À défaut de comprendre ce que Karen disait, Eurydice reconnut en l’entendant la langue natale de Niels pour avoir commencé à l’apprendre – malgré les réticences évidentes de Stef à cette idée quand elles en avaient discuté toutes les deux lors du trajet retour du Poudlard Express. Se rendre compte que cette fille, qui excitait encore plus sa méfiance que Niels, utilisait cette langue dans l’intention évidente de la mettre à l’écart ne fit que renforcer sa décision de se mettre sérieusement au danois en particulier et aux langues étrangères plus généralement. Il était déjà trop facile de l’exclure d’une conversation en raison de son handicap, elle ne laisserait pas les deux vipères y ajouter des connaissances qu’avec un peu de travail elle pouvait, elle aussi, acquérir. En cet instant, elle s’en voulut de sa paresse : au lieu de travailler cet objectif, pourtant décidé fin juin, elle avait préféré s’amuser avec son amie d’enfance et Alex en Grèce. Et quand elle avait été chez elle, bien d’autres loisirs l’avaient occupée, dont sa peinture. Toujours accrochée à Niels par pur concours de circonstance, elle jeta un regard peu amène à Karen.
Elle resta avec le danois encore un moment, jusqu’à ce que le danger soit écarté. Non pas qu’elle ait vraiment besoin de lui pour la protéger, mais si elle essayait de s’enfuir, elle allait encore passer pour la fille compliquée qui faisait des histoires inutilement… et, vu toutes les raisons qu’elle avait ce jour-là d’être contrariée, elle n’avait pas besoin d’un énième débat avec Niels. De plus, elle se sentait bizarrement mal, des idées noires faisant leur apparition dans son esprit sans qu’elle puisse deviner qu’elles lui venaient de Karen. L’idée d’ingratitude, cependant, la poussait plus à aller vers son père que vers Alexandre en première intention, et il lui fallut toute sa raison pour combattre cette envie. Aussi, ce n’était pas le moment de se séparer de Niels si c’était pour aller dans les bras d’un Eustache sous couverture !
L’oppression ne passant pas, dès que MS fut parti, elle tira la manche du Serpentard pour qu’il la regarde et signa :
« Il faut que j’aille voir Alex, désolée ». Une urgence qu’elle ne s’expliquait pas mais à laquelle, contrairement à la précédente, elle pouvait aisément céder maintenant que le calme était revenu sur le Chemin de Traverse. Quittant le danois, elle sauta dans les bras d’un Alex un peu perdu, peu habitué à ce qu’Eurydice soit tactile, la réserve étant plutôt le credo de la brunette.
« Tu vas bien Eury’ ? Tu es blessée ? » s’inquiéta-t-il alors, non sans jeter un regard en coin des plus méfiants vers Niels
sauf que c’est pas sa faute du tout. N’ayant pas son écritoire sur elle, elle ne pouvait de toute façon pas répondre directement à son ami qui ne parlait pas la langue des signes. Montrant sa blessure au bras qui, si elle saignait encore un peu, était sans gravité, c’est ensuite sans prévenir qu’elle se mit à fondre en larme face à un Alexandre totalement désemparé. Elle signa
« J’ai cru qu’ils allaient t’emmener » tout en sachant qu’il n’aurait aucune idée de ce qu’elle essayait de lui dire. Elle en avait marre de tout ça : de son handicap, de MS, de ses étés solitaires, du danger et même de cette peste de Karen (dont elle faisait assez peu de cas d’ordinaire, se contentant de l’éviter).
Quand le Ministère vint l’interroger, bien qu’ils lui rendissent ses sacs et avec eux son écritoire, elle pleurait encore, en proie à un désespoir inexplicable teinté de la peur qu’Alex ne soit enlevé alors même qu’il n’y avait plus de danger. Et même si les gros sanglots s’étaient transformé en reniflement au bout d’un moment, Alex’ hésita à la laisser partir tant qu’elle était dans cet état. L’apparition d’une Eulalie en apparence aussi calme qu’elle n’était en réalité affolée à l’intérieur permit de trancher la situation : les Symphonie partirent de leur côté, laissant la brune aux soins de sa mère qui ne comprenait pas plus qu’eux d’où venait un si gros chagrin. Eulalie comprit encore moins lorsque sa fille demanda à voir son père puisqu’un simple résumé de la situation lui avait fait comprendre que son mari était mêlé à cette histoire. Pourquoi, alors, Eurydice voulait-elle le voir ? Pour être sûre qu’il n’essaierait plus d’enlever d’enfant dans les prochaines semaines ? Une fois rentrées chez elles, la mère de la fratrie Foster céda pourtant, envoyant un message d’urgence à son époux, ce qu’elle faisait aussi peu que possible – ne pas se parler évitait les disputes stériles durant lesquelles ils campaient sur leurs positions sans rien régler – alors qu’ils avaient un système bien rôdé pour se joindre. Il le fallait bien, au cas où il arriverait quelque chose à l’un de leur trois enfants.
« Viens au plus tôt, ta fille pleure » Eulalie avait jugé qu’il n’était pas nécessaire de s’étendre là-dessus. Viendrait, viendrait pas, au moins avait-elle fait sa part. Peu confiante dans les capacités paternelles d’Eustache – alors que nous rappellerons que c’était elle qui avait refusé d’apprendre la langue des signes pour leur fille -, elle écrivit le même genre de missive à ses deux autres enfants, avec juste un peu plus de contexte, leur apprenant que leur sœur avait été mêlée aux événements de Traverse et qu’elle avait du mal à s’en remettre. Puis, elle prépara un chocolat chaud – on lui avait toujours dit à l’école que c’était le remède idéal aux chocs – qu’elle monta à Eurydice, allongée sous les couvertures malgré la chaleur estivale, tablette magique allumée, casque sur les oreilles. C’était le signe universel de tous les adolescents du monde lorsqu’ils n’avaient pas envie de parler à leurs parents. Soupirant, Eulalie déposa la tasse sur le chevet de sa fille et un baiser sur le haut de son crâne. Quoi qu’il se soit passé dans la petite tête innocente de sa benjamine, du calme et du repos finiraient par l’en guérir… Mais ce n’était pas avec ce genre d’événements qu’Eulalie Foster changerait d’avis sur Blomberg et sa bande. Ne pouvaient-ils pas au moins épargner les enfants de leur membres ? Fâchée, elle alla dans son bureau : en bonne ancienne Serdaigle, travailler était sa propre solution aux maux qu’elle ne pouvait soigner.
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