- Par les saintes culottes de McGregor !
C’est ainsi que toute l’affaire avait commencé : sur une exclamation sidérée, suivie d’un bref silence, et d’un « Chuuuuuut ! » offusqué, lancé depuis le bureau de Madame Pince. Prudence avait rougi violemment, et s’était empressée de fourrer dans une poche de son uniforme la feuille de parchemin jauni, qu’elle tenait à la main. Si la bibliothécaire décidait de quitter son poste de surveillance pour venir voir de plus près ce qu’elle trafiquait, elle était morte. Rangeant à la va-vite et sans aucun respect la classification Dewey : bim, mort d’un documentaliste quelque part dans ce monde le livre qu’elle était en train de consulter (Mille armes tranchantes pour petits gabarits), la jeune fille avait tâché de prendre un air dégagé avant de rejoindre sa table.
- Psst, regarde un peu ce que j’ai trouvé… avait-elle précipitamment chuchoté, la mine réjouie, à l’attention d’Aria, la Gryffondor avec laquelle elle était censée travailler sa dissertation d’Histoire de la Magie (« L’impact de l’utilisation du fer dans les guerres gobelines », un sujet tellement soporifique que Prue se serait depuis longtemps endormie sur sa copie, si sa camarade n’avait pas été là pour la maintenir éveillée). Et de poser, triomphante, son parchemin au beau milieu des brouillons de plans, et des essais d’introduction. Bien que l’encre se fût en partie effacée, on lisait encore aisément le court message qui y avait été inscrit, Merlin seul savait combien de temps auparavant. « Chère I. de mon cœur, RDV après le couvre-feu des chiards, à l’endroit que tu sais, pour des heures d’amour. A. »
- C’est la preuve qu’on attendait tous ! La réponse à la question que des générations d’élèves se posent depuis la nuit des temps des années ! Pince et Rusard sont ensemble, c’est sûr ! Regarde, le mot parle de « chiards », c’est forcément un adulte qui déteste les élèves qui l’a écrit. J’te parie tout ce que tu veux que le « I », c’est « Irma », et que le « A », c’est « Argus ».
Cette découverte, cruciale pour l’Histoire de Poudlard, ayant définitivement relégué les guerres gobelines au second plan, les deux filles avaient débattu ferme pour déterminer si, oui ou non, les amants maudits qui communiquaient via ouvrages interposés, étaient bel et bien l’irascible bibliothécaire et l’abominable concierge. Un instant, Prudence avait émis l’idée d’aller présenter le message à Madame Pince, arguant que, si elle était prise au dépourvu, sa réaction ne manquerait pas de la trahir ( « Tu peux être certaine qu’elle sera dans tous ses états, si c’est elle, « I » ! »), mais la perspective d’affronter la vendetta, qui ne manquerait pas de s’ensuivre, l’avait quelque peu refroidie. Elle n’avait aucune envie de mettre sa vie en jeu dès qu’elle posait un orteil hors de sa salle commune : Rusard était bien capable de lui coller Miss Teigne l’increvable félin dans les pattes, et elle avait trop besoin de la bibliothèque pour accepter sereinement d’en être bannie à vie.
Aria et Prudence avaient toutefois fini par tomber d’accord : suivre Pince ou Rusard, après que tous les élèves se fussent retirés dans les salles communes, était la meilleure manière de lever le voile sur le mystère de leur relation. Une fois de plus, Prudence avait sorti sa carte « préfète » pour élaborer un plan savamment ficelé (selon ses propres critères, du moins).
- On n’aura qu’à profiter de ma ronde de ce soir pour prendre Rusard en filature. Il passe son temps à se promener dans les couloirs, sous prétexte que les préfets sont incapables d’assurer une surveillance efficace du château et il n’a pas tort : à tous les coups il retrouve Pince à un moment ou à un autre. Et si on se fait attraper, on n’aura qu’à dire que je t’ai surprise hors de ton dortoir, et que tu as besoin d’aller à l’infirmerie… Tu crois que tu pourrais simuler un mal de ventre crédible ? Il faudrait peut-être prévoir d’emporter des pastilles de gerbe de chez Weasley, je pense que Quino pourrait m’en prêter…
C’est ainsi que, Prudence s’était retrouvée, à neuf heures du soir, à attendre Aria, en bas de l’escalier qui menait à la tour de Gryffondor autant dire que la grimpette avait été rude, depuis les sous-sols de Poufsouffle.
- C’est bon, tu as pu sortir sans être repérée ? Demanda-t-elle à sa camarade, après qu’elle l’eut rejointe. On va se mettre en planque du côté de la bibliothèque directement, ou on essaie de trouver Rusard dans les couloirs, d’abord ? Je crois qu’il est du côté de l’infirmerie… Si ça se trouve, il trompe carrément Madame Pince avec Pomfresh ! Moi, j’ai toujours pensé qu’il y avait un truc entre Pomfresh et Flitwick, mais l’un n’empêche pas l’autre.
Autrement dit, dans l’esprit de Prudence, la salle des professeurs était à deux doigts de devenir un club échangiste des plus olé-olé.
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