Abrutit d'chat (LIBRE)

"Skippy nom d'une baleine à bosse, sors de là veux-tu!"

S'énerva le vieux monsieur que les passants regardaient bizarrement. Il faut dire qu'il avait la touche le vieux à quatre pattes, observant le dessous d'une benne à ordure. A tout le coups il venait de tacher ses genoux... saloperie de chat.

"Skippy!"

Râla t-il à nouveau.
Le chat se contenta de lui jeter un coup d'oeil méprisant. Il faisait la tête. Et pas qu'un peu. Le chat semblait vexé que son maître lui ait refusé l'entrée dans le dernier pub qu'il avait visité. Mais en même temps les animaux y étaient interdit.
Il n'avait pas pu faire autrement. A son grand damne d'ailleurs.
Le chat lui tourna le dos et s'enfonça un peu plus vers le mur du fond. Bien fait pour toi le vieux, il fallait y penser avant. Pas question que je sorte. Peut-être que si tu me supplies et avec le concours d'une boîte de thon je daignerai me tourner vers toi. Mais pour le moment, je ne te vois même plus.

Le vieux fini par se relever et donna un coup de pied dans la benne. Son bras lui faisait mal, se tenir dans cette position peu confortable l'avait obligé à tirer dessus. Le chat ne bougea pas d'un cil malgré le bruit assourdissant de la chaussure vernie contre le métal.
Ha! Il en fallait plus! Hé bien soit!
Thad' sortit de sa poche intérieur de veste sa baguette et recula de quelques pas. Les passants ne s'en étonnèrent même pas, avantage des rues magiques. Il n'était pas question d'effectuer un sort complexe, le simple but était de déloger cet abrutit de chat de cet endroit, sans lui faire du mal.

"Je te laisse une dernière chance Skippy!"

Lâcha le vieux en remontant ses manches.

Rien. Aucun mouvement, aucun miaulement.

Hé bien soit. Il fit virevolter sa baguette dans les airs, ne prenant même pas le soin de prononcer la formule. Un wingardium leviosa plus tard la benne voletait à 1m du sol un chat étonné en dessous. Ce dernier tourna vers son maître des yeux mauvais et, levant la queue bien haut pour lui montrer qu'il s'en moquait comme de sa première croquette se dirigea vers un tas de sacs d'ordures qui traînait devant un établissement. Il s'enfonça dans les méandres des ordures.
Le vieux Thad' soupira bruyamment la benne reprenant sa place. Maintenant il allait devoir fouiller dans les ordures.
Hé bien, si on ne le prenait pas pour un clodo.
Qu'est-ce qu'il ne ferait pas pour cette bestiole.

"Écoutes Skippy."

Lança t-il en se dirigeant vers les sacs poubelles.

"Les règles sont les règles, je ne vais pas les enfreindre pour toi à chaque fois."

Et c'est ainsi que les passants purent voir en pleins milieu d'une allée commerçante un vieux monsieur en costume gris en train de parler à des poubelles, tout en les fouillant.

Si ça n'avait tenu qu'à elle, Lola Jalyn serait restée couchée ce matin. Et la veille aussi. Et l'avant-veille... En fait, elle ne désirait plus sortir, ne désirait plus sourire, se lever, s'habiller... Parce que depuis quelques temps déjà, son fils Neron avait été kidnappé.

Hé oui, triste sort. La personne visée, au départ, ce n'était même pas elle, la maman du magnifique petit bout de chou aux belles boucles blondes. Non, c'était Apophis, son père. Parce qu'il avait trop joué avec son meilleur ami, parce qu'il avait réservé le même sort à sa fille, Aaron Millers s'était vengé. Lola ne prenait pas en pitié Apophis - après tout, il l'avait cherché - mais l'ami d'Apophis, qu'elle avait toujours pris pour un pauvre bougre à qui la chance n'avait jamais souri, était désormais la concentration de toute sa haine.

C'était un peu la raison de sa présence ici en ce jour. Incapable de rester cantonnée dans sa trop grande maison, Lola s'était forcée à passer un ensemble triste, tailleur sombre qui dévoilait un peu trop ses jambes, et à se "pomponner" pour sortir. Peu de maquillage pour cette venue à Pré-au-Lard, et ses cheveux d'habitude éclatants et épais étaient simplement retenus en queue haute qui battait ses oreilles; sa frange au même rythme traçait des arabesques sur son front.

Elle pensait qu'elle le trouverait peut-être dans un pub des environs. Vue la qualité de soiffard attitré qu'Apophis lui avait toujours vanté, Millers picolait probablement dans le coin. Sinon, elle pouvait toujours aller au Chemin de Traverse... Mouais.

Elle tourna dans la rue principale après une brève vadrouille dans les derrières. Trois pubs plus malsains que ses pires cauchemars lui avaient soulevé l'estomac, mais aucune trace du kidnappeur en chef. Loin de se décourager, Lola parcourait maintenant la grande allée, les mains dans les poches et l'air sombre. Au fond d'elle, si elle s'était un tant soit peu interrogé, elle aurait su qu'elle n'avait aucun chance de le trouver, mais rester inactive lui était trop insupportable. Elle avait l'impression que rien n'avançait, que personne ne se démenait pour chercher son gosse, malgré toutes les promesses d'Apophis. Alors... Hé bien, en un mot comme en cent, elle voulait faire quelque chose.

Un peu devant elle, des bruits étranges attirèrent son attention. Instinctivement, Lola tira sa baguette de sa poche mais avec un calme olympien. Elle savait qu'il n'y avait pas de danger, mais par les temps qui couraient... Dégainer son arme était devenu une habitude... Certes un peu excessive.

En avançant un peu, elle tomba devant le vieux monsieur qui parlait aux ordures. Interdite, la mine interrogative, Lola resta là, contemplative, à l'écouter s'adresser à une peau de banane d'origine douteuse. Sans s'en rendre compte, elle laisse tomber son bras qui tenait fermement sa baguette - elle n'en aurait sûrement pas besoin avec lui.

Soudain, sans qu'elle ne comprenne vraiment pourquoi, une bruque vague de compassion s'abattit sur elle. Toute la sympathie et l'affection qu'elle aurait du porter à son fils ces derniers mois et qui restaient piégés en elle se tournaient tout naturellement vers un sorcier qu'elle considérait... ben... un peu paumé quoi.

Elle s'accroupit juste à côté de lui, une mine savamment délicate sur ses traits... tout aussi délicats, cela va de soi. Avec une douceur infinie, et peut-être un peu trop appuyée d'ailleurs, Lola demanda, en posant sa main sur le bras du vieil homme:

- " Monsieur? Vous voulez un peu d'aide?"

Et avec un sourire engageant, de ceux qu'on adresse aux enfants en bas âge un peu indisciplinés, elle lui tendit gracieusement son bras.

" Monsieur? Vous voulez un peu d'aide?"

Le vieux fou tourna la tête vers l'origine du son qui venait de jaillir de sa gauche. Il lâcha au passage la boîte de conserve qu'il tenait dans sa main, celle ci tombant dans un bruit métallique assez mélodieux (ce qui paraît impossible pourtant).
La très jolie femme, pardon, la très jolie dame qui se trouvait à ses côtés avait sur le visage un air de compassion assez dérangeant. Voilà qu'une créature sublime prenait Thad pour une petit vieux à la rue.
Celui-ci, bien loin de ce vexer pour si peu, se releva et tendit une main à la jolie dame afin de l'aider à ce relever. Il s'épousta un peu au niveau des genoux -sentant son dos le tirer, autant de sport n'était pas fait pour un homme de son âge- et un grand sourire s'étira sur son visage.

"Madame."

Lança t-il de sa voix la plus charmante.

"Ne vous fiez pas à la scène que vous venez de voir, je ne fouille en aucun cas les poubelles. Mais (il haussa le ton) mon imbécile de chat est allé se fourrer au milieu des ordures. N'est-ce pas Skippy!"

Un miaulement s'échappa du tas de sacs sans que Thad n'y prête attention. Il n'était plus lieu de s'occuper de cette bestiole ingrate. Devant lui ce trouvait le genre de beauté qui faisait de lui l'homme le plus aimable sur terre.
Une belle femme au charmant sourire, qui devait avoir un rire des plus mélodieux. Le genre de rire qui fait sourire, qui fait chaud au coeur. Mais à voir son visage -peut-être poli, compatissant sûrement en face d'une vieille personne tellement attachée à son chat- elle ne devait pas rire beaucoup ces derniers temps.
Thad le voyait comme le nez au milieu de la figure que cette jolie femme était en ce moment accablée par un chagrin particulier. Le genre qui vous ronge l'âme et vous pèse sur la poitrine. Il fallait être aveugle pour ne rien remarquer.

"Néanmoins (continua t-il) je n'ai pas envi de le blesser. Skippy a un comportement que l'on ne peut prévoir, alors user de la magie me paraît risquer."

Il jeta un coup d'oeil à la baguette que la femme tenait encore dans sa main. Belle baguette. A vu de nez 33,7 centimètre, bois de Tamarix Tetrandra -un bois rare- souvent associé à des plumes d'oiseaux... un peu trop polie.
Trop polir sa baguette avait tendance à nuire au bois.
Néanmoins une si bonne baguette ne pouvait qu'indiquer une bonne sorcière.

"Ainsi, plutôt que de fouiller les poubelles, je préfère de loin vous invitez à dîner madame. Attendez! Avant de me dire non, laissez moi vous donnez mon point de vu. Vous mangez et je mange, alors pourquoi ne pas le faire ensemble et au même endroit? N'est-ce pas?"

Et il lui servit sur un plateau son plus beau sourire, ajouté à ses yeux bleus pleins de sympathie.