Cela n'était rien qu'une silhouette indistincte moins éminente que celles des autres. Une présence futile qui se débattait la masse compact de la foule. Rien qu'un sifflotement léger aux oreilles, rien qu'une goutte tremblante jetée à la fureur d'un océan. En somme, ce n'était rien ...
C'était juste June Whitemoon, frissonnante, la tête dans le col de son manteau, se frayant un chemin jusqu'à la lumière ambrée que projetaient les fenêtres des Trois Balais sur la rue fourmillante. Surprise par la tombée du soir, elle marchait avec empressement, fâchée par sa négligence. Un charmant concerto pour dent accompagnait ses pas depuis le Chaudron Baveur où elle avait entreprit de balader ses jambes engourdies et c'était avec un profond soulagement qu'elle poussait la porte encombrée du café.
L'intérieur se révélait aussi chaleureux que décrit. Elle apprécia immédiatement l'ambiance joviale qui planait, glissée dans les éclats de rire, les conversations animées, les tintements de vaisselle et les crépitements du feu. Mais si la jeune sorcière se plaisait à remarquer cela elle ne se sentait pas moins seule face à la fourmilière bavarde qui s'animait sous ses yeux embués par les picotements du froid. Et tandis qu'elle contournait une table, un malaise se lova en elle pour ronronner jusqu'au fond de son corps. A quoi Miss. Whitemoon répondait-elle lorsqu'elle sentait poindre le sentiment d'embarras ? Mais à la mèche de cheveux que l'on balance si naturellement sur son champs de vision comme un pararegard, bien sûr. C'était simple ... et inefficace. Quoique qu'on puisse en penser, c'est ainsi qu'elle gagna le comptoir, enfilant la peau si profitable d'un caméléon qu'elle ne dévêtit que pour quémander avec entrain une bièraubeurre. Elle était, pour ainsi dire, une sorte de moldue convertie et tout ce qu'elle effleurait de ses cinq sens depuis qu'elle avait tapoté les briques du Chaudron Baveur lui semblait aussi curieux qu'amusant. Mais, et cela devait remonter au temps où, se baladant nonchalamment dans sa ville d'enfance, elle entendait le bourdonnement incessant de ces moustiques à jumelles, la jeune sorcière avait une aversion singulière pour les touristes hébétés et irrévocablement attirés vers le moindre tas de pierre affiché dans leur guide. Elle tenait donc à mettre sa surprise sous le tapis, ne laissant paraître aucun signe d'agitation intérieur. Juste quelques clapotements de doigts sur le bois ciré ...
'Votre bièraubeurre. 5 mornilles.'June tritura sa bourse avec empressement et 5 petites pièces rebondirent sur le comptoir. Elle les regarda disparaître dans le tablier de la dite Mme.Rosmeta et leur dernier éclat fut persistant.
Elle songea alors à ses parents. Car c'était indispensable lorsque l'odeur de l'argent pointait. Car il fallait toujours qu'ils embaument l'atmosphère de leur morne présence. Elle revit donc leurs manières grandiloquentes, leurs regards méprisants et leur indifférence écoeurante et en un éclair, elle sentit l'amertume gonfler le nuage grisâtre qui planait sur sa tête depuis toujours. Mais Miss Whitemoon n'était pas du genre à se laisser engloutir par la marée noire. Voilà que le monde avait basculé, qu'elle n'était plus sous la tutelle des Whitemoon et qu'elle n'avait plus dans la bouche cet horrible goût d'ennui diffus jusque dans la lumière du soleil. Elle s'était exilée au Chaudron Baveur, avec l'appui de sa soeur et avec quelques Gallions dans la poche et plus rien ne semblait obstruer sa route. June but quelques gorgées, apprécia la saveur du liquide puis laissa aller le soupir qui se débattait depuis longtemps dans son corps famélique.
Voilà. Elle ne le retiendrait plus à présent. C'était fait. Et il était croulant de sous-entendus. Il déclarait franchement que June Whitemoon se sentait seule et que la compagnie ô combien appréciable de sa soeur n'étanchait pas son désir de découverte. Il précisait qu'elle ne pourrait pas supporter l'éreintement grandissant de la solitude encore longtemps et qu'une bièraubeurre de la plus pure fabrication n'apaiserait pas son esprit embrumé. Les doigts reprirent leur rythme endiablé et la jeune sorcière promena ses yeux nonchalants partout et nulle part, sans grande conviction ...
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