J'ai un bouton sur le nez, c'est ça ? [PV]

Une fois n’est pas coutume, Louise était assez fière d’elle, en cette fin de soirée de rentrée. Elle n’avait pas eu envie de pleurer au moment de quitter ses parents sur le quai du Poudlard-Express, n’avait pas paniqué quand elle avait perdu Pandore dans les couloirs encombrés du train et n’avait même pas rougi durant le banquet, lorsque son voisin de table lui avait demandé de lui passer la tourte aux rognons. Et pourtant, c’était un grand de quatrième année ! En fait, s’il n’y avait pas eu la malencontreuse affaire Zane, personne ne se serait rendu compte qu’elle était une timide maladive doublée d’une angoissée chronique. La jeune fille ne s’était, en effet, toujours pas remise de l’épisode percutant et, accessoirement, douloureux, qui s’était déroulé au sein même de la salle commune, près d’un an auparavant. Bien que la bosse de son camarade eût depuis longtemps disparu et de toute façon, il était déjà bien chargé, le malheureux ! et qu’il ne restât pas la moindre tache d’encre sur le pull de Louise, cette dernière ne pouvait s’empêcher de redouter le pire chaque fois qu’elle était amenée à croiser Zane. Dommage pour elle puisqu’ils étaient non seulement dans la même maison mais également dans la même année : autrement dit, réussir à éviter Zane au quotidien relevait de la mission impossible puissance 150. Quoique le Poufsouffle se montrât tout à fait affable à son égard, la petite blonde demeurait intimement convaincue qu’il lui tenait rigueur du coup d’encyclopédie qu’il avait pris sur le crâne pendant cette terrible nuit d’hiver et qu’il attendait son heure pour se venger en l’humiliant publiquement (chose que, soit dit en passant, elle savait très bien faire toute seule).

Rien d’étonnant, donc, à ce que la petite blonde eût violemment sursauté quand Zane l’avait saluée, dans la salle commune, quelques minutes plus tôt, et à ce qu’elle eût viré pivoine avant de bafouiller d’une voix apeurée :
-OhsalutZanecommentçavahéhéhéhéhiiiiiexcusemoijedoisyaller.
Et de filer plus vite que l’éclair vers le dortoir pour aller se cacher la tête sous l’oreiller, non sans jeter de fréquents coups d’œil en arrière, comme si elle craignait que Zane ne lui lance un maléfice dans le dos il est vicieux, Zane.
Or, maintenant que ses vieux démons étaient revenus la tourmenter, ils n’allaient pas s’arrêter en si bon chemin et, plus Louise avançait vers son dortoir, plus elle sentait que la maigre confiance en elle, si durement acquise, dont elle avait fait preuve au cours de la journée, s’étiolait et retournait au néant.
*Zane me hait, c’est sûr ! Je l’ai bien vu dans son regard… Il s’est contenu toute l’année dernière, mais son cœur réclame une vengeance, c’est évident il ne faut pas en douter parce que c’est une évidence évidente. Evidemment ! Il va sans doute démontrer à tout le monde que je suis une dinde ! Hiiii ! Il va aller dire aux nouveaux profs que je suis nulle en magie ! Hiiii ! J’espère qu’on n’a pas les mêmes options et… Oh non, Merlin, les options…*

De fil en aiguille, et grâce à un cheminement mental tortueux, Louise en était revenue à sa grande inquiétude de l’été : les options qu’elle avait choisies pour sa troisième année. Pour une élève aussi mal assurée qu’elle pouvait l’être, la perspective de découvrir de nouvelles matières à la rentrée était beaucoup plus stressante qu’excitante : preuve en était que la Poufsouffle avait cauchemardé tout l’été sur ses nouveaux professeurs, s’imaginant par avance qu’elle allait se révéler inapte à suivre leurs matières et qu’ils la puniraient sévèrement pour sa bêtise. En fait, ce serait certainement le point de départ d’une longue enquête sur ses talents de sorcière, enquête qui ne pourrait s’achever que par la découverte de son imposture et un renvoi sans sommation de l’école. Voire un emprisonnement à Azkaban à vie. Car il ne faisait aucun doute, à ses yeux, qu’elle se révélerait très vite incapable de traduire un texte écrit en runes d’ailleurs elle avait essayé pendant l’été et n’avait rien compris, inapte à soigner la moindre créature magique sans perdre un doigt au passage et totalement hermétique au noble art de l’arithmancie. Par conséquent, elle devrait travailler deux fois plus que tout le monde ces matières, n’aurait plus le temps de faire correctement ses devoirs pour le socle commun, verrait ses notes baisser de manière catastrophique et serait renvoyée. Bref, elle était, de toute manière, fichue.
*Je ferais aussi bien de reprendre mes bagages tout de suite et de retourner à la maison…* Songea-t-elle tristement, en poussant la porte du dortoir, l’air abattu.

Avec un profond soupir de désespoir, la jeune fille se laissa tomber sur son lit (boing, boing, les ressorts) et enfouit son visage dans son oreiller, d’où se dégageait une agréable odeur de chèvrefeuille, preuve que les elfes de maison avaient bien fait leur office pour accueillir le retour des élèves au château. Le silence du dortoir désert – Pandore était probablement encore en train de s’amuser avec les autres pour fêter la rentrée – contrastait étrangement avec la joyeuse effervescence de la salle commune. Les conversations et les rires de ses camarades parvenaient d’ailleurs encore aux oreilles de la petite sorcière, mais sous la forme d’un brouhaha étouffé et incompréhensible qui la berçait imperceptiblement. Sans qu’elle s’en aperçût, Louise ferma les yeux et se laissa flotter, à mi chemin entre le sommeil et l’éveil. Elle n’aurait su dire combien de temps cet état de demi-conscience avait duré quand l’entrée fracassante de Pandore dans le dortoir vint la ramener subitement à la réalité. Elle redressa la tête, ses cheveux blonds ébouriffés sur son crâne et adressa à son amie un coup d’œil du genre « c’est à cette heure là que tu rentres ? ».

- Qu’est-ce qui se passe ? J’ai raté un truc ? Marmonna-t-elle d’une voix étouffée, car elle cherchait à contenir un irrépressible bâillement. A la mine de Pan’, la jeune fille compris très vite que sa tête devait être franchement amusante. Elle fronça les sourcils, s’assit sur son lit et se tapota les cheveux d’un air anxieux.
- J’ai un problème ? J’ai un truc sur la tête ? Zane m’a lancé un sort, c’est ça ? Je n’ai pas les cheveux verts, quand même, hein ?