Aujourd’hui, elle avait tué une petite fille. Elle avait 9 ans, au plus. Un coup de baguette. Propre. Elle n’avait pas fermé les yeux. Pendant une seconde, elle avait eu un doute. Elle semblait intelligente. Il n’y a plus beaucoup d’enfants intelligents.
Elle rentra chez elle, méthodique, elle jeta ses gants et ses vêtements dans le poêle. Ils se recroquevillent dans les flammes. Elle tira un miroir qui lui montrait ce qu’il se passait en direct de l’appartement d’Ezra, son homme. Il était avec une fille, très jolie, mais elle n’avait rien de spécial. Son regard brun semble un peu vide. Ils riaient ensemble.
Par pur masochisme, elle assiste en silence à sa trahison. Elle sens se découper de petites lamelles de son âme, elle a froid. Cela lui arrive lorsque quelque chose ne va pas : son corps se retient d’imploser sous la pression de sa déception et de sa douleur.
Je suis triste.
Je ne pense pas être déprimée. Juste triste. Car, sur toutes ces choses, je n’ai aucun impact. J’ai décidé d’abandonner l’idée de lui faire changer d’avis ou de comportement. Je laisse aller, je verrai bien.
J’aurais du me battre pour que les choses soient autrement. Le « laisser aller » c’est lâche. La fatalité, je valide, mais j’aurais du me battre quand même car la fatalité découle tout de même de nos actions. Ce qui doit arriver arrivera, mais ça ne doit pas m’empêcher de me battre pour avoir la certitude d’avoir un impact sur ce qui arrive. Je suis ainsi faite.
Je n’ai plus de forces. Je suis fatiguée et triste. L’amour ne va que dans un seul sens alors qu’avant il allait dans les deux : c’est injuste. J’aurais aimé cesser de l’aimer quand il a cessé de m’aimer.
Je ne peux pas pleurer, cela fait un an que je pleure, je suis lasse de pleurer. Je n’ai plus d’ami à qui raconter ces histoires, car les amis sont las de les écouter.
Elle se retourne. Elle voit, accrochées au miroir, quelques photos, souvenir de l’école et des vacances.
Ces gens, je ne leur parle plus. Les conversations tournent en rond. Il n’y a qu’avec Ezra que la complicité est restée, mais Ezra maintenant…
Il n’a pas d’excuse pour ne plus l’aimer.
Je préfèrerai encore qu’il soit mort, il aurait ainsi un motif valable.
Elle se regarde dans le miroir. Elle a l’air fatigué, des cernes, des yeux translucides, des cheveux ternes.
C’est clair que ce n’est pas comme ça qu’il m’aimera .
Elle a gardé cette mauvaise habitude de toujours se demander « Et qu’est-ce que Ezra dirait… ». En ce moment c’était plutôt « Comment réagirait-il si je mourrais ? »
Je voudrais qu’il m’arrive un grave accident. Qu’il soit au courant et surtout, surtout, qu’il ne vienne pas me voir. Là, je pourrais enfin tourner la page.
La petite fille qu’elle avait tuée avait de longs cheveux auburn, des yeux bleus, une peau laiteuse, un petit nez adorable et de jolies lèvres pulpeuses. Tout en elle n’était que perfection. Lorsqu’elle était entrée dans sa chambre, elle n’était pas – comme prévu – dans son lit. Elle était debout, dos à la fenêtre. Elle l’attendait. La pleine lune et le lampadaire au dehors ne découpaient que son ombre, fine, en pyjama. Elle l’attendait mais Diabalzane ne savait pas pourquoi. Elle ne pouvait lui poser la question. C’était embarrassant d’être dans cet endroit, face à ces poupées et cette ambiance et d’y devoir commettre un crime. La petite leva le bras, attendant peut-être que son bourreau lui donne l’autorisation de bouger. Ca n’avait pas d’importance, la maison était morte, isolée des badauds, elle aurait pu hurler, le regard vide de sa mère fixant le plafond confortait Diabalzane dans l’idée que personne ne rentrerait plus jamais dans sa chambre pour l’aider et la consoler. Elle s’approcha de la console près de son lit. Elle alluma la lumière. C’est là qu’en regardant dans ses yeux la dernière des Södergren vit que ce n’était pas une enfant. Un instant elle eut le vague sentiment qu’elle allait sortir une baguette. Puis elle se raisonnait vite. Une moldue de 9 ans n’a pas de baguette. Pourtant, elle se sentait mal alors que l’enfant ouvrait le tiroir de sa table de nuit. La gamine lui pointa dessus une baguette en bois de rose. Diab leva la sienne et, sans réfléchir... Elle s’est affalée sur elle-même, son cerveau ne donnait plus à ses jambes la commande de rester debout.
Elle aurait pu la stupéfier, la désarmer… Non, elle l’avait tué. En tombant au sol la tête de la petite fille avait percuté le carrelage. Une marre de sang, menaçante tout en étant douce et silencieuse, se répandait sur la blancheur du sol. Du sang, Diabalzane en avait déjà vu de nombreuses fois, mais celui là lui sembla plus rouge, ou plus noir. Son acte avait perdu toute cruauté. Il n’y avait plus rien de cette hargne ancienne, de ces idées sadiques qui lui trottaient autrefois dans la tête. Elle avait gardé un sang glacé pour cette épreuve. L’excitation de tuer la mère s’était envolée, elle avait tué une enfant parce qu’elle avait été percutée par la menace que celle-ci représentait. Pire : Diabalzane Södergren n’en avait rien à faire.
Elle ferma les yeux un instant. En avançant elle trébucha sur le pied d’une chaise.
-Qu’elle plaie de vivre ici.
Elle jeta un coup d’œil autour d’elle, vivre sous les toits lui donnait l’impression que le monde était trop restreint pour elle.
Elle ouvrit la cage de Lestat. Elle envoya un message au Ministère de la Magie.
« Ne laissez pas vos faux moldus seuls :
10B, Westham Street, LONDON
Les enfants du Mal ne disparaissent pas : ils préparent leur vengeance »Elle y joignit la photo de l’enfant inanimée. Elle sourit : on ne voyait pas souvent de photos inanimées chez les sorciers. Il n’y avait pas de magie contre la mort.