[PV] Une mèche de travers

Tout en haut de la liste des choses que Alice détestait, il y avait les gens qui la regardaient de haut parce qu'elle était pauvre. Elle voyait bien, chaque jour à Poudlard, que la plupart des enfants avaient des vêtements neufs, et à tout le moins, à leur taille. Mais elle venait d'une famille très pauvre (qui n'était pas sa famille biologique d'ailleurs, mais ça, elle s'en fichait complètement), et son uniforme était celui de Nasira autrefois avec quelques changements puisqu'elles n'étaient pas dans la même maison. L'écusson entre autre n'était pas le même, et l'uniforme n'était pas vraiment abîmé vu que Nasira en avait pris soin à l'époque où il était à elle, cependant, sa sœur aînée n'était pas du tout fichu comme elle, elle était plus grande à son âge et commençait déjà à être formée, alors que Alice du haut de ses presque douze ans avait l'air d'une petite fille. Le docteur un peu véreux qui suivait les enfants Orwell disait souvent que Alice devrait manger plus parce qu'elle était en malnutrition comparé à ses deux aînés, mais ils mangeaient tous la même chose pourtant, ce n'était pas sa faute si elle était une crevette tout de même ! Elle ne désespérait pas, par ailleurs, de grandir un de ces quatre.

Pour en revenir à notre sujet, la fille qui se présenta devant elle lui sembla directement vraiment désagréable. Non pas qu'elle fût agressive, mais de quoi se mêlait-elle ? Alice faisait bien ce qu'elle voulait de ses vêtements et de ses cheveux, non ? En plus, elle l'interrompait dans un passionnant roman de Dickens.

« Alice. » Répondit-elle simplement. Elle jeta un coup d’œil au miroir mais sans conviction, elle savait à quoi elle ressemblait. Elle n'avait pas besoin de vérifier. Elle savait que ses cheveux châtains clairs, bien que propres, tombaient en désordre autour de ses épaules, et que son uniforme était d'autant plus usé qu'il n'était pas assez serré. Il était fréquent que la jupe se prenne dans un truc qui dépassait parce que Alice ne la sentait pas quand elle se coinçait.

« Je n'ai pas de brosse, et je n'ai pas de quoi recoudre mon uniforme non plus. » Elle parlait d'un ton neutre mais elle avait définitivement levé le nez de son livre et elle observait attentivement sa vis-à-vis. C'était une gosse qui ne connaissait pas du tout les problèmes de la vie réelle, le besoin d'argent, la tristesse de regarder une vitrine en se disant que ce ne serait jamais pour elle que ce qu'elle contenait. Alice chercha du regard si elle portait des bijoux ou quoique ce soit qui puisse se voler facilement. Ce n'était pas tellement qu'elle comptait le faire (encore que, si Candice continuait à lui parler de sa robe, ça pourrait arriver...), mais elle volait depuis qu'elle était en âge de marcher, alors les personnes qu'elle rencontrait, elle les évaluait toujours sur leur potentiel, le nombre de repas que les voler apporterait. Et elle n'avait pas de scrupule à ça bien qu'elle sache qu'il ne fallait pas voler dans Poudlard sous peine de se faire virer. Elle n'y tenait pas, ici il y avait du chauffage, une grande bibliothèque et trois repas chauds par jour. En plus, si Mattew et Nasira pouvaient rester à Poudlard sans avoir trop de problèmes, elle se faisait un devoir de les imiter.

Alice tendit la main vers la brosse à poignée en argent. Encore une gosse de riche... La petite fille retint la réflexion désagréable qui lui venait parce que visiblement Candice ne lui voulait aucun mal et elle ne semblait pas beaucoup réfléchir à ce qu'elle disait. Sans un mot, donc, elle passa la brosse dans ses cheveux châtains, son livre désormais fermé posé sur ses genoux. Elle enleva ses cheveux de la brosse lorsqu'elle eut terminé et elle la rendit à Candice. « C'est mieux ? » Demanda-t-elle simplement, avare de parole dans l'immédiat.

Elle parla un peu plus lorsqu'elle lui posa des questions sur son livre. « C'est un recueil de contes de Dickens, j'étais en train de terminer le premier : conte de noël. C'est l'histoire avec Scrooge et les esprits de noël, tu connais sûrement, ça a été très souvent adapté au cinéma moldu et c'est le conte le plus célèbre de l'auteur. Je l'avais déjà lu en fait, mais j'aime bien cette histoire. » Parce que le riche Scrooge réalisait ses erreurs, et ça, elle savait bien que c'était rare, mais pas complètement improbable. Elle avait parfois volé des gens riches qui l'attrapaient mais qui, en voyant l'état de dénuement dans lequel elle vivait, lui laissait son larcin. Être riche ne faisait pas des gens des mauvaises personnes, mais ça ne les rendait pas forcément bons non plus. Alice le voyait bien lorsqu'elle était chez ses parents. Bon, ces derniers n'étaient pas vraiment des modèles de civisme ou d'éducation, mais ils étaient de bons parents et la société ne leur reconnaissait pas assez cette qualité. Ils avaient adoptés quatre orphelins qu'ils avaient aimé et élevé comme les leurs, ils ne les avaient jamais obligé à vraiment voler, c'était juste qu'ils n'avaient pas eu le choix que de leur montrer le mauvais exemple. Son père avait parfois fait des tentatives pour être un peu plus « stable » et trouver du travail, sauf qu'il n'avait que ses diplômes d'école de magie, et un lourd casier, dès que les gens le découvraient, ils le viraient alors qu'il avait décidé d'être honnête. C'était l'histoire du serpent qui se mord la queue, on le virait parce qu'il avait été un petit voleur, du coup il recommençait à voler parce qu'il fallait bien manger et payer les factures, et ainsi de suite. Ça agaçait Alice dans ces cas là, elle aurait parfois voulu être normale, mais pas au prix d'être comme ces gens là. Être bien-pensant n'apportait pas le bonheur, se draper dans sa bonne conscience non plus, c'était une idée de riche ça.

Satisfaite d'avoir parlé lecture, elle adressa un petit sourire à Candice. Et c'est de bon cœur qu'elle répondit à la question de la jeune fille en retour. « Oui, j'ai deux frères et une sœur. Mattew est à gryffondor en quatrième année, Nasira est dans l'année en dessous à Poufsouffle, et j'ai un petit frère qui n'est pas encore à l'école, Micah, mais il viendra l'année prochaine. » Elle lui retourna ensuite la question : « Et toi ? » Puisqu'il y avait forcément une raison pour qu'elle amène le sujet.

Est-ce qu'on lui avait déjà dit qu'elle avait un visage de poupée ? Elle n'en savait trop rien. Son grand frère, tout comme Nasira, la complimentait souvent, ils disaient qu'elle était trop mignonne, mais elle n'avait jamais vraiment pris ça très au sérieux parce que la beauté de la famille c'était sa grande sœur, pas elle, Alice le savait bien. Non pas qu'elle fut laide, mais bon, Nasira jouait dans une toute autre catégorie.

« Non, jamais. Mais je ne vois pas trop ce que tu veux dire par là non plus. » Elle avait supposé que c'était un compliment et elle n'avait pas changé d'avis à cet endroit. Cependant, elle doutait sur d'autres points, à savoir qu'elle se demandait ce que ça signifiait exactement. Peut-être que c'était parce qu'elle n'avait jamais eu de vraie belle poupée comme d'autres petites filles, mais elle ne voyait pas bien où se situait le compliment tout en se disant que ça en était un. Etait-ce à cause de sa peau blanche comme de la porcelaine ? Ou alors de ses grands yeux bleus ? Ou bien des ondulations de ses cheveux châtains clairs ? Il devait probablement y avoir une raison pour que Candice lui ait formulé ça ainsi, sauf que notre aiglonne ignorait laquelle. A sa décharge, elle avait très rarement eu dans sa vie une conversation portant sur le physique. Le sien tout au moins, car on parlait beaucoup de celui de Nasira chez elle (ses parents se demandaient parfois si elle ne pourrait pas devenir actrice ou mannequin tellement elle était belle!). Le truc d'Alice, c'était plutôt la littérature...

« Si c'est ça, il a écrit Oliver Twist, mais j'aime moins cette histoire là que celle de Scrooge. Si tous les orphelins pauvres venaient d'une famille de riche, ça se saurait. » Dans la même veine, il y avait aussi Sans Famille, de Hector Malot, où le héros, pauvre et abandonné au départ du roman, finissait par découvrir qu'il était en réalité le fils d'une femme riche et aimante. Cette bonne blague. Même si elle était orpheline à l'origine, et qu'elle était pauvre, elle rigolerait au nez de quiconque viendrait lui dire regarde, je suis ta mère, je suis riche, viens vivre avec moi!. C'était n'importe quoi, la vraie famille, c'est celle qui nous élève. Non pas que les romans à la Dickens ou à la Malot ne contiennent pas cette part là aussi de morale, mais c'était la fin abracadabrante qui restait en travers de la gorge de Alice. Cela donnait à croire que tous les orphelins pouvaient sortir de la misère sans efforts particuliers, juste parce qu'ils avaient beaucoup soufferts. Ridicule. Faux. Et elle, elle n'échangerait pas sa famille adoptive contre tout l'or du monde (parce que l'or, figurez-vous, ça se vole).

Mais comme Candice lui avoua ne pas lire beaucoup, Alice jugea préférable de ne pas s'étendre outre mesure sur ses critiques littéraires. « Et ils ont quel âge ? » Demanda notre jeune demoiselle essentiellement pour faire la conversation. Et elle ajouta pour ce qui était de son cas. « Pour le moment nous sommes trois à Poudlard et nous sommes dans trois maisons différentes, mais je crois pas que ça ait été une grande surprise pour mes parents. » Ils étaient tous vraiment très différents, aussi bien physiquement que moralement, donc il n'y avait aucune raison pour qu'ils soient dans la même maison. Au demeurant, Alice était curieuse de voir l'an prochain Micah arriver, elle ignorait où il pourrait bien aller !