[Chaudron Baveur] Rien qu'un petit verre [PV Emma]

Le verre qu’il avait à la main n’était pas réellement le premier de la soirée. Ni le second. Ni le troisième, d’ailleurs. Avec tout ce qu’il avait bu, Nicolas n’était même plus sûr de savoir comment compter, et ne parvenait pas à se rappeler pourquoi la brune qui était juste en face de lui le déshabillait du regard. Juste par précautions, il regarda son torse pour vérifier que ses vêtements étaient bien là, et se renversa du Whisky-pur-feu sur sa chemise. La bonne nouvelle, c’était qu’il n’avait pas encore fait de strip-tease à cause de tout l’alcool qu’il avait ingurgité. La mauvaise, c’était qu’il était maintenant taché comme un gosse qui ne savait pas boire.
Etouffant un juron et posant son verre sur le bar, Nico lança un sort pour sécher ses vêtements trempés, et entendit la jolie brune glousser. Il leva un sourcil et la regarda de nouveau, mais ne parvint pas à se souvenir s’il la connaissait ou non. Ou même s’il avait passé un bout de la soirée avec elle, d’ailleurs.
Cependant, il n’en avait pas grand-chose à faire. Il n’y avait qu’une poignée de filles qui importaient à Nicolas, et celle-ci n’en faisait pas partie. Il était tout de même capable de savoir s’il était assez bourré ou non pour reconnaître ses amis, tout de même. Enfin pas vraiment, mais lorsqu’il était par terre en train de faire l’étoile de mer, il en déduisait généralement que, éventuellement, c’était le verre en trop.

Laissant de côté la brune qui, visiblement, n’était ni sa précieuse Hainoa –grands dieux, il n’aurait jamais osé boire ne serai-ce qu’un verre en sa présence !-, ni son adorable bizuth qu’il attendait, Nicolas commanda un nouveau verre après avoir déterré du fin fond de ses poches quelques mornilles. Il avait pris assez d’argent sur lui pour boire jusqu’à plus soif, et pour payer tout ce que sa fillote voudrait, mais en général, pour une raison qui lui échappait mystérieusement, il finissait toujours par manquer de monnaie. Comme si les pièces se volatilisaient au fur et à mesure que ses verres se vidaient. Phénomène vraiment étrange.
Nicolas haussa les épaules et bu son verre d’une traite. Il était encore lucide, grâce à sa constitution qui lui permettait de relativement bien tenir à l’alcool, mais il était déjà bientôt 23h. Dans environ 4h –plus, les bons jours-, il serait en train de se rouler sur le sol du bar et de glousser en appelant Haven à la rescousse. Pour le moment cependant, il pouvait accueillir Emma et prendre de ses nouvelles, sans avoir à lui vomir dessus pas encore, en tout cas. Si celle-ci se décidait un jour à pointer le bout de son nez.

Epuisé par sa journée, Nicolas posa un coude sur la table, et mordilla le bout de son parasol en papier d’un air pensif. Cela faisait quelques temps déjà qu’il n’avait pas vue Emma, qui avait réussi à passer le cap de son atroce première année de médicomagie pour intégrer le clan très restreint des futures épaves des bars. Il se souvenait encore du jour où elle avait fait ses premiers pas dans l’école. Elle était à Serdaigle à Poudlard, et pourtant, il ne lui avait jamais adressé la parole ; à l’époque, il était tellement obnubilé par Hainoa et traumatisé des Aigles à cause de Solstice-Cabaret-la-naturiste-métamorphomage qu’il ne l’avait pas remarquée. Pourtant, lorsqu’il avait appris qu’elle serait sa fillote, il en avait presque eu la larme à l’œil. Très rapidement, le taciturne-et-coincé-Nicolas-qui-devenait-un-véritable-bout-en-train-après-quelques-grammes-dans-le-sang s’était peu à peu adouci face au caractère quelque peu atypique de sa cadette, et la relation parrain-fillote s’était naturellement installée. Nicolas prenait son rôle de parrain très au sérieux, et même si c’était Erwan-au-nom-imprononçable qui avait écopé du rôle de mentor, il n’empêchait pas qu’il la considérait comme son petit oisillon.

A présent, Nicolas avait quitté l’école de Médicomagie depuis un peu plus d’un an, et exerçait ses fonctions de médicauror au sein du Ministère, en assistant les aurors dans leurs missions. Un travail un peu moins intéressant depuis la disparition de Celui-qui-a-un-surnom-trop-long-bordel-de-mârde. Cependant, des évènements perturbants se produisaient depuis quelques temps déjà, et le dernier en liste avait été cet étrange ouragan noir qui s’était formé en plein milieu de Poudlard et avait balayé une partie des serres. Nicolas avait été chargé avec son équipe –enfin, c’était plutôt l’équipe à laquelle il appartenait en tant que sous-fifre, mais qu’importe, ce titre lui donnait l’impression d’être le chef d’une joyeuse petite bande de débauchés- d’enquêter sur le phénomène. Une tâche pas si simple lorsqu’on n’avait aucun indice, et que les seules pistes laissées étaient une ribambelle de gamins de Poudlard tellement traumatisés qu’à côté, même Trelawney paraissait plus saine d’esprit. Soupirant de nouveau, Nicolas commanda un nouveau verre et eut un petit sourire en se rendant compte qu’il avait eu un parasol en papier d’une autre couleur mon pauvre, demain je sens venir la grosse gueule de bois.

Il s’apprêtait à faire un nouveau cul sec lorsque la porte du bar s’ouvrit dans un tintement joyeux. Le sourire de Nicolas s’agrandit lorsqu’il reconnut Emma Dieu merci, il en était encore capable. Avec un petit geste de la main, il l’interpella –sous le regard déçu de la brune qui l’avait observé pendant cinq bonnes minutes en train de mâchouiller son parasol- et lui fit signe de prendre place près de lui en tapotant sur le siège voisin.

« Eh ben qui voilà ! J’ai eu le temps de vider la moitié du bar en t’attendant. Il reste l’autre moitié, mais tu vas me donner un coup de main. Tu veux quoi ? C’est moi qui offre. » beugla-t-il l’interpella-t-il en sortant de sa poche quelques mornilles supplémentaires.

Après tout, c’était lui le parrain. Hors de question qu’il ne laisse sa bizuth payer ne serai-ce qu’un seul verre. Il avait un code moral, tout de même !

Rien qu'un petit verre
Nicolas & Emma

© Belzébuth

Emma n'avait pas passé une bonne journée la vraie question était de savoir quand est-ce qu'elle passait de bonnes journées. Elle était déjà d'humeur relativement orageuse depuis qu'elle ne voyait plus Jenson, mais si en plus un gamin se débrouillait pour lui vomir dessus à quelques minutes seulement de la fin de son service, elle passait carrément au mode Emma-pas-contente-passez-votre-chemin-si-vous-tenez-à-votre-vie. C'était par ailleurs l'état dans lequel elle était la majorité de sa cinquième année à Poudlard, lorsqu'elle était préfète. Cette disposition n'était pas bien difficile à identifier: quelques signes permettaient de mettre le chasseur d'Emma sauvages sur la bonne voie. Les marmonnements intempestifs en étaient généralement le premier signe - une habitude sans doute prise à force de côtoyer la vieille harpie édentée Madame Pince à Poudlard -, mais la phase dangereuse n'était réellement atteinte que lorsque le spécimen vous adressait un Regard Assassin avec majuscules sinon ça n'a pas la même saveur et/ou grognait à votre passage Emma est un rottweiler en fait.

Elle soupira une fois ses vêtements changés il parait que sentir le vomi est plutôt déconseillé pour une bonne intégration en société, et resta assise quelques instants, perdue dans ses pensées. La vérité, c'était qu'il était bien plus aisé de devenir limite psychotique à cause de petits désagréments - auxquels elle avait largement eu le temps de s'habituer, cela faisait plus d'un an qu'elle travaillait/étudiait à Sainte-Mangouste à présent - que de penser à tout le reste. Travailler à l'hôpital était loin d'être aisé. Et ce n'était pas comme si elle ne s'y était pas préparée, mais honnêtement... Rien n'aurait pu la préparer à ça. Elle était confrontée à des situations qu'elle n'aurait même pas eues à imaginer si elle avait choisi n'importe quelle carrière plutôt que celle-là. Elle se retrouvait face à face avec des gens dans des situations affreusement similaires à celle dans laquelle son père avait été, chaque jour. Et c'était ce qu'elle avait choisi, personne ne l'y avait forcée. Elle savait qu'être prise dans le programme de formation des médicomages de Sainte-Mangouste était un honneur, et elle avait la chance de faire ce qu'elle aimait, mais à la fin de certaines journées, elle était incroyablement soulagée de pouvoir quitter l'hôpital et tout ce qu'il abritait, et retourner chez elle.

Dans ce contexte compliqué, avoir mis fin à... quelle que soit la 'relation' qu'elle avait eue avec Jenson n'aidait pas franchement. Mais le fait était qu'ils ne sortaient pas ensemble. Il était son... son Jenson, faute d'un meilleur titre. Et désormais il n'était plus rien du tout, puisqu'ils ne s'étaient pas revus depuis la catastrophe / chute du mont Everest / tentative de meurtre dispute qu'ils avaient eue il y a quelques temps déjà. Entendre Mary lui répéter qu'elle était stupide et que Jenson l'était tout autant, et qu'ils étaient surtout deux imbéciles ayant réussi à gâcher l’œuvre de toute une vie - ses manigances de Cupidon improvisé avaient requis pas moins de trois plans: A, B, et C - était vite devenu lassant. Plutôt que de s'apitoyer sur son sort ou déprimer, Emma avait pris le parti de s'investir davantage dans son boulot. Depuis la mort de son père, elle s'était réfugiée derrière un mur d'indifférence qui la protégeait de tout évènement contrariant. Sa dispute avec Jenson avait été la première fois depuis des mois que le fragile équilibre qu'elle avait instauré en elle avait failli être brisé. Et elle n'était pas prête de laisser cela se reproduire.

C'est au milieu de tout ça que son parrain depuis qu'elle avait commencé la formation de médicomage, Nicolas Caremis décidément ce prénom est très populaire de nos jours l'avait contactée pour lui proposer de prendre un verre tous les deux Nicolas petit chenapan, t'essayes de la saouler c'est ça hein ? La brune avait accepté avec grand plaisir à condition qu'il paye. Certes, c'était Erwan Sndl-machin. Bref, vous-savez-qui. qui s'était occupé de sa formation, et à qui elle se référait en cas de souci, mais Nicolas était son parrain. Comprendre que c'est avec lui qu'elle se bourre la gueule. Leur écart d'âge était moindre, et il avait été dans sa situation plus récemment car Erwan est un vieux croûton. Il l'avait vraiment aidée à trouver sa place lorsqu'elle était arrivée à l'hôpital.

S'extirpant de ses pensées, l'ancienne Serdaigle jeta un coup d’œil à sa montre pour s'apercevoir qu'elle était loin d'être en avance. Il était plus de 23h. Nicolas a sûrement déjà fini tout le stock, c'est plus la peine d'y aller. Se redressant vivement, elle s'empressa de prendre la direction de la sortie. Elle préférait transplaner plutôt que d'utiliser le système de cheminées de l'hôpital. Elle avait encore un minimum de crédibilité auprès de Nicolas *kof kof*, elle préférait ne pas tout perdre en une seule soirée parce qu'elle avait atterri les fesses les premières sur le sol du pub et s'était mise à jurer comme un charretier sous le coup de la douleur et de l'humiliation. Oui, elle est saine d'esprit, pourquoi ? Une fois apparue dans une rue adjacente à Charing Cross, elle rejoignit la foule, et arriva en quelques enjambées devant le pub le plus célèbre du monde sorcier anglais. Elle poussa la porte et eut le temps de faire quelques pas avant de repérer Nicolas, occupé à faire atterrir un avion lui faire signe.

« Oula, tu m'as effectivement l'air un brin... éméché. Pour ne pas dire que t'es complètement torché. » remarqua-t-elle en prenant place à côté du garçon, un sourire aux lèvres. Elle allait pouvoir lui voler son portefeuille sans qu'il ne se rende compte de rien. « Désolée du retard, problèmes de régurgitation - pas moi, un patient -, tu sais ce que c'est ! » Une fois la phrase prononcée, il était malheureusement trop tard pour revenir sur ses propos. Charmante entrée en matière. Il n'y avait plus qu'à espérer que Nico était suffisamment joyeux pour ne pas lui en tenir rigueur. « Je vais prendre un Whisky Pur-Feu ! » annonça-t-elle au barman après qu'il ait été hélé par le jeune homme. Pas de raison pour qu'il n'y ait que lui qui s'amuse ! Elle avait bien envie de laisser ses tracas de côté grâce aux effets envoûtants de l'alcool, elle aussi. « Je te tiendrai les cheveux si tu vomis, comme d'hab'. » promit-elle solennellement, tout en réalisant qu'elle abordait le sujet pour la deuxième fois en moins de dix minutes. Déformation professionnelle.

Le jeune Médicomage eut un petit sourire lorsque sa bizuth le salua de façon plutôt atypique en préférant s’attarder sur son état sur l’échelle du saoulard, plutôt qu’en lui disant un bête « salut ». Pour le moment, elle semblait l’estimer à « un brin éméché », ce qui était déjà bien en dessous de « plutôt bien bourré », « complètement torché » et « se noie dans son vomi ». A comprendre par-là que son état n’était pas encore trop inquiétant pour le moment. Le brun secoua tout de même la tête de gauche à droite, en renversant au passage un peu de Whisky-pur-feu sur le comptoir, ce qui lui valut un regard noir de la part du barman, occupé à dévisser une bouteille d’alcool avec un peu trop d’entrain pour que ça ne soit pas perçu comme une menace.

« Quoi ? Moi ? Noooon pas du tout, j’ai réussi à lancer un Recurvite sans mettre feu à ma chemise. Je suis encore totalement sobre. » se défendit-il en levant les sourcils, comme pour accentuer son côté innocent. promis, j’ai pas encore bu tout le bar, je t’en ai laissé, voyons

La jeune fille s’excusa ensuite rapidement pour son retard, et Nicolas grogna lorsqu’elle parla des problèmes peu ragoutants de son dernier patient. Les régurgitations de dernières minutes, il connaissait plutôt bien pour être passé par là lorsqu’il était encore apprenti. Ce n’était jamais une partie de plaisir, et même s’il était aisé de tout nettoyer avec un Recurvite, l’odeur et le côté immonde de la chose avait de quoi vous gâcher le reste de la soirée. Comme si les patients faisaient exprès de tout leur dégobiller dessus en guise d’au revoir, pour tenter de laisser une petite empreinte en guise de remerciement pour tous les bons soins prodigués. Au bout d’un moment, Nicolas en avait tellement eu assez de devoir quitter le boulot avec sa blouse dévastée, qu’il finissait par lancer ses Recurvite à même la bouche du patient. Maigre consolation que de les voir s’étouffer avec des bulles de savon plein le gosier, mais au moins, ça lui permettait de soulager quelque peu ses humeurs massacrantes Nicolas, gros psychopathe. Il vida une nouvelle fois sa choppe de Whisky-pur-feu, et reporta son attention sur Emma, en tirant la grimace.

« Chouette soirée en perspective. » résuma-t-il en parlant du fait de se faire vomir dessus par un patient.

Il avait l’esprit un peu trop embrouillé par l’alcool pour se demander si le ‘tu sais ce que c’est’ d’Emma s’adressait à son ancien statut d’apprenti Médicomage à Ste Mangouste, ou si c’était simplement parce qu’il passait toutes ses fins de soirées à régurgiter tout l’alcool qu’il avait absorbé. Il n’eut même pas le temps de se le demander, d’ailleurs, puisqu’Emma interpella le barman pour commander un Whisky-pur-feu. Nicolas en eut presque la larme à l’œil, tellement il l’avait bien éduquée.

« Ça c’est ma fifi ! » déclara-t-il avec fierté, en ébouriffant les cheveux de la jeune fille. « Un autre verre pour moi, steûplait. » ajouta-t-il en glissant quelques Mornilles supplémentaires sur le comptoir.

Il se sentait encore parfaitement en forme, malgré toutes les choppes qu’il avait pu vider, et passa ses bras derrière sa nuque en attendant la prochaine. Emma lui lança une petite pique en lui promettant de lui tenir les cheveux si jamais il avait envie de vomir. Chose plutôt drôle, puisque ses cheveux étaient assez courts pour ne pas le gêner s’il avait à plonger la tête dans la cuvette des toilettes. Ce qui n’était pas le cas de l’ancienne Serdaigle.

« Eh ! » protesta-t-il en se redressant et en montrant ses cheveux bien coiffés. « Je suis parti chez le coiffeur aujourd’hui, ils me gêneront pas, cette fois ! » se vanta-t-il en prenant un air fier. « Par contre les tiens… j’espère que je serai encore en mesure de reconnaître des cheveux quand tu voudras passer par la case de purification. »

Il ne voulait pas dire par là qu’Emma tenait mieux l’alcool que lui, encore que les fins de soirées avaient toujours été trop floues pour qu’il se souvienne de quoi que ce soit. Néanmoins, il avait déjà enquillé plusieurs verres avant qu’elle n’arrive, et serait certainement mort avant qu’elle ne le soit. Il était fort à parier que Nicolas serait en train de nager nu comme un ver sur le plancher du Chaudron Baveur avant qu’Emma ne soit trop saoule pour l’oublier. Par précaution cependant, il lui jeta un petit emballage carré aux couleurs criardes.

« Tiens d’ailleurs, pastille de gerbe de chez les Weasley. Juste au cas où t’aurais du mal. Vaut mieux que ça sorte, parce que sinon, je te dis pas la gueule de bois demain matin… Je ne sais même pas si tu seras de service ou non. »

Parce que c’était bien connu, les Médicomages travaillaient même le dimanche. Et encore plus les apprentis, d’ailleurs exploitation, moi je dis. Les pastilles de gerbes avaient été un fantastique cadeau d’Haven, qui lui étaient venues en aide plus d’une fois. Comme ça, il pouvait se relever d’une beuverie sans avoir trop de séquelles, et se rendre à ses interros en marchant plus ou moins droit.  Laissant de côté ses glorieux souvenirs du temps où il était encore étudiant, Nicolas attrapa la chope que le barman déposa devant lui, et bu une gorgée.

« Comment ça se passe d’ailleurs, l’apprentissage ? Ton tuteur c’est bien Snel…truc ? » -plutôt impossible de se souvenir du nom de famille de ce pauvre Erwan, surtout lorsqu’on en était pas à son premier verre de Whisky-pur-feu- « Tu arrives à prononcer son nom de famille ? Je te paye une assiette de tapas si t’arrives à le dire 10 fois sans bafouiller. » la mis-t-il au défi en rigolant.

Il était sûr et certain qu’elle n’y parviendrait même pas une seule fois, mais c’était toujours drôle de lui lancer des missions impossibles. Ceci dit, il avait plutôt faim, et commanderait l’assiette de tapas dans tous les cas. Juste histoire de se donner bonne conscience et de se dire qu’il n’avait pas fait que boire. Il se voyait déjà raconter sa soirée à son meilleur ami, le lendemain « Nan mais j’te jure Haven, on a mangé des tapas, ils étaient extras ! Quoi ? Boire ? Meuh non, pour qui tu me prends ?! Quoi ? Pourquoi j’ai un débardeur de fille à la place de ma chemise ? Heuuuu… »
Il fouilla cependant discrètement dans sa poche pour s’assurer qu’il avait bien assez d’argent, et en fut rassuré ; il avait encore de quoi tenir une bonne quinzaine de choppes chacun. Ce qui serait certainement suffisant ! Enfin… il l’espérait.

Lorsqu'elle atteignit le Chaudron Baveur et retrouva finalement son parrain, Emma ne s'encombra pas de salutations somme toute banales. Dire "bonsoir", c'était pour les gens qu'on ne connaissait pas. Évaluer la position de Nico sur l'échelle de la beuverie semblait bien plus approprié et personnel. Elle nota vaguement qu'une brune inconnue au bataillon la fusillait du regard alors qu'elle prenait place, et se demanda en quoi elle avait bien pu lui causer du tort. Maintenant qu'elle y réfléchissait, elle ressemblait un peu à la fille intoxiquée au Doxycide à qui elle avait conseillé une cure la semaine précédente. Eh, elle ne faisait que son devoir. « Toxico. » marmonna-t-elle avec mécontentement avant de ramener le regard vers Nicolas. La petite démonstration d'adresse qu'il lui offrit pour appuyer ses dires la fit arquer un sourcil peu convaincu. Elle offrit de plates excuses au barman, qui, fort heureusement, ne semblait pas encore prêt à botter les fesses de son parrain. Alala, il avait de la chance qu'elle soit là pour assurer ses arrières tant qu'elle était encore sobre elle aussi. « Mais oui, mais oui. » acquiesça-t-elle du ton qu'on prend pour s'adresser à un enfant en bas âge, tapotant la tête de son aîné avec un mélange d'attendrissement et de commisération. Elle examina malgré tout son visage d'un regard rapide, s'assurant que faute de chemise, il n'avait pas cramé ses sourcils cette fois-ci.

Pourtant encore en pleine possession de ses moyens contrairement à d'autres, Emma enchaîna en parlant de son dernier quart d'heure de garde et des projections qu'elle avait subies. Ce n'était pas le sujet qu'on choisissait ordinairement pour lancer une conversation. Mais après tout, la jeune Anglaise n'avait jamais été tout à fait ordinaire. Elle ne savait même pas pourquoi elle continuait à essayer de feindre le contraire. Plus elle se mettait la pression, plus elle multipliait les réactions rocambolesques (coups de coude dans le visage lors d'un geste du bras mal calibré, nappes renversées, évocations de sujets à éviter tournant généralement autour du macabre "Et toi si tu devais tuer quelqu'un, comment te débarrasserais-tu du corps ? Où tu vas ? Mais non je ne vais pas t'attaquer avec ce couteau... je t'ai dit que j'utiliserais du poison !", etc). En l'occurrence, elle était à un niveau de stress assez bas, étant donné qu'elle connaissait bien Nico et qu'il ne l'intimidait pas. Cela étant le côté beau brun ténébreux, plus âgé et bienveillant avait eu tendance à la désarçonner par le passé ça, c'était avant qu'elle ne le voit ivre mort et travesti en Sibylle Trelawney. Nicolas était séduisant, c'était un fait. Elle acquiesça d'un hochement en ce qui concernait la qualité de sa soirée, évitant d'entrer davantage dans les détails. Après tout, c'était les risques du métier. Et puis, à force de côtoyer Nicolas, elle était habituée à nettoyer du vomi.

Une fois les salutations d'usage évacuées, Emma passa sa commande puisque c'est Nico qui paye et attaqua directement par les choses sérieuses. Après tout, le brun avait déjà des milliards plusieurs verres d'avance sur elle. Certes, l'écart d'ébriété pouvait être un atout si jamais elle se retrouvait en position de devoir sauver les fesses de son parrain après qu'il ait versé l'intégralité de son verre sur un demi Troll peu commode, mais elle avait de la marge pour l'instant. Elle se fit alors ébouriffer les cheveux sans ménagement et gigota pour échapper à la main de Nicolas. Elle finit par baisser les armes, songeant que de toute manière, elle sortait d'une garde et ne pouvait pas par définition, avoir une forme tout à fait humaine actuellement. Une mèche de travers de plus ou de moins, quelle différence quand on ressemblait déjà à un sac à patates ? « Ravie que mon alcoolisme montant te procure de la fierté ! » observa-t-elle avec ironie, lui jetant un regard suspicieux quand il se commanda un verre supplémentaire. Eh, après tout elle n'était pas sa mère. Tant qu'il n'était pas à poil sur le bar en train d'interpréter la Valse des Harpies, tout allait bien. Traumatisme à vie.

Attendant que le barman lui ramène sa choppe, Emma en profita pour balancer une petite plaisanterie à son ami (bien qu'en soi, elle n'était pas si loin que ça de la réalité). « Ah, je vois que t'as tout prévu ! » commenta-t-elle d'un air appréciateur alors qu'elle contemplait la nouvelle coupe de cheveux du brun. « T'en fais pas pour moi, mes cheveux sont sous contrôle. J'ai un sort pour les protéger, Mary a appris ça à une beuverie avec d'anciens amis de Salem je crois. Ses potes sont pires que toi apparemment, t'imagines ? A mon humble avis, c'est juste leur nombre qui donne cette impression. Si on les isole et qu'on les met face à toi, tu les massacres. » le rassura-t-elle avec conviction, confiante dans les capacités de poivrot de son aîné. En plus, la vente d'alcool était interdite aux moins de vingt et un an aux Etats-Unis, ils manquaient clairement d'expérience.

Réfléchissant à la méthode qu'elle emploierait pour ramasser son parrain une fois qu'il se serait écrasé par terre tel un avion sans ailes, elle sursauta lorsqu'il lui lança un paquet dessus, l'attrapant de justesse grâce sans doute à d'anciens réflexes acquis en jouant au Quidditch. Elle reconnut aussitôt l'enseigne des Farces pour Sorciers Facétieux et leva un regard amusé vers Nico. « C'est très prévenant de ta part ! Mes gardes sont l'après-midi cette semaine, j'aurai le temps de décuver je pense. Je t'en ferai gober si tu perds connaissance en tout cas histoire de t'achever. Ne t'en fais pas, je sais ce que je fais, je suis médecin. » fit-elle semblant de lui confier d'un air malicieux, avant de lui adresser un clin d’œil. Bon, maintenant elle espérait juste que personne ne l'avait entendue, et surtout, qu'aucun cinglé n'aurait l'idée extravagante de faire un malaise au beau milieu du pub. "- Y a-t-il un médecin dans la pièce ? - Ehm, le type allongé par terre, oui oui, celui qui imite un koala sous opium. Moi ? Non non non."

« De toute façon, je compte rester sage, ce soir. » déclara-t-elle en attrapant la choppe que le barman posa devant elle, un air innocent sur le visage. « Oh ça se passe bien, Erwan est vraiment un très bon professeur. C'est moi qui ai du mal parfois... » avoua-t-elle, avant d'éclater de rire suite au pari qui lui fit Nicolas. « La fin est plutôt facile en fait "ditetikasi", une fois que tu l'as appris tu ne l'oublies plus. Mais la version complète et compressée est plus délicate. » Elle fit mine de réfléchir à la proposition du garçon, avant de tendre la main d'un air déterminé. « Pari tenu. Je ne garantis rien concernant l'exactitude de mon accent par contre. » avertit-elle, avant de prendre son souffle, et de se lancer en comptant sur ses doigts. On y croit. « Boum ! » Elle lui adressa un grand sourire ravi. Quand on a faim, rien n'est impossible. « Je me suis entraînée. » avoua-t-elle, les joues rosissant quelque peu devant cette confession. Car oui, elle était le genre de personne qui s'entraîne à répéter Snedlditetikasi dix fois devant sa glace, juste par satisfaction personnelle. Elle ne serait pas vaincue par un nom de famille, merci bien. Bon par contre, avait-elle massacré le nom de son tuteur ? Sans l'ombre d'un doute. C'était un nom d'origine roumaine, or elle n'avait pas la moindre notion de cette langue, ni de leur façon de prononcer. Ce n'était pas comme si Nicolas, lui, savait de toute façon, hein ? C'est pas beau d'embrouiller un gars torché pour lui racketter de la bouffe.