’état le plus lamentable possible.

Luna attrapa la chose étrange, tout à le fois gluante et poilue semblait-il, de dessous le meuble. C'était chaud, sans conteste vivant, et ça bavait abondamment sur sa main.

Intriguée, intéressée, Luna pencha la tête de côté pour essayer de comprendre. Puis, elle la releva pour lancer à son tour un regard interrogateur à l'autre fille dans la boutique: savait-elle ce que c'était? Luna réalisa soudain que la fille s'était présentée et répondit avec retard:

"Luna Lovegood", fit-elle poliment, en pliant distraitement les genoux dans une sorte de révérance désuète. Puis elle reporta son attention sur l'animal. Ca avait quelque chose du rongeur et quelque chose du poisson. On aurait dit un essai râté, le brouillon d'un dessinateur qui aurait hésité entre les représentations de deux animaux. Qu'est-ce que ça pouvait bien être?

Avoir pour père un scientifique avait des avantages, ainsi Luna avait-elle lu des quantités d'ouvrages de classification animale répertoriant les espèces les plus rares et les plus méconnues, et elle passa en revue mentalement diverses espèces de sa connaissance. Malheureusement, aucune description parmi celles qu'elle avait lues ne correspondait à ce qu'elle avait sous les yeux.

Peut-être une espèce nouvelle? En tous cas, une espèce intéressante. Ooooohh, si c'était une espèce nouvelle, et que c'était Luna qui l'avait découverte, elle deviendrait célèbre dans le monde scientifique comme l'étaient devenus l'inventeur du filet à saucisses ou son père par ses études du Ronflak Cornu !!! Quelle fierté serait-ce alors pour Mr Lovegood, qui bien sûr s'attendait à ce que Luna suive ses traces, mais certainement pas si jeune !!

"Madame la vendeuuuuse !!!!!", cria Luna dans un accès d'enthousiasme, "je vous achète cet animal, là !!". Oh, qu'elle avait hâte d'emporter sa découverte; bien sûr la vendeuse avait du le mettre en vente sans savoir ce que c'était, un animal non répertorié, un...

"Lounaticos?", réfléchis Luna à haute voix tandis que se rapprochaient les pas lourds de la vendeuse qui arriva et eut l'air interloquée.

"Lunatorios?", se demanda encore Luna. Il fallait vraiment qu'elle trouve le nom qu'elle donnerait en tant que découvreuse à cet animal.

Elle se rapprocha du comptoir pour payer, les yeux brillants de plaisir, et toute absorbée n'entendit même pas - scritch - qu'elle venait d'écraser l'escargot.

Dans sa joie, Luna sentit un élan la traverser et voulut partager d'un sourire son émotion avec la fille... Joy. Elle vit alors que celle-ci suçait son doigt. "Oh, tu t'es blessée?". Elle s'inquiétait pour elle, vive à la compassion pour les autres comme elle l'était toujours, et en même temps était intensément consciente de la sensation de tenir l'animal important dans ses mains, et mourait aussi d'impatience de courir installer une boîte pour l'animal et l'étudier sous toutes les coutures ainsi que son comportement.

La vendeuse ouvrit la bouche pour parler...

La main s’était refermée sur sa nageoire caudale, une sensation tout à fait inédite mais pas aussi désagréable qu’il aurait pu le croire, et l’avait extirpé de sa cachette avec délicatesse. La crainte de finir en purée, écrasé sous un talon, en fut amoindrie.

Une drôle de jeune fille aux cheveux blancs le porta à hauteur de ses yeux, le tournant et le retournant. Affichant son air le plus misérable et salivant à qui mieux mieux, il regardait en coin sa manipulatrice, essayant de déchiffrer ses intentions exprimées avec force mimiques et exclamations. Il avait rarement vu un visage humain à si courte distance et jamais un aussi mobile que celui-là, on aurait dit que ses muscles faciaux avaient leur libre arbitre et se livraient à un concours de celui-qui-se-tord-le-plus. La traduction d’un tel langage corporel était d’un niveau qu’il n’avait pas encore atteint.

Une autre jeune fille se tenait à côté, observait la scène en se suçotant distraitement le doigt. Il s’agissait évidemment de la tireuse de moustache. Au grand soulagement de Skiìrt, elle n’avait pas l’air agressif de celle qui veut se venger.

Sans que rien ne le laisse attendre la fille aux cheveux de vieillard se mit à crier à la vendeuse qu’elle voulait acheter « cet animal » puis se dirigea vers le comptoir où s’était réfugiée la suçoteuse de doigt.

« Hé ! mais c’est moi, l’animal qu’elle veut acheter ? » se demanda le petit captif tandis que la vendeuse se relevait de son examen des cages et pivotait sur ses talons pour faire face à la petite cliente (qui n’était donc pas son assistante, preuve qu’on pouvait se tromper)

« Mais qu’est c’que c’est qu’ce bestiau qu’vous avez trouvé là, ma p’tite demoiselle ?
J’avions jamais vu un truc pareil ! M’est avis qu’c’est un croisement de vermine qu’est r’monté par les égouts. Tenez ! R’gardez ! J’l’avions bien dit ! V’là d’où elle vient vot’ bête ! »

La patronne désignait du pied la grille métallique qui gisait sur le sol à côté du trou béant. En maugréant, elle entreprit de la remettre en place. « Maudite vermine ! j’va êt’ obligée de poser un verrou à c’t’heure » Puis, se retournant vers sa cliente, elle enchaîna « Si vous voulez l’ach’ter c’bestiau, j’vous en fait cadeau. J’voulions point d’une horreur pareille chez moi, ça m’ferait fuir les clients »

Le tourbillon vivant en forme de fillette était rentrée chez elle. Son odorat le confirmait, certaines senteurs qui imprégnaient ses vêtements venaient bien d’ici.

Au début, il avait bien cru pouvoir s’échapper sur le trajet qui venait ici car la jeune fille avait emprunté le métro. Cela l’avait en quelque sorte rassuré pour deux raisons.

La première était qu’il se sentait déjà mieux dans un souterrain, comme tout rat qui se respecte ; la seconde était que la demoiselle ne devait pas être une sorcière, tout le monde sachant que les sorciers avaient des modes de déplacement plus efficaces. Et c’était rassurant dans le sens où il trouverait plus rapidement un moyen de se sortir de ce mauvais pas et de reprendre sa recherche de Dumbledore.

Cette deuxième raison était toutefois tirée d’une déduction un peu hâtive. Il s’en aperçut quand un contrôleur s’approcha d’eux, peut-être attiré par l’étrange et dégoûtante bestiole qu’elle tenait à deux mains et qui attirait les regards en coin des autres passagers.

« Votre ticket, s’il vous plait. » l’aborda-t-il.
« Bien sûr, monsieur. Vous pouvez me le tenir une seconde s’il vous plait ? » demanda la voyageuse en lui collant le répugnant hybride entre les bras.
« Reprenez-moi ça tout de suite ! » ordonna alors le pauvre employé d’une voix horrifiée tandis que la jeune fille farfouillait dans les poches de sa grande jupe.
« Ah » s’exclama-t-elle en sortant à demi un petit morceau de bois. « Confundo ! » Fit-elle d’une voix étrange au contrôleur qui laissa tomber son carnet de contravention et l’animal.

Celui-ci n’évita l’écrasement au sol que par les réflexes de ses pattes avant dont les griffes se plantèrent dans l’épais tissu de l’uniforme et par une prompte récupération de la part de la petite sorcière.

Car c’était bien une sorcière, il n’y avait pas possibilité de se tromper. La baguette, et le dernier mot lancé dans lequel Skiìrt reconnu le sort de confusion qu’il avait déjà vu enseigner aux élèves de sixième année, tout ça étaient autant de preuves qu’il s’était fourré dans un joli pétrin, dans les mains d’une sorcière déjà puissante et encore irresponsable. Pourtant la petite fille se ressemblait pas aux redoutables 6eme année. Soit elle était en avance sur le programme, soit elle était plus vieille qu’il ne paraissait. Ses cheveux d’un blond si clair qu’ils allaient bientôt être blancs étaient peut-être une indication ?

Le bonhomme au regard ahuri tenta de reprendre ses esprits. « Da nouzillons vatro pébassant ? » demanda-t-il en se fichant une claque. « Bla ? Da ko trupara ! Véto ! »

« Le pauvre… je pense qu’il est très fatigué. Nourrissez le bien et après deux jours de repos, il sera complètement rétabli » indiqua gracieusement la jeune fille aux voyageurs éberlués pendant que le train ralentissait en arrivant à la station.

Le rat et la fillette descendirent seuls par une porte tandis que tous les autres se pressaient aux autres sorties. « Oh flûte ! Il va encore falloir que je demande à Papa de faire intervenir les oubliators. Dès qu’il sera rentré…» murmura-t-elle en remontant l’escalier qui menait à la surface.

Maintenant, il était temps de faire le point sur sa situation. Il était à quelques centaines de kilomètres de son château, à demi-métamorphosé en poisson, dans une maison étrangère qu’il ne saurait pas localiser tandis qu’Albus Dumbledore, son sauveur potentiel, n’allait pas tarder à revenir à son bureau, endroit dont il n’aurait jamais du partir. De plus sa queue commençait à le tirailler terriblement, les écailles toutes sèches commençant à bruisser à chaque mouvement. La question principale était donc : de quoi allait-il mourir ? Plusieurs options s’offrirent à son imagination : la dessiccation pour ne pas être allé dans l’eau, la noyade pour y être resté trop longtemps, la dissection pour satisfaire la curiosité de la jeune fille, une mort atroce et inconnue suite à des expériences de sortilèges, la famine si on ne lui donnait pas à manger, l’empoisonnement si on lui en donnait, l’écrabouillage, être dévoré par d’autres animaux familiers, la liste semblait infinie…