Une première rentrée

Pétronille pas lente à la détente du tout avait pris le temps de réfléchir à la question de Fitz. Le jeune garçon venait, de toute évidence, de toucher un point sensible chiffonnant particulièrement la petite Pétronille qui, en bonne anglaise de (très) bonne famille ne détestait rien tant que les chiffons. Elle avait d'ailleurs lissé machinalement la jupe de son uniforme d'un geste plutôt raide, comme si l'épineux problème de la répartition (qui n'avait rien de très sensé, quand on prenait la peine de s'y intéresser de plus près) pouvait s'évaporer grâce à ce repassage improvisé et trouver une issue simple.
Elle s'apprêtait à avouer son propre désarroi quant à l'utilité d'un tel système qui de toute façon, n'étant pas moldu, ne pouvait être que mauvais lorsqu'un nouvel élève fit son entrée dans le compartiment.
La fillette gratifia Claes d'un coup d'oeil perçant en priant pour qu'il ne s'agisse pas d'un de ces petits premières années turbulents et surexcités à l'instar de ceux qui squattaient encore dans le couloir du train, si elle en jugeait par les bruits (dignes d'un zoo de renom) qui étaient parvenus jusqu'à elle quand Claes avait fait coulisser la porte du compartiment. Certes, le petit sorcier Paix à son âme s'était montré suffisamment poli pour les saluer, mais Pétri n'avait pu s'empêcher de remarquer qu'il n'avait pas poussé le vice (ou plutôt, en l'occurrence, la vertu) plus loin. Il ne s'était même pas présenté. D'ailleurs, le petit chenapan avait l'air un brin pince-sans-rire. Toutefois, grâce au ciel, la brunette était suffisamment sage pour ne pas porter un jugement définitif et catégorique sur Claes à partir d'une simple impression. Après tout, elle ne le connaissait pas et elle l'aimait bien même s'il était méchant. Il était probablement fort sympathique avec son poisson rouge. Sa froideur apparente n'était peut-être liée qu'à une quelconque timidité.

- Bonjour, répondit-elle donc simplement (mais non sans une certaine réserve), avant de se tourner vers Fitz, bien décidée à reprendre la conversation là où elle l'avait laissée.

Malheureusement pour son camarade qui ne connaîtrait jamais la réponse à sa question et en mourrait probablement de désespoir seul, sous un pont de Londres, une nuit de Noël enneigée, avec pour seule amie une vieille bouteille de bourbon, Claes ne semblait pas décidé à attendre tranquillement qu'on daigne l'inclure dans la discussion. Ah les jeunes, de nos jours, tous des vauriens !
Double manque de bol pour Fitz, la direction que Claes ce dictateur semblait vouloir imposer au bavardage entre petits jeunes autour d'une tasse de thé était du genre à plaire à Pétronille. Comme tout ce qui touchait au monde moldu, d'ailleurs.
La fillette adressa un coup d'oeil vif à Claes avant de répondre aussi sec, les yeux brillant d'intérêt :

- J'espère bien ! Ce serait tout simplement impensable d'enseigner l'étude des moldus sans mettre des oeuvres littéraires moldues dans la bibliothèque, précisa-t-elle d'une voix flûtée très assurée, Il faut bien qu'il y ait un point positif à aller à Poudlard, rajouta-t-elle d'un ton plus mesuré.

Sans le savoir, Pétronille venait de prononcer exactement les mots qu'il fallait pour rentrer dans les bonnes grâces de Claes, ce qui était aussi peu évident que ça le paraissait quand on était pas un poisson rouge. Le regard brillant de la fillette ne manqua pas de le frapper, mais certes pas autant que ses mots. Une sympathisante moldue qui avait l'air de s'y connaître en littérature !

Très vite son cerveau partit dans une course effrénée : il avait trouvé parmi tous les wagons quelqu'un avec qui il pourrait parler de moldus, quelqu'un qui s'y avait l'air de regretter comme lui de ne pas aller en école moldu et avait l'air de se demander à quoi pouvait bien servir la magie. Il ne serait donc pas paumé parmi une horde d'étudiants hystériques à l'idée de faire voler une plume. Et peu importait qu'elle soit une fille, les filles amatrices de moldus étaient pardonnés de tous leurs vices.

Il oublia bien vite sa posture fière et son regard perçant, et se pencha vers la fillette, une lueur dorée au fond de ses yeux bruns, et un air excité qui ne mentait pas :

"Tu aimes la littérature moldu ? Tu t'y connais un peu ? Moi j'aime surtout Terry Pratchett mais je ne sais pas si ça pourrait plaire à une fille (misogyne un jour...). Mais tu es moldue peut-être ? Tu as déjà utilisé un aspirateur ?"

Ah, si tous les gens qui le courtisaient sans espoir depuis sa plus tendre enfance avaient pu deviner le mot à prononcer...

Pétronille avait toujours eu un côté poisson rouge. Non pas qu'elle possédât si, si, ça doit être ça une mémoire défaillante, bien au contraire, mais elle était d'une nature patiente voire résignée or, Merlin seul savait à quel point il en fallait, de la patience et de la résignation, pour vivre dans un minuscule bocal dont on faisait le tour en trois coups de nageoires nonchalants (d'où les trois secondes de mémoire, probablement. Comme quoi, Dame Nature est bien faite, parfois. Nonobstant les ornithorynques, preuves vivantes de l'humour douteux du Créateur). Rien d'étonnant, donc, à ce que Claes ne se soit pas encore enfui en criant "Ah ! Une fille ! Aaaaaaaah !" Mais l'un dans l'autre, le jeune garçon avait probablement trop de dignité pour se laisser aller à ce genre de manoeuvre (sans compter qu'il risquait de tomber sur plus d'une fille, dans le Poudlard-Express, alors à moins de sauter du train en marche...). Peut-être opterait-il pour quelque chose d'un tantinet plus subtil ? Comme "Oh, regardez tous l'énorme crocodile volant qui nous fonce dessus !" "Où ça ? Où ça ? Héééé ! Où t'es passé ? Petit garçon ? Ben... Il a disparu !"
Passons.

Pétronille avait désormais totalement oublié la présence de Fitz. Pauvre Fitz ! Lui qui semblait si curieux au sujet de Poudlard, si content de rejoindre la communauté sorcière, voilà que son compartiment se trouvait envahi oui, envahi, parfaitement, Claes prend beaucoup de place ! par une bande d'amoureux des moldus refusant (en ce qui concernait Pétronille du moins) furieusement leur condition sorcière et "Libérons-nous des chaînes de l'oppression magique !"
Héhé, ça, c'était du slogan : "Non, aux sortilèges à Poudlard !" ou encore "Pas de magie pour les sorciers !", voire même "Faites de la chimie surtout avec Louise, pas de la magie !" A quand une grande manifestation Chemin de Traverse pour avertir la populace sur les bienfaits de la vie à la moldue ? Comment cela, ce n'était pas trop le moment le bout de son nez (et de son mégaphone) quand on était un amoureux des moldus ? Rhô, forcément, si on s'arrêtait à deux ou trois petites disparitions suspectes...
La fillette avait rendu son regard à Claes, tout émoustillée à l'idée que le garçon puisse s'intéresser de près à la culture moldue ! De toute évidence, ses parents n'avaient pas songé que l'envoyer à Poudlard, c'était l'exposer à un ramassis de sangs-de-bourbe et autres dégénérés persuadés que les moldus étaient des gens fréquentables. Tant mieux ! Ils auraient probablement décidé de faire prendre des cours particuliers à Pétronille s'ils avaient eu conscience du terrible (bien rouler les "r") danger moral auquel ils l'exposaient en la traînant (parce que oui, il avait fallu la traîner) jusqu'au Poudlard-Express.

- Je connais très mal, avoua-t-elle d'un air malheureux, mes parents m'interdisaient de lire des oeuvres moldues ! Mais j'ai réussi à récupérer des notices d'appareils électriques que j'ai cachées sous mon matelas... Ce n'est pas de la littérature mais quand même, c'est moldu... rajouta-t-elle avec un sourire contrit, Tu avais le droit d'avoir des livres moldus, toi ? Tu en as amenés à Poudlard ? Tu pourras m'en prêter ? demanda-t-elle en lançant un coup d'oeil perçant à son camarade, toute réserve à son égard désormais oubliée.

Elle n'eut toutefois pas le temps d'aller plus loin : la porte de leur compartiment coulissait de nouveau pour laisser entrer une petite dont la peau pâle faisait ressortir les grosses lunettes noires qu'elle portait.
Pétronille lui adressa un signe de tête poli avant de se présenter à son tour d'une voix flûtée, certes, mais qui n'avait rien de timide :

- Enchantée, je suis Pétronille Pélagie Adélaïde Bindweed... Mais tu peux m'appeler Pétronille Bindweed.

La fillette se tut une minute, le temps de contempler Roberte-Pâquerette d'un oeil impassible qui dissimulait parfaitement sa profonde perplexité. Roberte-Pâquerette ? Pourquoi Roberte-Pâquerette ? Elle avait plutôt une tête à s'appeler Catharina-Tchicthic cette plante ! Et ce même si Tchictchic n'était pas, à proprement parler, un prénom...
Ce fut alors que son cerveau fit "tilt". Oh mon Dieu ! Des tomates ! Mais alors... Mais alors... Avec tout le calme dont elle était capable étant donnée la proximité d'Antigone, Pétronille demanda d'une voix tremblante d'émotion :

- Des tomates ? Tu veux dire que... Que... Que tu es née moldue ?

Parce qu'à ses yeux, il était évident que le sorcier de base aurait amené une plante vicelarde et potentiellement dangereuse dont les propriétés principales étaient "dévorer les doigts des jardiniers" ou bien encore "laisser échapper un cri mortel". Bref, quelque chose d'un peu plus magique qu'un plan de tomates, histoire d'épater la galerie...

Claes avait décidément bien choisi son compartiment (paix à Fitz qui devait se demander comment la situation s'était ainsi renversée). D'abord il y avait cette Pétronille qui semblait trouver cette situation aussi malheureuse que lui. Certes, il fut un peu déçu d'apprendre que Pétronille était une fille n'était pas moldue mais elle remonta immédiatement dans son estime lorsqu'elle lui appris qu'elle faisait une collection de notices d'appareils électriques. Cette petite avait l'âme d'une rebelle, et ça pardonnait doublement son appartenance à la gent féminine (de toutes façons il n'avait jamais pensé que toutes les filles étaient à l'image de sa mère, coquettes, frivoles et superficielles. Il avait soupçonné d'après la lecture assidue de Terry Pratchett que certaines jeunes filles possédaient un caractère des plus intéressants. il pensait seulement que cela ne concernait que les jeunes moldues).

Lui même se souvenait parfaitement de tout ce qu'il avait du endurer afin de gagner le droit de lire tout son soûl de la littérature moldue. Condamné à rester enfermé chez lui, il avait découvert la littérature moldue un peu par inadvertance, par l'entremise d'une fillette fort laide et fort stupide avec qui on avait songé fut un temps qu'ils auraient pu former un couple des plus adorables (jusqu'à ce qu'elle décide mystérieusement de piquer des crises de nerfs dès lors qu'elle apercevait le jeune garçon. Bien sûr toute implication de Claes dans ce rebondissement inattendu n'était que pure spéculation). Avant donc de ne plus paraître dans les salons de Césarine Mézangier, la jeune Johanna Trist aimait à traîner dans les jupes de sa mère et un jour, elle tenait à la main un livre fort peu épais. Claes, qui avait écumé la bibliothèque de ses parents à la recherche d'un recueil qui méritât son attention, ne put s'empêcher de lui adresser exceptionnellement la parole à ce sujet (elle failli ne jamais s'en remettre d'ailleurs, persuadée qu'elle était que dans ses mots se cachaient une déclaration d'amour éternelle). Et dès lors qu'elle lui eût révélé qu'il s'agissait là d'un ouvrage moldu fort inintéressant offert par un de ses parents dont elle n'était pas très fier, Claes exigea de le lire, et elle le lui remit avec plaisir, à nouveau persuadée qu'il désirait avoir un objet d'elle auprès duquel se recueillir. C'est ainsi qu'il rencontra Terry Pratchett. Il mit du temps à parvenir à le comprendre entièrement, mais il le lut et le relut des dizaines de fois, jusqu'à ce qu'il décide qu'il lui en fallait plus.

"Je ne connais qu'un seul auteur en fait. Le premier livre que j'ai eu de lui on me l'a donné, et par la suite j'ai convaincu ma mère que cet auteur parlait principalement de magie. Aussi, on m'a autorisé à acheter toute sa collection." Il grimaça "J'aurais bien aimé pouvoir aller les acheter moi-même, tu imagines, une vraie librairie de moldus ? (à nouveau on pouvait sentir poindre l'excitation dans sa voix) mais c'est toujours mieux que rien. Ces livres parlent de magie mais pas de celle qu'on connaît. Et cet homme a un humour formidable, je ne pense pas qu'un sorcier puisse être aussi drôle."

Il prit une inspiration avant de recommencer à parler. Sa mère aurait probablement été choquée de le voir parler autant. Il reprit très vite, avec une excitation au bord de l'hystérie :

"Bien sûr que je te les prêterais ! Il faudrait que tout le monde puisse lire ces livres ! Mais, tu pourras me faire lire tes notices en échange ? tu n'as rien sur les aspirateurs je pense ? Je trouve ça étonnant et bien plus mystérieux que la magie. Qu'y a-t-il de si épatant à savoir manier une baguette magique franchement si l'on ne sait faire que ça ? Et..."

... Et probablement qu'il ne se serait pas arrêté là et aurait noyé Pétronille sous un flot de parole si à cette instant une autre petite fille ne s'était pas introduite dans leur compartiment. Elle était toute petite et portait d'immenses lunettes qui la faisait paraître encore plus petite. Sa présentation réanima le moqueur qui sommeillait en Claes. Ses lèvres s'étirèrent, l'éclat doré de ses yeux s'éclaira de malice et d'une voix nonchalante d'où perçait une assurance tranquille, il se présenta à son tour :

"Claes Andreas Edmund Mézangier, mais Claes devrait suffire. Mais dis-moi, c'est bizarre Philomène comme prénom" ajouta le jeune garçon qui avait quelques comptes à régler avec son auteuze.

La présentation du plan de tomate failli cependant l'achever et il se demanda si tout compte fait, la présence de Pétronille ne pesait pas assez lourd pour l'empêcher de fuir. Mais à peine sa camarade-qui-avait-bon-goût-puisqu'elle-aimait-les-moldus eut-elle fait le lien entre Antigone et le plan de tomate qu'il se dit que finalement, après tout, une fille était une fille et qu'on ne pouvait pas vraiment les empêcher d'être dérangées, sans quoi elles seraient des garçons. Peut-être même que Pétronille état un garçon et qu'elle l'ignorait tout simplement.

Aussi tourna-t-il un regard ravi et avide vers Antigone et lâcha-t-il d'une voix un rien trop aiguë :

"C'est un plan de tomates moldu ?? je peux le toucher ?"