La gourmandise est un vilain défaut... Qu'ils disent !

Susan, suivit, si elle ne les avait pas semées en chemin, d'Abygaël et d'Hope, venait de parcourir près de 500 mètres depuis la boutique de vieux vêtements, se frayant un chemin à grand renfort de coups de coude. L'avantage, quand on n'était pas encore trop grande - et même plutôt petite ! - c'était qu'on pouvait se glisser sans trop de problème entre les gens.
La fillette aperçut enfin les fanions caractéristiques du vendeur de glace et se rallia à leur panache blanc leurs couleurs criades comme un homme à la mer se raccroche à la bouée (même si ça ne sert pas à grand chose, passons).

Elle retint un soupir de soulagement - elle avait bien pensé mourir écrasée entre une vieille sorcière obèse, sans doute Mme Weasley et un septième année de Gryffondor qu'elle connaissait de vue - elle désigna d'un index signifiant très clairement "C'est par là" la boutique dont on voyait à présent le haut de la porte, faisant fi de la politesse la plus élémentaire.

- Courage, mes braves, lança-t-elle pour galvaniser les troupes, la récompense est proche !

Lire le Roman D'Arthur n'était peut-être pas une si bonne idée que ça, si elle devait se remettre à parler comme si Cromwell n'était pas encore né.
La Poufsouffle donna un dernier coup de coude et se retrouva devant la boutique.
Adressant un sourire rayonnant aux deux fillettes qui venaient après elle, elle roula des yeux, l'air de dire "Ben, c'était pas de la tarte, hein !" et reprit :

- Allez hop ! On se dépêche un peu... Il paraît qu'il a une nouvelle glace citron-meringue et j'ai bien envie d'y goûter... Au fait, c'est moi qui invite, bien entendu, rajouta-t-elle avec autorité.

A grands renforts de couds de coudes, de bousculades et de faufilage intempestif entre les passants énervés, Hope avait réussi, sans trop savoir comment, à se frayer un passage pour suivre Susan et Abygael jusqu'à la cabane bénie du marchand de glace tant attendu. Sue et elle avaient la chance d'être de taille excessivement petite, mais Abygael, elle, semblait avoir plus de difficultés à jouer à l'anguille. Hope elle même, chargée d'un bon milliard de livres et vêtements en tous genres, et malgré sa bonne humeur et son ton joyeux lorsqu'elle lança à Susan, dans la foule intriguée par ces trois fillettes aux paroles de guerriers, " Nous arrivons, Sire, les troupes ennemies nous encerclent, mais nous autres chevaliers ignoreront leurs attaques ! "arriva essouflée aux côtés de Sue, et regarda d'un air avide les miliers d'étalages remplis de glaces aux parfums et aux couleurs plus enivrants les uns que les autres. Elle jeta un regard étonné à une sorcière replète qui avait faillit étouffer Susan, quelques secondes auparavant, en pensant * Tiens, ça doit être la mère de George ! *. Comme quoi...

Elle soupira, soulagée de s'en être finalement sortie, et essuya son front couvert de goutelettes de sueur. Hope n'était vraiment, vraiment pas sportive.

- Sue, Sue, ne fais pas cette erreur, répliqua-t-elle, suite à la courtoise et folle invitation de sa camarade, tu sais bien qu'on va en avoir pour des centaines de gallions, à ce rythme là, j'ai de plus en plus chaud personnellement, il vaudrait mieux partager...

Irrésistiblement attirée par les milliers d'étalages de glaces, Hope s'efforçait de rester calme et stoïque, avec la plus grande peine. Les centaines de parfums aux coloris plus invraisemblables les uns que les autres criaient son nom, l'incitant à les kidnapper (ou plutôt, à les glacenapper dans le cas présent) le plus rapidement possible. Elle voyait de là où elle et ses deux amies se trouvaient les dizaines d'affiche collées au dessus du comptoir, vantant les mérites des Glac'hélium ("Elles vont vous faire planer !"), des Eph&Mer ("La glace qui change de goût !") et d'un nombre incalulable d'inventions plus étranges les unes que les autres. Pour une sorcière qui jusque là n'avait connu que vanille et chocolat, peut être fraise dans les grandes occasions, la boutique tenait de la caverne d'Ali Baba...

Hope secoua la tête, en s'efforçant de recouvrer la raison (mais était-ce seulement possible ? hum... ), et alla s'asseoir à côté d'Abygael, en réfléchissant à la première des glaces qu'elle allait goûter.

- Tu viens, Sue ? Avec un peu de chance, si on reste assises 44 millions d'années, un serveur -Merlin le bénisse s'il se pointe- pourrait bien avoir la grâce de venir prendre notre commande, on ne sait jamais, l'espoir fait vivre !

Susan retint un sourire entendu : la moindre des choses, quand on vous offrait une glace, était de protester avec véhémence. Mais les promptitude de l'offreur finissait toujours par payer (non, ce n'est pas un jeu de mot idiot, je jure que ce n'était pas fait exprès !) : généralement, il avait fourré depuis longtemps sa monnaie dans la main du serveur le temps que les autres sortent leur argent.
La fillette mis ses mains dans les poches de sa jupe de coton bleu et rétorqua :

- Hé ! Mais si je paie aujourd'hui, c'est forcément à charge de revanche... Pauvres de vous, il va falloir nous revoir pendant les vacances... Ou prendre trois glaces chacune aujourd'hui !

C'était un argument choc. Enfin, à tous les coups, l'une des deux fillettes allaient lui sortir, la mine défaite : "Oh Merlin ! Non ! Te revoir ? Toi ? Comme si on n'allait pas assez se croiser à Poudlard ! Non mais tu hallucines !". La Poufsouffle ne s'aperçut de cetet éventualité qu'après coup et commença aussitôt à se mordiller la lèvre, mal à l'aise. Ohlàlà ! Elle aurait mieux fait de se taire ! Comment, en effet, quelqu'un de normalement constituté - et Hope, quoiqu'elle en dise, l'était autant qu'Abygaël - pouvait avoir envie de passer du temps avec Susan, l'être le plus ennuyeux de cette Terre ?

La fillette s'installa à la place en face d'Abygaël et regarda autour d'elle, en partie pour dissimuler son trouble, dû à sa réplique précédente, en partie pour tenter de repérer un serveur. Le déjeuner avait beau être tout proche, tous les sorciers d'Angleterre paraissaient s'être donnés rendez-vous ici pour profiter de ce début d'été.
Distraitement, elle tortilla une mèche de cheveux avant de dire, rêveuse :

- On devrait peut-être lancer un signal de détresse, non ?

Hope ne connaissait pas encore assez bien Susan pour pouvoir déterminer, si, oui ou non, elle était censée ceinturer la jeune sorcière pour l'empêcher à tout prix de payer, en hurlant : "Vite, Abygael, sors mon portefeuille de ma poche gauche et va payer !!" ; néanmoins, son unique neurone bouillonait à force de peser le pour et le contre, tant et si bien qu'au bout de quelques secondes, en sentant un début de migraine fort désagréable pointer son museau dans un coin de sa caboche, elle laissa les mots sortir de sa bouche, sans réfléchir à ce qu'elle racontait.
Ce qui, comme de juste, ne donna pas de résultat fort intéressant, reconnaissons le :

- Ben... si tu... enfin...

Bref. Elle réfléchit donc à deux fois avant de rouvrir la bouche, cette fois pour répondre de manière civilisée, anglaise et surtout compréhensible, en haussant légèrement les épaules :

- Ma foi, "mon petite camarade" , je suppose que rien ni personne ne peut t'enlever cette idée de la tête, c'est pourquoi je m'y résouds, quoique avec peine... mais la prochaine fois, c'est moi qui paye, soyez-en sûres !!

Résignée, elle attendit que Sue s'asseye, puis répondit à sa dernière remarque, en regardant autour d'elle dans l'espoir d'apercevoir (que de rimes !) un quidam quelconque capable de prendre leur commande. Enfin, par "quidam quelconque", son esprit entendait bien sûr un serveur, elles n'allaient tout de même pas exiger du facteur d'à côté qu'il leur serve leurs glaces... (Tais toi, cerveau !!!)

- Je ne sais pas... tu crois qu'on peut faire ça sans alerter le reste des passants ? Parce que, le cas échéant, il est possible qu'on se fasse directement interner à Ste Mangouste, ou à Azkaban, et je n'y tiens pas trop, j'aime bien être en vacances, moi...

Heureuse d'avoir obtenu gain de cause, Susan adressa un sourire triomphant à Hope et s'installa plus confortablement sur sa chaise de fer blanc. Le soleil lui chauffait agréablement le dos et les oiseaux gazouillaient joyeusement dans les rares arbres qui bordaient la place.
La fillette poussa un profond soupir d'aise : pas de devoirs avant deux longs mois, pas de préoccupations scolaires, pas de...

La voix d'Hope vint briser ce début de dressage de liste et Susan rouvrit les yeux, adressant à son amie un regard faussement candide. Elle posa son coude sur la table et cala son menton au creux de sa main avant de rétorquer d'un ton hautement réprobateur :

- Enfin, Melle Zellwiger, quelle honte ! Nous ne sommes pas censés pratiquer la magie en dehors de l'école ! Auriez-vous omis de lire le réglement ?

La Poufsouffle fronça les sourcils, repoussa une mèche de cheveux en arrière et pinça les lèvres, dans une imitation tout à fait probante du professeur McGonagall.
Finalement, elle reprit d'un ton sec, toujours dans son rôle de professeur de métamorphose :

- Mais enfin, c'est i-nad-mis-sible ! Il n'y a aucune organisation dans ce café ! Dumbledore, faites quelque chose !

Malheureusement pour elle, ce fut le moment que choisit un serveur pour débouler avec le traditionnel "Puis-je prendre votre commande ?"
Susan rosit vivement, persuadée qu'il l'avait entendu, et bredouilla un inaudible :

- Euh... Oui... Euh... Merci... Euh...

Elle lança un coup d'oeil désespéré à Abygael et Hope, espérant qu'elle lui lancerait une bouée de secours avant qu'elle ne se noie.

Surprise au premier abord par la réaction de Susan, et légèrement décontenancée, Hope ne trouva rien à répondre pendant les deux premières secondes qui suivirent la réponse de la jeune sorcière. Cependant, elle se reprit vite en main, et répliqua en plaquant une main sur sa bouche, l'air faussement désolé :

- Oh, pardonnez moi, professeur, je suppose que mon QI d'huître m'empêche de retenir votre réglement particulièrement ennuyeux tout à fait passionant... je vous offrirai une boîte de chocolat, pour Noël !

Elle étouffa avec peine une crise de rire monumentale en voyant Sue, les sourcils froncés et le visage crispé, imiter McGonagall de manière particulièrement réussie, et décida de prolonger le jeu (était-ce seulement une bonne idée ?) en se fabriquant à la hâte un chapeau avec une serviette en papier de couleur criarde posée sur la table. C'est à ce moment précis que le serveur vint -enfin!- à leur rencontre, et sortit son carnet en souriant, sans rien faire tomber (mais comment faisait-il donc ?), pour prendre leur commande. Surprenant le regard presque désespéré de Susan, et constatant qu'Abygael, prise au dépourvu, ne semblait pas prête du tout à répondre au serveur, elle fit preuve, pour une fois, de réflexe, et répondit à la hâte :

- Je vais prendre une glace macaron-citrouille, s'il vous plait...

Elle avait bien entendu dit cela sans réfléchir, ayant vu une affiche vantant le mérite de la glace en question quelques minutes plus tôt. A tous les coups, cette dernière allait avoir un goût immonde, comment pouvait-on mélanger des trucs pareils ?