Crise (PV)

- Merci, j’avais compris qu’il y avait un mur derrière moi, répondit Eva-Rose un peu énervée, se tâtant toujours la tête. C’est toi qui m’as fait peur.

Il la prenait pour une idiote ou quoi ? Comme si elle s’amusait à donner des coups de boule dans le mur. Fallait pas non exagérer. Même si elle pouvait paraître bizarre, la demoiselle n’était pas trop folle, du moins pas tout le temps et il n’y avait aucun signe de dégénérescence mentale dans son précédent geste, juste la surprise de voir la tête d’un garçon, ou tout simplement de quelqu’un, à quelques centimètres de son visage. Bon, d’accord, il ne fallait pas être totalement sain d’esprit pour s’endormir dans les couloirs de Poudlard, mais quand même ! La rouquine n’avait pas besoin d’un stage à Sainte Mangouste comme semblait le croire Zéno !

Et qu’elle était rouge, ça aussi, elle le savait, et le lui signaler n’allait pas arranger les choses : Eva-Rose avait de plus en plus chaud, alors que le mois de novembre s’approchait et que les couloirs du collège de sorcellerie n’étaient a priori pas dotés de radiateurs de sorte que la chaleur n’y était jamais excessive, même à la rentrée en septembre ou dans les derniers jours de juin, juste avant les examens. Ces examens qui prenaient cette année-là une toute autre importance pour Eva-Rose, puisqu’il s’agissait des BUSEs, mais ce n’est pas le sujet. Ce n’était pas précisément à ça que pensait la rouquine à ce moment précis :

- Pas que je t’écoutais pas, plutôt que je t’entendais pas je dirais. Et je sais, que je suis toute rouge, mais c’est rien. Enfin, c’est normal.

Normal, façon de parler. Peut-on considérer comme normal le fait de, à presque seize ans, rougir pour un rien et être frappée d’une timidité maladive au point d’aggraver le premier fait par une gêne constante ? Pire encore, la crise que se souvenait avoir faite Eva-Rose devant un autre garçon, Tomas Habsbourg, de Serdaigle, pouvait faire douter de la réelle normalité de la jeune Watters. Bien heureusement, Zéno ignorait tout cela, normalement, déjà qu’il devait la trouver bizarre, pour une sorcière s’entend, car n’importe quel moldu la trouverait de toute façon complètement fêlée.

- Toujours la victime, tu n’as pas peur d’exagérer ? Et puis ce n’est pas de ma faute si les hiboux ne t’aiment pas, et si tu ne sais pas te débrouiller avec eux. Mais c’est vrai qu’on n’a pas de cours pour ça.

Eva-Rose avait achevé sa tirade par un petit sourire, histoire de rassurer le Gryffondor : elle ne se moquait pas méchamment de lui, malgré ce que ses précédentes répliques auraient pu faire penser. Il restait cependant vrai que les ébats de l’Italien avec le hibou avaient été marrants, même si la Poufsouffle n’avait pu en admirer que la fin.

Eva-Rose avisa soudain qu’elle avait toujours son gâteau à la main et mordit avidement dedans. Le sucre lui fit du bien, en lui redonnant un peu de forces, même si ce n’était sans doute pour le moment que mentales. C’était déjà pas mal, car le corps n’est rien sans la tête, comme tout le monde le sait bien

- Pourquoi m’empoisser m’empoisonner ? Bonne question. Tu as peut être une petite amie en cinquième année, et les places en classes d’ASPIC sont chères ? Et comme je suis une des meilleures, autant m’éliminer tant que je suis fatiguée ?

Eva-Rose n’était généralement pas vaniteuse, mais il lui arrivait de se laisser aller sur de telles pentes glissantes lorsqu’elle était fatiguée. En même temps, c’était vrai, cela ne faisait rien pour la retenir. La rouquine n’était pas vantarde, mais devait avouer que ça faisait toujours du bien.

- En plus de quoi ? D’être fatiguée et de m’être cognée la tête, je suppose.

Elémentaire, mon cher Watson Zéno.

- Je ne prends pas la mouche, où est-ce que tu as été chercher ça ? Non non, ce n’est pas ce que vous croyez : Eva-Rose n’était pas le moins du monde en train de s’énerver. Je vous jure, vous rêvez. Franchement, vous voyez vraiment cette gentille et serviable Poufsouffle se mettre en colère ? D’un coup, comme ça, et pour une broutille ? Bon, d’accord, je l’admets, vous avez raison. C’est que quand on a son ascendance, ça peut venir facilement, même si la glande qui sécrète la colère (oui oui, elle existe) est bien cachée profondément dans le cœur de la personne. Mais de nouveau, je m’égare dans les tréfonds des pensées d’Eva-Rose, celles inconscientes, qu’elle ne savait même pas avoir. Revenons-en donc à l’essentiel.

- Ben elle est logique la différence, si je t’écoute pas c’est volontaire, si je t’entends pas ça ne l’est pas. Ca en fait une énorme, pour moi. Autant l’une est sans gravité, autant l’autre est carrément méchante. Après, t’en penses ce que tu veux, hein.

C’est vrai, Eva-Rose n’était pas là pour apprendre les nuances à des garçons plus vieux qu’elle qui étaient sensés en savoir bien plus qu’elle. Mais malgré le ton qu’elle commençait à prendre, la demoiselle appréciait Zézette Zeno et ne voulait pas le fâcher, d’autant qu’il s’était quand même arrêté pour voir si elle allait bien et qu’il avait l’air sérieusement inquiet. Ca n’était donc peut être pas le moment de le faire fuir par quelques méchancetés venues de ses gênes. Elle devait donc se contrôler au risque de perdre l’une de ses rares connaissances qui acceptait de lui parler un peu. Une de ses rares connaissances tout court, en fait.

- T’as jamais vu quelqu’un rougir ou quoi ? Non mais il faut dire que Zeno la cherchait, aussi. Est-ce que ça lui arrivait de temps en temps, de réfléchir ou est-ce que c’était en option ? Parce que même si les Gryffondor n’étaient pas sélectionnés pour leur intelligence, ils n’étaient pas non plus sensés être débiles. Puis la célèbre Hermione Granger était quand même de cette maison, de même que McGonagall et Dumbledore (Paix à son âme). T’as peur de te retrouver avec Pomfresh ou quoi ? Répétition malheureuse, fait de l’énervement et de l’étonnement. Zeno n’allait de toute façon pas s’en formaliser.

- Tu dresses les hiboux, toi ? demanda-Eva-Rose avec un grand sourire. J’aimerais bien voir ça, ça me détendrait après les longues journées de cours. Non sérieusement, tu devrais même faire des spectacles !

La moquerie n’était peut être pas subtile, mais elle était gentille et le but d’Eva-Rose n’était pas de blesser le grand garçon. Je l’ai déjà dit, le but de la demoiselle était de le garder ici, pas de le faire détaler comme à lapin en criant à la folie d’une Poufsouffle. Quoi que pour ce dernier point, c’était pas trop mal parti.

- Mais non, t’as pas une tête de tueur ! Quoi que, avec un peu d’imagination…attend…

Machinalement, Eva-Rose fouilla dans son sac pour y trouver un petit miroir de poche (oui oui, le principe d’être de poche c’est d’être petit, je sais) qu’elle tendit à Zeno.

- Comme ça tu pourras t’en rendre compte par toi-même.
VAMPIRE

Eva-Rose écouta la tirade de Zéno avec deux grands yeux ronds. Elle avait bien du mal à saisir ce qu’il voulait lui raconter, comme s’il parlait une autre langue, par exemple, le Français où le martien. En tout cas, pas moyen pour la demoiselle de savoir ce que le jeune homme voulait lui expliquer, ce qu’elle ne manqua pas de lui signaler.

- Bon, j’ai rien compris à ce que tu me racontes, désolée, hein, mais on va dire que je suis d’accord avec toi et passer à autre chose.

A présent, Zéno avait l’air carrément aigri, ou plutôt en colère contre Eva-Rose qui, pourtant, n’avait pas l’impression d’avoir été méchante. Certes, le ton de la demoiselle était sans aucun doute plus abrupt et moins doux que d’habitude, mais il n’y avait pas là de quoi en faire un drame, si ? Il faut dire que la Poufsouffle n’avait pas franchement l’habitude de s’écouter parler, ni de parler tout cours autrement que pour les affaires courantes. Mais dans le cas qui nous occupe, le problème était plutôt à chercher dans les gênes que dans les mœurs. Je me suis cependant déjà beaucoup épanchée sur ce problème de famille de la rouquine, aussi n’allons pas plus loin.

- C’est parce que tu ne me connais pas assez, jeune homme, fit-elle avec un grand sourire à la remarque de Zéno sur son teint rouge tomate. Tous ceux qui passaient un peu de temps avec la rouquine savait combien sa propension à rougir était grande, et cela incluait tous les cinquièmes années de Poufsouffle, quelques autres, et un bon nombre d’élèves de la cinquième année tout court, ceux avec qui elle était en cours, et depuis son arrivée à Poudlard, la jeune femme avait plus ou moins croisé tous les élèves de son âge, ce qui était assez logique.

- Je ne suis pas malade, hein, enfin, je ne crois pas. Je le saurais, je pense, n’est-ce pas ? Ou bien toi tu me le dirais, tu ne me laisserais pas mourir ici, seule au milieu de rien, avec mon cadavre comme cadeau pour Rusard ?

Cette petite blague dite avec le sourire reflétait bien la hantise d’Eva-Rose : finir sa vie seule comme elle l’était présentement, sans personne pour la soutenir, sans ami, sans petit ami…c’était bien la seule crainte que la rouquine pouvait éprouver pour son futur, elle qui réussissait partout ailleurs et qui ne doutait pas de trouver le métier parfait pour peu qu’elle prenne un peu le temps de s’y intéresser. Mais tout cela, il ne fallait pas compter sur elle pour qu’elle le révèle à quelqu’un comme Zéno, qu’elle ne connaissait vraiment pas assez. La demoiselle était naïve, certes, mais aussi très timide et ne se mettait généralement pas à parler d’elle comme ça.

- Naturellement, tu as raison, tu devrais être payé pour un tel spectacle. L’entrée est à combien ? Fait gaffe par contre, tu deviendrais vraiment un Bouffondor…

Il n’était pas dans les habitudes d’Eva-Rose de se servir des stéréotypes sur les autres maisons, mais là, l’occasion était vraiment trop tentante. Trop facile, c’était une perche que tout le monde aurait saisit. Et mieux valait que ce soit elle qu’un Serpentard, non ? En tout cas, Zéno se saisit du miroir que la rouquine lui tendait en ricanant, et s’en sortit par une remarque elle aussi bien placée. Ce qui n’empêcha pas la Poufsouffle de répondre une fois encore avec ironie.

- Mais si mais si, tu es magnifique.