[Theme] La tirer de ses pensées...

« Oui, c'est vrai, l'air frais fait du bien... » Répondit Charisma en passant derrière son oreille une mèche de cheveux brun. L'hiver n'était pas encore totalement parti, la jeune fille avait donc les cheveux encore foncés. Quand le soleil ferait réellement savoir qu'il était là, elle s'éclaircirait vers le châtain. C'était comme ça tous les ans depuis que sa chevelure d'enfant avait foncé. Elle aimait bien, cela lui permettait d'avoir des effets différents. En brune, ses yeux bleus ressortaient, en châtain (parfois clair), elle pouvait jouer sur les rouges à lèvre (une découverte récente mais amusante, à petite dose). Pourtant, là, elle n'était pas préoccupée par considérations capillaires. Elle en était même assez loin, au final.

« Ce n'est pas la légende qu'on m'a raconté, moi, on m'a parlé d'une histoire de neige, et de création de Dieu... mais d'un pays à l'autre, les histoires ne sont pas les mêmes. » Charisma était russe, et la plupart des histoires qu'elle connaissait lui avait été rapporté soit par sa mère quand elle était petite, soit par son elfe de maison, et quasiment nourrice, Dorémi.

« Non, non, désolé, ce n'est pas ça... je... je me sens... juste... triste. » On aurait pu le deviner à ses larmes mais contrairement aux apparences, il était rare qu'elle pleure, alors pour elle ça ne l'était pas. En fait, elle se protégeait même sans cesse de la tristesse et des regrets. C'est pour ça qu'elle cultivait une apparente froideur, elle se préservait des autres, parce qu'au fond, elle était extrêmement fragile... Elle avait pensé que si elle réfléchissait à tout, si elle mettait tous ses sentiments dans des boîtes correctement étiquetés, tout serait plus simple, mais elle était très loin du compte. Elle souffrait, même ainsi, parce que la perte, c'était quelque chose qu'on avait beau savoir définir, on ne pouvait pas la compenser. Elle s'en voulait de continuer à s'attacher alors qu'elle ne faisait qu'en souffrir, elle s'en voulait aussi que tout ne se soit pas passé comme elle l'aurait voulu, cela aurait été tellement plus simple !

« Pas pour quoi ça... cela m'importe peu et je crois que vous faites ça... par gentillesse... mais je me sens mal, triste, et j'aimerais savoir pourquoi... enfin... pas pourquoi je suis triste, mais pourquoi... est-ce que je continue à essayer... je me sens lasse d'essayer... » Son discours n'était pas clair mais même si elle ne pleurait pas à gros sanglot, cela perturbait son discours, elle n'avait pas l'habitude d'essayer de s'expliquer, et puis, elle ne connaissait pas beaucoup Evan, alors elle ne savait même pas par quel bout commencer. Par le début, me direz-vous, cela aurait été une bonne idée, mais même ça, elle ne savait où le placer sur l'échelle du temps. Est-ce que le début de ses problèmes était l'instant où elle avait commencé à penser à la rupture suite à une succession d'évènement ? Ou alors est-ce que c'était justement d'avoir commencé à offrir son coeur le problème ? Voilà ce qu'elle se demandait avec ce pourquoi... aimer, ce n'était pas simple, mais arrêter d'aimer, elle trouvait que c'était pire, parce que cela voulait dire que les sentiments peuvent changer, et elle, elle rêvait de stabilité...

Charisma ne pouvant pas rentrer en Russie même si elle l'avait voulu (et là encore, rien n'était moins sûr), elle passa sur la question de l'air et de sa fraîcheur, même si elle approuvait les paroles de Evan, c'était très loin d'être sa plus grande préoccupation pour le moment. En revanche, elle répondit à l'histoire des mythes et des légendes... même si elle n'était pas une grande passionnée d'histoire (sujet dont elle avait débattu avec Eva-Rose l'été précédent), elle restait tout de même une jeune femme qui aimait qu'on lui raconte des choses, et dans les mythes, souvent il y avait cette part de vrai que son esprit curieux avait envie de découvrir. Du coup, elle n'aimait guère l'histoire, mais elle s'intéressait en général aux mythes et aux légendes, du moins lorsqu'ils étaient bien narrés. Dorémi était bonne oratrice pour une elfe, surtout qu'elle connaissait son public. Ne s'occupait-elle pas de Carry depuis sa naissance après tout ? Au passage nous préciserons que même si l'elfe de Carry ne portait pas de vêtements à proprement parlé, elle était toujours aussi élégante que sa maîtresse.

« J'aime les histoires... mon elfe les raconte vraiment très bien... ma mère le faisait aussi, avant, quand elle était encore là. » Elle soupira, sa vie n'était faite que d'adieu lui semblait-il. Elle avait perdu sa mère, ensuite son père (puisqu'il l'avait vendu), du coup, elle n'avait personne. Enfin, elle avait des amis, mais ce n'était pas pareil. Si elle continuait à les vouvoyer c'est bien que quelque part, même si elle les aimait, elle les mettait à distance.

« Il y a des moments où... être belle, intelligente, cultivée.. cela ne sert à rien. Et contrairement à ce que vous imaginez, je ne suis pas quelqu'un de secret. Je suis réservée. C'est différent. » Sa voix faiblissait et elle défendait mollement sa manière de voir la vie et les relations sociales. Elle savait que tout le monde confondait, et c'était par habitude qu'elle précisait, parce qu'elle était trop lasse, de toute façon, pour en débattre bien longtemps.

Il lui proposa d'aller chercher quelqu'un, elle ne savait quoi en dire, la pauvre, parce qu'elle n'en voyait pas l'utilité. Personne ne pouvait l'aider. Elle avait perdu quelque chose de précieux, et elle ne le retrouverait pas. Un premier amour, c'était unique, important, mais elle avait conscience aussi qu'il ne pouvait pas forcément durer toujours, parce qu'elle mieux que personne savait combien l'amour pouvait être éphémère parfois.

« Il est inutile d'aller chercher quelqu'un, vous avez parlé d'Enry, c'est lui la cause de mon chagrin. Je viens de recevoir la lettre annonçant notre rupture. » Pas de cris, pas de dispute, pas même de larmes entre eux, il n'y avait rien eu que le constat affligeant d'une fin inéluctable. Carry aurait aimé pouvoir lui crier sa colère, quelque part, cela l'aurait sûrement soulagée, mais il avait fui jusqu'au bout la confrontation. Cette lâcheté la rendait un peu nauséeuse. Elle avait voulu y croire jusqu'au bout, mais finalement, c'était Axel qui avait eu raison. Elle était bien bête de s'être accroché à l'espoir d'une fin décente. Pour ce résultat, cela n'avait pas valu la peine de repousser le cousin Griffins. Elle eut aussi bien fait de quitter Enry sans explication pour pouvoir faire ce qu'elle voulait à côté ! Elle pouvait faire ce qu'elle voulait maintenant d'ailleurs, mais là, elle savait qu'elle n'aurait pas le courage d'écrire à Axel dans l'immédiat. Elle devait faire le deuil de ce qui restait de ses illusions et de son innocence avant.

Ma mère est morte quand j'étais encore très jeune, mon elfe de maison m'a suivi en Angleterre chez mon tuteur... et elle m'a pour ainsi dire élevée. D'où, je suppose, sa grande liberté de parole, et les histoires qu'elle me racontait... Elle ne jugea pas utile de préciser que, puisqu'elle n'avait pas beaucoup le droit de sortir, Dorémi était quasiment sa seule compagnie. Andrew était présent aussi, évidemment, mais Carry s'en était toujours méfiée. Il y avait bien eu une période où elle avait eu le fol espoir que, puisqu'il devait être sa famille, il allait se marier et qu'elle aurait une mère adoptive et peut-être ensuite de jeunes frères et soeurs. Elle aurait adoré que les choses se passent ainsi. Même si ce n'était pas une vraie famille dans le sens commun, elle aurait pu en avoir une qui se serait construite, cela lui aurait semblé réellement merveilleux... Ce joli rêve en restant un, elle n'avait plus comme espoir d'avoir une famille un jour de la fonder elle-même. Et vu qu'elle venait de quitter Enry (ou de se faire quitter, selon comment on se positionne), elle se demandait si elle y aurait même seulement le droit un jour.

Disons que je ne fais pas un secret de mes problèmes ou de ma vie, je n'ai rien à cacher - ou si peu -, mais si on ne m'en parle pas, pourquoi amènerais-je le sujet la première ? Après tout, la plupart des gens sont égoïstes, et ce serait l'être à mon tour que de leur parler de mes problèmes sans qu'ils l'aient demandé. La différence est peut-être légère, mais elle compte, je crois, dans ma manière d'aborder l'existence. Elle soupira et passa la main dans ses cheveux, un geste inutile, d'ailleurs, elle rencontra un léger nœud qu'elle défit sans une grimace. On ne l'avait pas surnommée la princesse des glaces pour rien. Même si des larmes perlaient dans ses yeux et que certaines roulaient sur ses joues, elle restait droite, fière, elle essayait encore de sauver les apparences. Elle ne le faisait pas consciemment, c'était devenu une habitude bien ancrée qu'elle ne pouvait pas laisser de côté. Même avec des personnes plus proches d'elle que Evan, elle pouvait encore avoir cette attitude.

Je ne crois pas que cela soit réellement ma faute, mais peut-être que si, en réalité, la réponse à cette question n'est pas simple. Tout ce que je peux vous dire, c'est que ce n'est pas sorti de nul part, voilà longtemps que cela n'allait plus. Mais même en sachant ça... cela me rend triste. Elle se leva et regarda encore l'horizon, sa petite fleur dans une main. Elle ne pouvait pas rester ici. Elle appréciait l'amitié que lui offrait Evan, et cela lui faisait du bien de parler, mais elle devait rentrer. Elle encore bien des choses à voir, à réfléchir, cela prendrait peut-être des jours, mais elle avait des amis avec qui elle saurait parler de tout ça, plus tard, dans quelques jours, quand elle aurait vraiment besoin de s'épancher. Là, même si elle était reconnaissante à Evan de son intérêt, elle n'arriverait pas à en parler, c'était trop récent.

Veuillez m'excuser. Je vais vous laisser... Je préfère rentrer. Mais sachez que j'apprécie votre sollicitude et j'espère que nous aurons l'occasion de discuter quand j'irais mieux. Elle lui adressa un mince sourire, ce qui à son niveau n'était pas rien, puis, elle s'éloigna, rejoignant le château après avoir essuyé les larmes sur ses joues.