Vous m'avez manqué, M'sieur Shinku ! [PV]

Avril. Pâques, bientôt. Chaque fois que les yeux de Susan se posaient sur le calendrier magique qui ornait le bureau du Professeur Flitwick (chaque jour, l’explication d’un nouveau sortilège sous forme d’une petite image animée !) elle ne pouvait s’empêcher de constater avec un étonnement mêlé de panique que le temps prenait un malin plaisir à filer plus rapidement qu’un élève à l’approche de Rusard. Etait-il concevable que plus de six mois se soient déjà écoulés depuis la rentrée scolaire ? Pourtant, elle avait le sentiment que, la veille encore à peine, les arbres de la forêt interdite avaient revêtus leurs robes automnales et que des milliers d’oiseaux fuyaient la rigoureuse Ecosse pour d’autres cieux. D’où venaient le vert délicat dont la prairie s’était parée, les hirondelles qui nichaient aux faîtes des grands chênes et cette douce brise annonciatrice d’un printemps clément ? La foule qui se pressait Chemin de Traverse, en cette fin d’après-midi, avait définitivement abandonné les lourdes capes hivernales pour des tenues de sorcier à la fois plus légères et plus colorées, si bien que Susan se sentait un peu isolée, elle qui avait gardé sa robe noire, si stricte mais si pratique face aux élèves ! Elle avait délaissé les couloirs de Poudlard pour la tumultueuse Londres, ce samedi-là, dans le but de passer chercher les Griffons en chocolat qu’elle offrirait à Madame Pince ses petits cousins le lendemain, lors du traditionnel déjeuner de Pâques qui réunissait chaque année l’ensemble de la famille Bones. Par ailleurs, Alban l’avait chargée d’aller lui chercher divers ingrédients de potions qui menaçaient de lui faire défaut et la jeune femme, qui était profondément attachée à son cousin, avait accepté avec enthousiasme.
A présent chargée de deux grands sacs, elle se dirigeait vers le Chaudron Baveur où elle devait retrouver, pour l’heure du thé, son ancien bourreau : "Mademoiselle Bones, vous ne vous souveniez même pas que Nathan Symphonie a pour mission de me tuer ?!" camarade de classe, Alexander Shinku. La perspective de revoir ce dernier emplissait la rouquine de joie et elle se sentait presque flotter d’allégresse tandis qu’elle avançait avec liesse en direction de la taverne. Alexander demeurait sans conteste un des meilleurs amis de la Poufsouffle et, malgré la distance qui les séparait désormais, ils n’avaient jamais perdu contact, profitant du moindre passage de l’un ou de l’autre à Londres ou à Pré-au-Lard pour se retrouver, de préférence autour d’une tasse de thé l’alcool, c’est seulement le vendredi soir.

*Arf ! Je suis en retard !* réalisa Susan avec une grimace ennuyée en entendant la cloche de Gringotts sonner cinq heures *Et Alexander est toujours si ponctuel ! Je le savais que j’aurais dû doubler la file de grands-mères chez le chocolatier !*

Une pensée, certes peu en rapport avec la condition de Poufsouffle de la rouquine mais néanmoins tout à fait compréhensible quand on savait qu’elle avait passé près d’une heure à attendre que ces mesdames fassent leur choix pour les Cloches de leurs petits-enfants (« La pauvre Perdita ne supporte que le chocolat 75% de cacao… Une enfant charmante au demeurant… Attendez, j’ai une photo dans mon sac, je vais vous la montrer… ») et « finalement est-ce que vous pourriez me mettre un peu de ceux-ci également ? Comment ? Oui, je veux bien un paquet cadeau, merci… Un pour chaque poule, bien entendu… ». En réalité, elle était quasiment convaincue qu’une société secrète était à l’œuvre pour réduire sensiblement le nombre de vendeurs et augmenter le nombre de clients d’une lenteur insupportable dans les boutiques au moment les plus cruciaux de l’année, probablement dans le but de provoquer une crise de nerfs chez l’innocent ou des brûlures à la plante des pieds à force de rester trop longtemps debout. Pas de doute, c’était certainement les apothicaires et autres médicomages qui étaient derrière ce complot diabolique !
C’est sur cette dernière réflexion que Susan poussa la porte du Chaudron Baveur qui, à cette heure de la journée, faisait salle comble. Elle fut malgré tout prompte à repérer Alexander à cause de son aura, qui avait eu le bon goût de s’installer à une table un peu à l’écart, et semblait attendre avec une forme de résignation détachée qu’elle daigne pointer le bout de son nez. Même au milieu d’un Chaudron Baveur débordant d’activité, Alexander donnait l’impression d’être un Lord Anglais attendant patiemment qu’on vienne lui apporter son thé dans le petit salon vert, s’il vous plaît, merci. Susan esquissa un sourire affectueux à la vue de son ami et c’est avec ce même sourire toujours pendu aux lèvres qu’elle arriva à sa hauteur (sans s’être pris les pieds dans le moindre sac, un exploit, quand on la connaissait…).

- Excuse-moi pour le retard, Alexander, commença-t-elle en s’asseyant en face de lui, il y avait une horde de petites vieilles à la chocolaterie… Enfin, je suppose que tu seras heureux de savoir que la petite Perdita n’aura aucun problème d’allergie demain ! rajouta-t-elle avec une moue comique avant de poursuivre aussi sec, comment vas-tu ? Et Jade, ça roule ?

Susan s'était assisse avec bonne humeur sur la chaise non, non, sur la table qu'Alexander lui avait galamment tirée : la perspective de passer du temps, si court fût-il, avec son ami dispersait les nuages de soucis qui s'étaient accumulés au-dessus de sa tête, au cours des dernières semaines. Après avoir commandé un thé ("Noir. Sans sucre. Ni lait. Avec une petite cuillère, s'il vous plaît. Dans une petite tasse de porcelaine. Pas de motifs sur la tasse, merci."), Susan adressa un sourire rayonnant au Poufsouffle (un jour, toujours. Même quand le Choixpeau a visiblement commis une erreur : "Comment, Monsieur Shinku ? Vous à Poufsouffle ?") avant de poursuivre :

- C'est surtout au personnel de Sainte Mangouste que ça doit faire plaisir, car si la petite-fille est aussi insupportable que la Grand-Mère, je n'aimerais avoir à la soigner pour une allergie au chocolat... précisa-t-elle d'un ton enjoué, tout en songeant qu'il ne devait pas être évident tous les jours d'exercer la noble tâche de guérisseur. Certains patients devaient être tout bonnement imbuvables. Les élèves avaient au moins cet avantage qu'il était toujours possible de contenir leurs ardeurs en les menaçant de retirer des points à leur maison. Même si certains se moquaient de la coupe comme d'une guigne (et ceux-là n'étaient pas les moins sages), la perspective d'avoir à essuyer le mécontentement de leurs condisciples suffisait généralement à les ramener dans le droit chemin.

* Enfin, pour la plupart d'entre eux, en tout cas... * rajouta-t-elle en son for intérieur, tandis que l'image d'un certain Serpentard qui lui avait donné bien du fil à retordre lui traversait l'esprit.

- Oh ! s'exclama-t-elle ensuite, l'air infiniment contrit, je suis désolée ! Tu aurais peut-être préféré aller ailleurs ! J'aurais mieux fait de te demander ton avis plutôt que d'imposer un choix... Vraiment... La prochaine fois, on ira où tu voudras ! s'empressa-t-elle de promette, visiblement sans se soucier de ce que Tom, le patron du Chaudron Baveur, pût l'entendre et mal accueillir cette défection annoncée de son établissement ("Le thé, c'est trois mornilles et deux noises, mais, pour vous, ce sera dix gallions..."), tandis que ses joues rosissaient légèrement, si bien qu'elle ressemblait tout à fait, en cet instant précis, à la fillette intimidée et persuadée de commettre sans cesse les pires impairs, qu'elle avait été durant une grande partie de sa scolarité.

La rouquine garda un moment le silence, les yeux résolument fixés sur sa tasse vierge de tout motif, dont elle touillait nerveusement le contenu tant elle sentait qu'elle avait fait preuve d'égoïsme en traînant Alexander au Chaudron Baveur. C'était presque pire que le jour où elle avait oublié que Nathan Symphonie (famille de malades, les Symphonie, elle l'avait toujours dit !) voulait assassiner son ami. Ne pas se souvenir du mépris que le jeune homme avait pour la foule bruyante était impardonnable. Décidément, elle faisait une bien piètre amie et allait se coincer les doigts dans la porte du four directement en rentrant. Ce silence embarrassé se serait peut-être prolongé si Alexander n'avait pas détourné l'attention de Susan en faisant allusion à plusieurs nouvelles qu'il avait à lui annoncer. On ne fréquentait pas Lavande Brown pendant des années sans en subir des séquelles ("Tu quittes Jade pour épouser Lavande ? Hourra ! Je savais que la raison finirait par te revenir !") : la fibre "potins et rumeurs" que la Gryffondor avait si bien su réveiller en Susan dressa l'oreille d'un coup.

- Des nouvelles ? répéta-t-elle, incertaine, en adressant un coup d'oeil perçant à Alexander, rien de grave, j'espère... rajouta-t-elle, un peu anxieuse (car, si les bonnes nouvelles étaient faciles à écrire dans une lettre, d'aucuns attendaient souvent de pouvoir s'exprimer de vive voix pour dévoiler les mauvaises)...

... Ce qui lui permit d'éluder la coquine la question relative à sa propre santé.