Un pas de travers ♦ Tempérance Biel

Un pas de travers

Tempérance + Esther
5 juin 2016

(c) princessecapricieuse

Tempérance avait passé une matinée quelque peu surréelle.
En préambule, il était important de rappeler que la jeune Irlandaise n'était pas une personne du matin, tant et si bien qu'à côté d'elle, les personnes habituellement qualifiées de cette manière paraissaient l'être. Il était de notoriété publique à Poufsouffle que les jours de week-end, on ne l'apercevait pas à la table du petit-déjeuner avant que celui-ci n'ait quasiment disparu ou disparu pour de bon. La frustration de voir son muffin cible se volatiliser dans l'air était des plus grandes, et une vision nettement trop familière à son goût, pendant ses quatre premières années d'études.
Mais elle s'était reprise. Vaillamment, elle avait commencé à mettre son réveil excessivement tôt - elle ne faisait jamais les choses à moitié : aux aurores ou rien comment ça tu ne voulais pas te réveiller à six heures du mat' aujourd'hui Jo ?, le temps de traîner sa carcasse réticente jusqu'à la Grande Salle -, d'abord, parce que lorsqu'elle était en cinquième année, Julian entamait lui sa dernière année, et qu'elle avait alors voulu maximiser leur temps passé ensemble (et que son petit-ami s'avérait être une tronche de première qui passait ses journées à réviser : pas de "j'y vais au talent" pour lui, ce qui suscitait en l'occurrence, à la fois la déception et l'admiration de la blonde). Elle aurait pu se relâcher après son départ de l'école, mais sa vie avait alors basculé dans cette charmante phase que les profs qualifiaient de "dernière ligne droite". Comme si la perspective de devoir se choisir un avenir ne la stressait pas suffisamment, il fallait qu'on le lui martèle à longueur de journée. Et désormais, à l'aube des examens qui - d'après sa compréhension du sujet -, conditionneraient toute sa vie future ("Mais pas de pression Biel, l'important c'est de participer ! Non je déconne, pas d'Optimal, pas de boulot. Et bonne chance hein !"), le réveil indécemment tôt avait prolongé sa présence maudite dans sa vie.

Elle s'était donc réveillée aux aurores. Avec l'impression de mourir un peu jamais dans l'exagération. Ça devrait être interdit par la loi de se lever avant dix heures, songea-t-elle amèrement, la face appuyée contre son oreiller avec la furieuse envie d'ignorer son réveil, son avenir, sa vie. Mais elle savait aussi que si elle se plantait à son examen de Sortilèges, elle pouvait toujours courir pour son embauche à Poudlard. Chômage et vie au crochet d'Erin, voilà ce qui l'attendrait, et elle n'était pas sûre que sa meilleure amie en ait conscience - ou soit hyper partante, incidemment.

Quand elle croisa un petit première année vêtu de bleu, elle pensa qu'elle était mal réveillée - ce ne serait pas la première fois. Elle n'avait pas encore eu son premier café de la journée : celui qui conditionnait sa matinée entière. Celui qui lui donnait l'impression de pouvoir fonctionner, et qui avait un prix, certes, mais qu'elle était prête à payer les autres gens moins (celui d'une vague lueur maniaque dans les yeux et une légère fébrilité). Que les murs aient changé de couleur était plus alarmant : le manque de sommeil ne lui avait encore jamais fait cet effet-là. Elle était alors remontée dans le dortoir, légèrement chiffonnée. Elle n'avait pas le temps pour des hallucinations. Sauf que sa cravate était bleue et bronze. La faisant glisser entre ses doigts, elle l'observa plusieurs secondes avec incertitude. Elle en avait vue une similaire bien des fois au cou de son petit-ami. Est-ce que l'absence l'avait faite vriller pour de bon ?

Après avoir craint qu'un mélange de fatigue, de stress et d'anxiétés diverses liées à sa vie professionnelle et amoureuse aient eu raison de sa santé mentale, la Poufsouffle-vêtue-comme-une-Serdaigle avait quitté la salle commune, et avait débarqué dans le Hall, un air confus et ensommeillé - le mix fatal - sur le visage. Et là, la révélation. Toutes les maisons avaient changé de couleur : Dahlia Lloyd était même occupée à brandir un badge devenu jaune dans le visage de... Noé. Tempérance tourna les talons pour retourner à sa salle commune. Des révisions l'attendaient, dans le confort d'un dortoir devenu bleu - ce qui n'était pas forcément pour lui déplaire. Elle aimait les couleurs de Poufsouffle, mais elle trouvait le bleu apaisant : parfait dans son état d'esprit actuel. Elle était encore remontée contre Noé, et c'était un sentiment rare, qu'elle ne savait pas maîtriser et dont elle savait encore moins quoi faire. Car la confrontation était inenvisageable. Rien que l'idée lui enserrait le ventre de manière douloureuse.

Elle sortit de son cocon en fin de matinée. Entre temps, la nouvelle avait fait le tour de l'école : il s'agissait d'un coup de Lola Klein - une Gryffondor de sixième année aussi réputée pour ses farces que Quino l'était à Poufsouffle - et Esther Foster - à savoir la bête noire de Tempérance. Ce n'était pas qu'elle n'aimait pas Esther, c'était qu'elle la craignait. Parmi tous les gens qu'elle aurait pu faire tomber dans le Lac Noir en première année (et ils étaient nombreux), il avait fallu que ça soit la Serpentard. Depuis - et ça faisait tout de même six ans -, l'Irlandaise vivait dans la certitude qu'Esther la haïssait - ce qui, il fallait le reconnaître, lui pesait sacrément sur la conscience. Elle avait voulu s'excuser au fil des années - et elle l'avait fait abondamment lorsque ça s'était produit -, mais l'impression que lui laissait toujours la brune - celle d'être indéchiffrable et surtout, inaccessible -, l'avait empêchée de faire amende honorable comme elle l'aurait souhaité quand elles avaient été plus jeunes. Et à présent, elle avait dix-sept années au compteur : peut-être y avait-il prescription, mais surtout, Tempérance ne se voyait pas ramener l'Affaire sur le tapis maintenant.

Mais s'il y avait une chose que Tempérance savait de sa vie, c'était qu'elle était marquée de malchance systématique. Aussi, lorsqu'elle trébucha - sur ses propres pieds, on applaudit la performance - sur son chemin pour la bibliothèque, et qu'elle voulut - de manière tragicomique - se rattraper à la première prise venue sans la trouver, il fallut inévitablement qu'elle plonge tête la première dans un passage secret ouvert. La loi de Murphy rythmait sa vie : tout ce qui est susceptible d'aller mal, ira mal.

Elle avait dégringolé douloureusement une partie des escaliers. Foutue pour foutue, la dignité  comme souvent en berne, elle s'était décidée à aller jusqu'en bas. Au moins ne pourrait-elle pas tomber plus bas - et puis, elle était un peu curieuse. Elle n'était jamais passée par ce coin du château. Elle s'immobilisa à l'entrée du hangar à bateaux. D'une part, parce qu'elle ne s'était pas attendue à ça. De l'autre, parce qu'une tête familière venait de se lever vers elle. Esther Foster.

L'apostrophe de la Serpentard sembla confirmer toutes les craintes et inquiétudes entretenues pendant toutes ces années. "Elle me hait, c'est une évidence." Et le pire était à venir : il fallait confesser. Évitant consciencieusement le regard bleu de la brune, l'Irlandaise fit plusieurs pas hésitants avant de répondre avec un accent irlandais renforcé par la tension : « Je suis tombée dans le passage. » C'était un aveu qu'elle avait tant fait dans sa vie qu'il ne lui en coûtait même plus tant que ça. Elles se trouvaient juste à côté des lieux du crime : cette notion ne lui échappait nullement. Elle ne savait pas ce qui la motiva à poursuivre. Le manque de caféine, peut-être ? Car à vouloir éviter Noé, elle n'avait pas pu se ravitailler en élixir de vie, et elle s'en sentait quelque peu diminuée. « Je ne connaissais pas ce chemin. Tu viens souvent ici, toi ? Oh, tu étais en train de lire ! Désolée, je ne voulais pas te déranger. Je peux repartir. » s'empressa-t-elle de formuler, déjà prête à tourner les talons. Une offense de plus : bravo Biel.

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Parce que la vie de Tempérance n'était jamais simple, il avait fallu qu'elle tombe, d'abord littéralement dans les escaliers, puis de manière plus figurative sur une personne qui la détestait, dans un endroit reclus, un peu sombre, et un peu humide du château. Au moins n'était-ce pas Noé, supposait-elle, ce qui aurait été nettement plus gênant - sans doute aurait-elle tourné les talons. Elle jeta un regard suspicieux au lac, songeant que si Esther voulait se venger, le moment serait tout trouvé. Adepte de l'auto-flagellation, elle aurait pu accepter la philosophie de l’œil pour œil, dent pour dent en temps normal, sauf qu'elle n'était pas tout à fait habillée pour se baigner, et qu'elle n'avait pas non plus envie d'aller dans l'eau gelée - quand bien même le mois de juin avait apporté un soupçon de douceur dans la météo écossaise.

Elle ne vit pas d'intérêt à fabuler : Esther avait sans doute entendu le raffut qu'elle avait provoqué lors de sa chute, et puis, son appréhension naturelle de la Serpentard la poussait à croire qu'au fond, elle aurait détecté ses mensonges avec aisance, sarcasme et style à l'appui. Ce à quoi elle ne s'était pas attendue, c'était à ce qu'Esther fasse preuve de sollicitude belle réputation ou du moins, l'interroge sur son état. Tempérance secoua la main pour la rassurer, image de la nonchalance forcée. « Moi ? Oh oui ça va t'inquiètes. » Ce disant, elle opéra une petite vérification sur ses avant-bras endoloris - ils avaient pris l'essentiel du choc avant qu'elle ne dévale le reste -, les tapotant doucement. « Je n'ai pas dégringolé tout du long. » se défendit-elle, les joues rosissant sensiblement. « Et j'ai l'habitude de toute façon. Une vraie pro des sortilèges de soins. » conclut-elle avec son optimisme habituel, résistant au réflexe de proposer ses services à Esther si elle les nécessitait ultérieurement. La Serpentard devait déjà suffisamment la prendre pour une détraquée comme ça.

« Ah oui je vois. C'est un peu dommage de ne pas les utiliser pendant l'année, le lac est tellement vaste en plus. » Son cœur se serra en entendant la brune déclarer qu'elle avait cherché un endroit désert - c'est-à-dire, a priori, un endroit où ne se trouvait pas une Tempérance Biel sauvage occupée à se prendre des murs et des sols, ou à déblatérer sur son talent pour le soin et sa passion des barques. Apercevant le livre d'Esther, elle fut prête à battre en retraite, se répandant immédiatement en excuses. Esther était amie avec Jo' et Teddy, et elle partageait le dortoir d'Erin et de Candys : il aurait été bien plus aisé pour elle de s'entendre avec la brune - et tous ses instincts la poussaient à le vouloir, car à l'inverse elle ne vivait pas bien le fait de n'être pas aimée ou pire (l'idée lui provoquait des frissons immédiats) d'être détestée. Mais forcer les choses pouvait les empirer, et éviter une telle éventualité avait apparemment été sa stratégie au cours des sept dernières années.

Quelque chose dans les paroles de la brune lui fit hausser les sourcils, surprise. « Les événements de ce matin ? Oh tu veux dire les changements de couleur ! J'ai trouvé ça drôle moi, vous vous êtes faites enguirlander ? Je me posais une question... C'était quoi le but ? Rapprocher les maisons ? Genre, pour qu'on se mette à la place des autres... ou bien je me fais complètement des idées ? » suggéra-t-elle, avant de craindre de passer pour une idiote. Que Merlin l'aide à retrouver un semblant de normalité. Son sourire s'élargit lorsqu'Esther la complimenta, retrouvant brièvement l'expression plus solaire qui lui était caractéristique. « Oh merci ! J'aime bien le bleu. Mais je n'aurais vraiment pas ma place à Serdaigle. » Observant à son tour la tenue de la jeune fille, elle ajouta : « J'aime beaucoup ta veste ! » Elle portait rarement autant de noir, lui préférant des couleurs généralement plus pastel (la saison des robes bohème était bientôt ouverte) mais elle devait admettre que c'était un style qui convenait très bien à Esther - la rendant toujours plus impressionnante à ses yeux.

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Il ne s'agissait pas du premier rodéo de Tempérance, loin de là. Les chutes en tous genres la connaissaient - Esther en avait même fait les frais autrefois. Elle avait été gênée, mal à l'aise et humiliée par le passé, mais arrivée à sa septième année, tout ce qu'elle cherchait à faire quand on la voyait choir, c'était rassurer son entourage pour qu'il ne s'attarde pas sur sa gaffe. Elle avait mal, et comme toujours, sa dignité avait pris un sacré coup elle aussi, mais au point où elle en était, il fallait juste limiter les dégâts sur sa réputation auprès de la Serpentard. Elle opina donc du chef, sourire forcé toujours collé aux lèvres, soulagée de voir qu'Esther n'insistait pas.

Observant les barques pendant quelques secondes, Tempérance ramena finalement les yeux vers la Serpentard, qui pour l'instant, ne semblait pas la haïr de tout son être - mais Tempérance n'était pas (aussi) naïve, elle se devait de rester vigilante. « Oui c'est vrai. » accorda-t-elle aisément, toujours prête à se montrer conciliante. « Ça n'est pas si terrible que ça pourtant » ajouta-t-elle, rapport aux première années effrayés. « Mais c'est très calme. » "Mais", car contrairement à Esther, Tempérance n'appréciait pas le calme passion cacophonie. Elle aimait être entourée, toujours, tout le temps. Elle détestait se retrouver seule avec ses pensées, qui tendaient nécessairement à la rendre mélancolique, voire légèrement anxieuse. Elle ne se sentait jamais plus à l'aise que lorsqu'elle se trouvait auprès de ses amis. Raison pour laquelle elle aurait probablement déjà quitté les lieux, si Esther ne s'y était pas trouvée.

Frottant inconsciemment son avant-bras endolori, elle regarda Esther marquer la page de son livre. Après un instant d'hésitation - j'y vais, j'y vais pas ? -, elle céda à sa curiosité : « Tu lisais quoi ? Je n'ai pas bien vu la couverture. » En espérant qu'en plus de la savoir complètement empotée, Esther n'allait pas à présent la prendre pour une salle petite fouineuse. Autre élément qu'elle se garda bien d'apporter à sa camarade : la véritable raison pour laquelle elle  avait été incapable de lire le titre du livre en question, c'était qu'elle ne portait pas ses lunettes de vue honnies. Elle ne les portait même jamais, tant elle les détestait, si bien qu'elle avait passé sa scolarité au premier rang, collée au tableau, et recopiant surtout les notes d'Erin en quasi temps réel. Le summum de la praticité.  

Avec une candeur motivée par des années passées à voir le meilleur en chacun, Tempérance interrogea Esther sur les raisons de la farce. La réponse de la Serpentard eut de quoi la décontenancer : elle était à nouveau sûre et certaine qu'elle n'avait rien oublié du tout sur leur chute commune, six ans plus tôt. Une raison absurde ? Plissant brièvement les yeux, l'Irlandaise répondit avec hésitation : « Tu t'y prendrais comment alors ? » Elle haussa ensuite les épaules, sentant ses joues chauffer à l'idée qu'Esther la prenne  pour une sotte, même si elle persistait à penser que c'était une explication plausible.  « J'sais pas, pas des religieuses non, un truc de psycho un peu ? En le disant à l'oral je réalise que c'était peut-être pas le plus réaliste. » convînt-elle sans trop de difficulté, son accent irlandais renforcé par sa gêne.

Elle ne sut pas quoi faire de la remarque d'Esther concernant son ego. Outre le fait que son petit-ami avait, lui, été à Serdaigle, que devait-elle en déduire sur son propre caractère ? Esther la prenait-elle pour une chiffe molle ? Décidant de ne pas tendre le bâton pour se faire battre, elle l'interrogea plutôt sur sa veste : « Tu l'aurais modifiée ? J'ai toujours voulu essayer mais j'ai un peu peur de provoquer quelque chose d'irréversible sur mes vêtements. » Et elle n'en avait pas des milliers non plus, même si elle aimait la mode. Elle ne pouvait pas tout à fait se risquer à réduire ses stocks sans vrai dessein en tête.

De manière évidente, Tempérance ne pouvait pas partager le goût d'Esther pour le calme. Adepte de la conciliation, elle se contenta donc de hausser les sourcils d'une manière pouvant aussi bien être interprétée comme un acquiescement qu'une légère perplexité - au choix de l'interlocuteur (ou -trice, en l'occurrence !)

Initialement dans un état de tension certain - se retrouver humiliée et endolorie, seule face à une personne qu'elle soupçonnait de la haïr avait bizarrement tendance à la stresser plus qu'autre chose -, la non-hostilité présente d'Esther la poussa à s'intéresser davantage à sa camarade. L'impassibilité qu'offrait généralement au monde la Serpentard avait toujours eu tendance à impressionner Tempérance, mais c'était surtout l'incident de jeunesse ayant entremêlé leurs destins à jamais sans exagérer qui l'avait longtemps laissée interdite. Elle aimait rencontrer d'autres gens et avait toujours été curieuse d'en apprendre davantage sur la brune, mais sa faute irréparable l'en avait empêchée.

Ravie qu'Esther ne la questionne pas sur ses déficiences oculaires, Tempérance fronça ensuite les sourcils, pensive. Elle admit, presque à regret - car un point commun inattendu avec Esther aurait été fort opportun - : « Je ne l'ai pas lu, mais j'ai déjà vu le nom de l'auteur. Il est Irlandais, non ? » Puis : « C'est une biographie ? » Faisant ensuite fi de la réputation qu'avaient les Foster vis-à-vis des moldus et des Nés-Moldus (ou plutôt, l'opinion qu'ils pouvaient avoir de ces derniers), elle se prononça au sujet de Flamel : « Oui il est assez connu, je n'aurais jamais imaginé que c'était un sorcier... Ou qu'il était vraiment alchimiste. En tout cas, j'imagine qu'il le savait ? Si j'avais été à sa place, je crois que j'aurais voulu savoir tout ce qu'on disait de moi, ça devait être plutôt drôle pour lui, non ? » Découvrir sur quels points les moldus se fourvoyaient lourdement et - plus intéressant -, ceux sur lesquels ils voyaient juste. Elle leva la main. « Oh, pas de problème t'inquiètes ! » Surtout qu'elle n'aurait jamais l'idée d'interrompre quelqu'un en pleine tirade.

Tempérance fut déstabilisée par la réaction d'Esther à sa question sur la farce. Aïe aïe aïe, elle venait de perdre des dizaines de points : elle le sentait ! Cherchant pourtant à garder la face, elle réorienta la conversation. Puisqu'Esther n'aurait pas fait comme ça, comment aurait-elle rapproché les maisons ? « Pas mal, c'est vrai... J'imagine que MS a un peu eu cet effet-là en soi. La BAM regroupe des élèves de toutes les maisons après tout. » raisonna-t-elle en haussant les épaules.

« Hmm, j'sais pas, voir comment réagissent les élèves ? L'impact de la maison sur le comportement, ou quelque chose dans ce goût-là. Est-ce que le fait d'être à Gryffondor pour une journée pousse les gens à se montrer plus imprudents ou impulsifs que d'habitude. Comme une sorte d'effet placebo. » suggéra-t-elle sans trop savoir dans quoi elle s'engouffrait avec son raisonnement. Ce qui était certain, c'était qu'avoir une cravate bleu et bronze ne lui donnait pas l'impression d'être plus savante que d'habitude. Et ça ne l'avait certainement pas rendue moins maladroite.

Elle écouta Esther avec intérêt alors que cette dernière lui parlait de ses vêtements. Elle n'aurait jamais imaginé que sa camarade s'intéresse autant à la mode, ou soit même adepte de vêtements de seconde main. Comme quoi, il ne fallait jamais se fier aux apparences. « Sortilège de chaleur, c'est une bonne idée ça ! J'essayerai je pense, faire du neuf avec du vieux, ça peut être chouette. » Et ça lui donnerait l'impression d'avoir renouvelé sa garde-robe à prix réduit, ce qui était clairement un atout !

Spoiler:

Se raccrocher à son Irlande natale était un réflexe humain, mais qui ne lui fit pas utile dans cette situation. Et même si Esther avait répondu par l'affirmative, elle ne savait pas bien ce qu'elle aurait fait de cette information, finalement. "Ah, moi aussi ?" Ça leur aurait fait une belle jambe, à toutes les deux. D'autant plus que la Serpentard n'avait visiblement pas besoin de ça pour alimenter la conversation - contre toute attente. Car Esther ne la détestait-elle pas ? N'aurait-elle pas dû lui infliger la loi du silence ? Voire pire : la pousser dans le Lac Noir, maintenant qu'elle avait l'occasion idéale pour prendre sa revanche ? Quoi qu'elle n’aurait pas réellement eu besoin d'attendre tout ce temps : Tempérance glissait à proximité du Lac bien assez souvent, pour que la vengeance ait pu être exécutée nettement plus tôt que cela. Une pichenette un jour de grand vent aurait suffi.

Acceptant cependant qu'elle était bel et bien en train de discuter de manière civilisée avec Esther Foster (nom complet même dans sa tête, par respect), Tempérance était presque naturelle au contact de la Serpentard. Acquiesçant avec intérêt aux explications de la brune, elle répondit en souriant timidement : « Ah oui d'accord. C'est bon à savoir en tout cas, je retiens ça comme future option de lecture ! »

Elle secoua ensuite la tête : « Je voulais dire, avant de découvrir le monde sorcier. Mais depuis j'ai appris tout ça oui ! » rectifia-t-elle, soucieuse de ne pas passer pour une ignorante auprès d'Esther. « Non, pas vraiment. La vie perd de son intérêt s'il n'y a pas de fin, non ? Ou en valeur, plutôt. » Elle prit le temps de réfléchir quelques secondes pas trop non plus il ne faudrait pas se faire mal ! Si son père avait été immortel, alors il serait encore là, et elle ne se serait pas retrouvée exposée à l'influence néfaste de L'Autre. Mais pour autant, elle était en phase avec Esther : l'infini ne l'attirait pas du tout. Ce serait trop. Et puis, la Terre était déjà surpeuplée en l'état. « Elle permet d'obtenir de l'or aisément aussi, non ? Peut-être qu'il la voulait pour des raisons financières, initialement ? » suggéra-t-elle avec incertitude, car ce n'était pas comme si elle connaissait personnellement Nicolas Flamel. Elle aurait été bien en peine de deviner les motivations de ses actes ! « J'imagine aussi. » convînt-elle enfin pour clore le sujet alchimie.

Sentant que sa camarade ne souhaitait pas s'appesantir sur la BAM ou sur MS, Tempérance se garda bien d'insister sur le sujet. Les choses se passaient étonnamment bien jusqu'à maintenant, ça n'était pas pour tout gâcher en balançant un mot de travers ! Si elle était très maladroite physiquement, elle ne l'était généralement pas avec les mots, tant elle était focalisée pour ne pas brusquer ou froisser ses interlocuteurs. Pas question de perdre la main bêtement.

« Pas vraiment, mais techniquement, le placebo ne peut pas fonctionner si je suis au courant de tout. Si je repense à ce matin, avant d'avoir réalisé ce qui se passait vraiment... Ouais nan, je ne pense pas que ça m'ait affectée d'une quelconque manière. » Si ce n'est que le bleu lui allait bien - Esther le lui avait dit, et Tempérance était plutôt d'accord. Le bleu allait bien aux blondes de manière générale, mais c'était une constatation purement superficielle, et qui n'appuyait pas du tout sa théorie précédente - pas d'intérêt, donc.

Malheureusement pour elle, Tempérance avait un peu trop baissé sa garde, si bien que lorsqu'Esther se leva sans prévenir, un air sérieux sur le visage, l'Irlandaise n'avait aucune barrière mentale prête pour se défendre ou se protéger. Pas d'excuse toute faite, pas d'explication autre que parfaitement humiliante. Détournant les yeux, elle se racla la gorge, lâchant un bref « Ah » qui manquait cruellement d'éloquence. La honte, la honte, la honte. « C'est qu'en fait, je pensais que tu me détestais. » dit-elle avant d'avoir le temps de se débiner - d'essayer de fuir en courant et probablement, de s'ouvrir le crâne dans les escaliers. « Tu sais à cause de l'incident du Lac, en première année. Je pensais que tu m'en voulais pour ça - ce que je comprends, en soi, parce que c'était vraiment très maladroit de ma part, mais je te garantis que c'était involontaire, et j'ai toujours voulu m'excuser pour ce qui s'était passé, mais au début j'étais trop mal à l'aise et puis ensuite ça paraissait juste trop tard... » enchaîna-t-elle très rapidement, et sans crier gare, histoire d'avoir le temps de déballer tout son sac. Sept ans de culpabilité qui ressortaient d'un seul coup : ça n'était pas très beau à voir. Arrivée à la fin de son piteux monologue, elle leva un regard incertain vers Esther. « Avec beaucoup de retard, je suis désolée Esther. »