¤ Se défaire des sentiments ¤

Ce qui fait ma vie

« C'est si facile de se laisser glisser, peu à peu, vers la face obscure de mon être. »

Ma psy' m'a dit qu'écrire dans un journal m'aiderait à extérioriser ce que je ressens. Ce qui est compliqué, en réalité, c'est que je ne ressens rien justement. J'ai dix-sept ans, presque dix-huit, et ma vie est toujours le vide qu'elle était il y a sept ans. Peut-être que le temps guérit vraiment toutes les blessures, peut-être que je suis seulement un peu moins malade que ce que j'ai été, peut-être... mais ce « moi » que j'étais autrefois, il n'existe plus, il n'existera plus jamais. Je ne suis plus ce petit garçon calme et silencieux qui regardait le monde en s'imaginant que ses parents étaient les plus forts du monde. Comme j'aimerais y croire encore... Quand ma mère me sourit, j'ai l'impression qu'elle m'apparaît dans un prisme déformé. Pour elle, je sacrifie à tout ce que je suis devenu. Je me soigne. C'est pas beau ça ? Je me soigne. Dans quelques temps, je serais dans un nouveau monde, je serais adulte, le peu d'équilibre que j'avais trouvé va se briser encore, comme le maillon d'une chaîne dont je ne vois jamais le bout mais que je perds trop fréquemment.

Usée, abusée, effilochée, détruite, mon âme crie et nul ne l'entend.

Je ne sais plus trop quand je me suis aperçu que tous les traitements du monde ne sauraient me sauver. C'était peut-être lorsque j'ai provoqué Sibelle. Ceci en vain par ailleurs puisqu'elle semble quand même décidée à partir. Cependant, à ce moment là, précisément, je me suis rendu compte d'avec quelle facilité je pouvais plonger de l'autre côté du gouffre. C'est si facile de se laisser glisser, peu à peu, vers la face obscure de mon être. Je ne tiens pas à me la jouer « Guerre des Etoiles » mais c'est un fait. On ne voit en moi que le bon copain, le mec sympa, un peu bavard, assez drôle, de ma personne, on ne perçoit que le personnage que je me suis forgé en prenant exemple sur Roman ou des camarades comme Corey. Je fais semblant. La seule personne qui connaissait tout de moi n'est plus. Enfin, elle n'est pas morte, mais je ne crois pas pouvoir m'ouvrir encore à elle.

Emma... J'ai trop souffert de l'avoir trop aimé. Elle m'a quitté, maintenant, il arrive qu'elle me fuit. Je la vois rarement seule. J'ignore si c'est le hasard du changement de notre relation ou si cela est volontaire de sa part, peut-être lui demanderais-je un jour... enfin, elle, elle sait. Elle n'a pas oublié. Lorsque nous avions joué au Loup-Garou dans la salle commune avec tous les autres, elle avait tout de suite perçu le danger dans mes yeux, cela se lisait dans les siens. Elle a pansé mes plaies dans tous les sens du terme, elle a déjà embrassé ma douleur, et je crois qu'elle était amoureuse de celui que j'étais vraiment.

Pas Linoah. Sibelle, peut-être, mais c'est moi qui ne peut l'aimer parce qu'elle me détruirait. Je n'ai déjà pas assez de place dans mon cœur pour ma propre souffrance, ce ne serait pas sain. Au demeurant, je suis certain que ce ne serait pas bon pour elle non plus. Le soucis dans tout ça, c'est qu'on ne se comprend plus. Linoah ne pourra jamais sentir ma douleur, Sibelle ne pourra jamais passer outre, quant à Emma, elle a préféré la fuir, songeant à la sienne. Finalement, je suis très seul au milieu de mes amis. M'aiment-ils ne serait-ce qu'un peu ? Sûrement... je ne suis pas capable de le voir, c'est tout.

Ecrire ne me fait pas de bien à priori, je me sens encore plus mélancolique qu'avant de commencer...

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Emma

« On a beau recollé les morceaux d'un vase brisé, l'eau qui s'y trouvait ne peut y retourner. »

Emma et moi c'est une longue histoire.

Nous avons le même âge, donc je l'ai rencontré très jeune, à onze ans, lorsque je suis entré à Poudlard. À l'époque, Marina n'était morte que depuis quelques mois, j'en souffrais encore beaucoup et mon personnage de « Nick le gentil garçon un peu chiant » n'en était qu'à ses balbutiements. J'en faisais alors des tonnes.
Le hasard a fait qu'on nous a mis en bînome dans plusieurs matières, cela nous a permit de faire connaissance. Trop occupé à faire semblant d'être quelqu'un d'autre, j'en étais devenu brouillon. Emma, soigneuse autant que sérieuse, m'obligeait à plus de rigueur. Elle en vint à être souvent dans mon dos à vérifier que je faisais bien les choses comme il fallait, histoire qu'on obtienne les meilleurs notes. Petit à petit, peut-être à partir de la deuxième ou troisième année, nous sommes réellement devenus amis. Je commençais à mieux maîtriser mon nouveau moi, je me forçais moins, alors je pouvais parler plus librement. On abordait divers sujets, mais on en revenait toujours à l'école et au travail. Elle était (est toujours) perfectionniste. Elle revoyait chaque détail avec minutie, elle pouvait me décrire pendant de longues minutes le pourquoi du comment du fait qu'elle ait eut une meilleure note que moi.
On ne parlait jamais de nos problèmes, mais je crois que bien avant que je le lui dise, elle avait compris que je cachais quelque chose. Je passais beaucoup de temps avec elle, mon jeu d'acteur a ses failles, il arrivait que mon regard se durcisse, que je me plonge dans le passé... et puis, elle est tellement intelligente, tellement à l'écoute, qu'elle ne pouvait pas ne pas s'en être aperçue.
Quelques mois supplémentaires, relativement nombreux, ont été nécessaires pour que je tombe amoureux d'elle. L'initiative est venue de moi, mais je crois que mes sentiments étaient partagés. Je lui ai tout dit : Marina, les cicatrices, ma détresse... Elle a tout fait pour que je puisse me soigner. J'étais assez réticent au début, mais je voulais lui faire plaisir. La première année, la thérapie n'a pas servi à grand chose. C'est avec le temps que ça a commencé à m'aider. Aujourd'hui, je ne me scarifie plus, quelque part, c'est grâce à Emma.

Cependant, notre amour n'était pas assez fort.
Lorsque la magie a disparu, petit à petit, elle s'est éloignée de moi. Et puis, à la fin de l'année, elle m'a quitté. Maintenant, encore, je doute d'avoir vraiment avalé cette rupture. Une partie de moi sera toujours attaché à elle, elle est mon enfance, ma première bouée de sauvetage, mon amie la plus chère... J'aurais pu essayé de la séduire de nouveau quand elle est revenue au début de cette année, cela aurait été vain. On a beau recollé les morceaux d'un vase brisé, l'eau qui s'y trouvait ne peut y retourner. J'aimais Emma. D'un amour perfectible, égoïste peut-être, pourtant, je n'ai pas vraiment de regret. J'ai réussi à laisser notre histoire derrière moi.

Mon unique objectif à l'heure actuelle est que nous réussissions à redevenir ami sans aucune gêne. Ce n'est pas encore tout à fait gagné et d'après ma psy' c'est peine perdue puisqu'on ne peut pas avoir de relation vraiment saine dans mon cas (elle est sympa cette femme hein?), mais vous savez ce qu'on dit, hein ?

L'espoir fait vivre.

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Sibelle

« Je n'ai pas changé petit à petit, parce que j'ai grandi, j'ai changé à cause de l'accident »

Je pense qu'après avoir parlé de Emma, je dois parler de Sibelle. Ma thérapeute a tendance à penser qu'à cause de la mort traumatisante de Marina, je suis complètement obnubilé par les filles. Pas au sens romantique cela dit, mais plutôt par le fait d'essayer de les sauver. De toute évidence j'ai échoué avec Emma... Sibelle aurait été – toujours selon ma thérapeute – ma seconde grande cause. Quelque part, on ne peut pas dire que c'est un échec. La Sibelle que j'ai rencontré la première fois et qui avait une peur affreuse des hommes n'est plus la même. Elle est plus sûre d'elle, elle a réussi à se faire des amis (en dehors de son tuteur et moi je veux dire), ça compte beaucoup pour moi je trouve. Cependant, je pense aussi que ce n'est pas forcément bon pour elle d'être trop en ma présence. Sa souffrance fait écho à la mienne et cela n'a pas de bons résultats. Du moins pour moi, car j'ai réussi depuis presque deux ans à ne plus me scarifier mais le stress que provoque en moi Sibelle ne fait que me pousser dans mes retranchements. Parce que c'est vraiment stressant, je peux vous l'assurer. Elle ne me voit pas tel que je suis mais tel qu'elle voudrait que je sois, ça ne fait que remonter à la surface mon autre moi, celui qui a disparu quand Marina est morte. D'après ma thérapeute (qui, décidément, en a des choses à dire), mes deux personnalités ne se mêlent pas encore parfaitement parce qu'elles ne sont pas le fruit d'une évolution naturelle mais de quelque chose que j'ai forcé. J'ai fabriqué la seconde de toute pièce, elle a fini par m'être la plus naturelle des deux justement, mais la première ne peut pas avoir totalement disparu. Je n'ai pas changé petit à petit, parce que j'ai grandi, j'ai changé à cause de l'accident.

C'est ce Nick là que Sibelle aime. Celui qui est gentil avec elle, qui l'aide et la conseille. Mais même si on peut considérer que je suis vraiment comme ça, il y a l'autre parti de moi qu'en revanche, elle n'est pas capable d'accepter. J'ai envie de dire « pas encore » parce qu'elle a ses propres problèmes et qu'un jour, je l'espère, elle comprendra. Néanmoins, il reste que le noyau froid dans mon cœur ne peut pas sortir en sa présence. Elle a été amoureuse de moi à une époque (révolue?), je l'ai repoussée à cause de ça. Je ne pourrais que la blesser à cause de ma propre douleur. Je n'étais pas un petit garçon chaleureux et amicale. Avant la promesse faite à Marina de toujours sourire, j'étais taciturne, silencieux, froid, toujours plongé dans un livre. Lorsque je m'adressais aux gens, c'était de manière relativement sarcastique même si j'étais bien élevé. Mes parents ont bien des défauts mais ils nous ont tous les cinq élevés correctement.

Bref, je n'étais pas destiné à devenir un bon petit gars social et bavard. Quand Sibelle parle de moi, j'ai toujours l'impression qu'elle parle d'un inconnu. En résumé, ce n'était pas de moi qu'elle était amoureuse, mais d'un moi factice, c'est pourquoi je l'ai refusé à l'époque. Et récemment, lorsque j'ai laissé sortir un peu de ma froideur et de ce que je peux être, elle a juste été profondément choquée. Avouons que c'est quand même assez ironique lorsqu'on y pense, car c'était sa chance de m'avoir. Enfin, d'après ce que j'ai compris, il s'est passé un truc avec Eliott, peut-être que c'est lui qui l'intéresse maintenant, je n'en sais trop rien. Je ne lui ai pas reparlé depuis vu que Linoah a moyennement apprécié notre dernier intermède. Tu m'étonnes...

Finalement, la seule véritable question qui reste en suspend est de savoir si Sibelle va quitter Poudlard ou pas. J'espère que non, se terrer chez elle ne me semble pas être une bonne idée. Je ne serais plus là l'an prochain, c'est vrai, mais c'est pour elle. La solitude n'est bonne pour personne, encore moins pour les gens comme elle et moi.

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