Il entendait la voix d'Apophis comme un ronronnement langoureux, dans cette position, les arrondissements de sa langue résonnant jusqu'à l'intérieur de son esprit. Contorsionné entre le lavabo décidément aussi humide qu'inconfortable et le corps lourd d'Apophis, Aaron avait les yeux bien ouverts, écarquillés même, et fixés droit devant lui sur un point imaginaire. Il ne savait pas comment réagir à ça, il n'avait pas envie de le repousser ni de le sentir plus longtemps contre lui; il n'avait pas envie de le voir repartir mais ne pouvait plus supporter sa présence près de lui...
C'était quelque chose qu'il avait toujours envié à Apophis, secrètement, cette confiance en soi absolue, celle que lui-même imaginait avoir en se donnant des airs. Le blond savait très bien qui il était et ce qu'il valait, ce qu'il lui faudrait toujours faire pour atteindre ses buts, et il savait - oh, dieux, oui, il savait! - combien il était fort, et combien il vaincrait éternellement contre lui... Aaron, lui, même lorsque jeune, il se disait que le Monde lui appartenait, avait toujours douté, douté de tout, de tout le monde, de lui avant tout. Ca ne s'était pas arrangé avec l'âge, et il se sentait - intérieurement bien entendu, sans même se l'avouer à mi-voix - particulièrement... Petit.
Les paroles d'Apophis le firent déglutir, mais on aurait pourtant dit qu'il ne les comprenait pas, qu'il ne les entendait pas. Il donnait l'air d'être à des lieux de là, bien loin de toutes ses sordides pensées. Ce n'était qu'une façade, car Aaron écoutait, écoutait, emmagasinait, enregistrait; et l'alcool, de tout cela, faisait un mélange détonnant constitué surtout d'une peur et d'un malaise grandissant.
Alors qu'Apophis le serrait toujours plus contre lui, saisissant sa taille et agrippant ses vêtements, Aaron sentait sa tête s'alourdir plus sûrement encore que sa langue. Ils étaient semblables... Sans doute... Oh, non, finalement. Il valait mieux qu'Apophis! Il n'avait jamais voulu devenir Mangemort, lui! Et qui était-il, n'est-ce, pour décréter de quelqu'un qu'il valait mieux...
Aaron sourit lorsqu'il entendit de la bouche de ce grand dadais qu'il marchait seul, les épaules ployant constamment des trop grandes responsabilités d'une famille. Ce n'était pas drôle, pourtant, mais il eut un léger rire, fin et lent, tout contre les oreilles d'Apophis qui avait l'air de se délecter de la situation. Pendant un instant, Aaron s'était demandé ce qu'il se passerait si un homme rentrait dans les toilettes... Ou pire, Amanda et Nina, venues les chercher pour le ô combien fameux Champagne!
Et les soupirs d'Apophis finirent par s'estomper sur des mots un peu plus durs, un peu plus cinglants. Aaron ne riait plus, bien évidemment, mais son regard était tourné sur le côté, comme s'il avait voulu regarder Apophis droit dans les yeux. Le battre... L'humilier... Prouver à tous à quel point Apophis Sykes valait mieux qu'Aaron Millers, ce déchet, cet alcoolo incapable de se remettre sur pieds, cet Auror bouseux sorti de sa cambrousse écossaise et qui emmerdait le monde plutôt que de l'aider... Un vieux réflexe, un tic, son instinct peut-être, lui disait de réagir, de le frapper peut-être, de lui rire au nez! De démentir toutes ces bouffonneries! De lui prouver, à la fin, qui il était! M*rde, simplement de se défendre, de montrer qu'on pouvait le trouver à force de le chercher...!
Et pourtant, ce fut le calme plat. Sa bouche s'arrondit légèrement, forme d'étonnement, sans doute, mais ce fut tout. Les paupières ridées se laissèrent retomber comme un rideau final sur une scène brumeuse, et il s'avachit un peu plus sans rien démentir. Qu'avait-il à dire? Qu'avait-il à ajouter pour sa défense, ô brigadier du Diable...? Apophis avait résumé tout ce qu'il y avait à savoir, et Aaron n'avait pas envie, n'avait plus envie de se battre, de jouer, de concourir en sachant pertinemment que seule la défaite l'attendait et qu'il récolterait, au lieu des lauriers parfumés, un grand coup dans la gueul*...
Et Apophis se tut complètement, ou plutôt finit de parler et se mit à rire en vantant sa chaleur... Sans doute la sienne, plutôt, lui avait toujours l'impression d'être glacé de l'intérieur... Umpf...
Il y eut un instant de silence, d'immobilité, un instant de rien du tout où Aaron rouvrit à peine les yeux. Et puis soudain, ses gros bras déposés amèrement sur le nacre du lavabo se hissèrent jusqu'aux épaules d'Apophis qu'ils enlacèrent... Etreinte ou débâcle, peut-être les deux...? Aaron serra contre lui Apophis, geste amical, oui, amical! Comme s'ils s'étaient simplement quitté hier à Poudlard et que les gringalets méchants de leur jeunesse étaient revenus par simple envie, l'envie de se revoir, de se parler!
- " Apophis, Apophis, Apophis..." susurra-il, la tête penchée contre son épaule. "Tu m'as manqué vraiment..."
Il se sépara de lui, assez brusquement, comme si finalement la raison lui était revenue et qu'il se souvenait ne pas avoir envie de faire un petit câlin à son vieux camarade. Un masque vaguement amusé trônait sur ses traits, et puis il soupira, longtemps, en se détournant complètement pour arpenter la pièce, raide et droit.
- " Mais je suis vraiment désolé... J'ai passé l'âge de jouer avec toi. J'en ai marre de ces conneries... J'ai d'autres priorités maintenant, mon gros... Oh pardon, c'est vrai que t'as un peu maigri... Hummm, enfin un peu..."
Il s'était soudainement arrêté, tourné vers le blond comme un acteur marquant la pause de sa tirade. Son regard se fit accusateur, et il jaugea, de haut en bas, la grande masse d'Apophis d'une façon un peu sceptique. Puis il haussa les épaules en faisant la moue, reprenant:
- " Bref... D'autres priorités, donc. J'ai plus le temps, et j'te jure, hein, ça me fait plaisir de te revoir, sans déc'... Mais là, non, ton plan de retrouvailles heu... Ben tu peux te le mettre où je pense!" - il claqua les bras le long de son corps dans un geste d'évidence, sa moue toujours présente sur son visage émacié par un rire - "Et puis bon, si t'as envie que je joue avec toi, faudra d'abord éviter de crier ta victoire à l'avance..."
Il était nettement plus froid, cette fois, et ses yeux se firent encore plus perçants. Apophis jouait trop avec le feu, et sa confiance démesurée ne lui faisait en ce jour plus du tout envie. Il le dégoûtait un peu... Mais si Aaron avait encore regardé les miroirs derrière lui, il aurait compris ce qu'Apophis lui disait tout-à-l'heure, il était semblables, et Aaron était dégoûté, finalement, par lui-même.
Mais en fait, s'il ne voulait pas suivre le jeu d'Apophis... Est-ce que ce n'était pas par peur...? Evidemment, si. La peur de perdre avant tout, car il savait, aussi sûrement qu'Apophis savait qui il était, qu'il allait perdre. Il n'avait aucune chance dans le jeu de la vie face à un aussi chanceux concurrent. Lui-même avait déjà du retourner case départ sans toucher les vingt mille... de très nombreuses fois.
Stabilisé en plein milieu de la salle puante, Aaron fourra les mains dans ses poches, l'évidence de sa réflexion lui crevant les yeux, l'esprit, le coeur. Il était petit, il était faible, il était vaincu... Mais il était toujours là, toujours vivant, et Apophis, lui, était pratiquement mort, tué par les Détraqueurs, tué par l'arrogance, tué par son milieu social... Qui était le plus chanceux alors? Qui était le vainqueur de leur combat à mort?
- " Ohhh, et puis merde. Ok, j'accepte Apophis. Je vais te mettre ta p*tain de bra*lée, d'accord? Tu vas voir que tu m'as encore jugé trop vite... Tu vas voir à quel point on a tous les deux changé... A quel point on est... Différents.... Héhéhéhé... Tu vas voir qui va gagner, Apophis, tu vas voir comme je vais te battre, à quel point je... Héhé, à quel point je "marche seul"... J'suis sûr de gagner, espèce de blanc-bec, de sale friqué, de pauvre radasse blonde! Et tu sais pourquoi?"
Hilare, penché en avant, Aaron ajouta, plus bas, voulant vraiment qu'Apophis, cette fois, réagisse directement:
- " Parce que j'ai toujours valu beaucoup plus que toi quand t'étais un Sang-Pur à Poudlard et moi le Sang-Mêlé... Parce que je vais te dire, Apophis... Maintenant, t'es comme moi... Et p*tain, tu peux pas savoir comment ça me fait marrer!"
(Fin, j'crois bien ^^)